Careil

Careil : une place huguenote au cœur du pays du sel…

     « Un petit château qui a toujours logé l’arche [de la foi] », c’est le bel hommage qu’à la veille de la Révocation le pasteur Lenoir rendait au manoir fortifié de Careil. Le pasteur de Blain savait de quoi il parlait, lui qui était à la fois le premier historien du protestantisme breton et qui avait probablement prêché plus d’une fois entre ces murs centenaires.

     Le château de Careil, en Guérande, se dresse aux portes mêmes de la célèbre station de La Baule. C’est une étape incontournable pour tout visiteur à la recherche des racines du protestantisme breton. Et c’est une chose d’autant plus aisée que le château est ouvert au public. Il accueille des visites guidées pendant les mois d’été et peut servir de cadre à des réceptions. La mémoire huguenote y est clairement affirmée. Les propriétaires ont même aménagé avec des meubles anciens une des pièces sous le nom de « chambre du pasteur ».

Careil

Le château de Careil aujourd’hui.

     Le château lui-même a été édifié avec son pont-levis à la fin du XIVe siècle, tandis que le corps de logis, souvent remanié aux deux siècles suivants, témoigne de l’art breton de la Renaissance. La place fortifiée formait autrefois un quadrilatère ceint de murailles, dont seuls deux pans subsistent aujourd’hui. Ce n’était pas une forteresse puissante, mais sa garnison a été importante : Careil verrouillait l’accès au Croisic et aux marais salants qui faisaient la fortune du duché de Bretagne.

     Lorsque la Réforme est prêchée pour la première fois dans la région en 1558, le maître du lieu s’appelait Jean du Boays, seigneur de Beaulac. Il s’engagea fermement dans le camp réformé et Careil servit d’abri aux premiers huguenots de la région lors des troubles qui suivirent. La fille du chatelain, Esther du Boays, devenue l’épouse de René Marec’h de Monbarot, gouverneur de Rennes, hérite ensuite du domaine qui souffre considérablement des guerres de Mercoeur.

    Le 11 mai 1589, jour de l’Ascension, le capitaine du Cleuz, venu de Saint-Nazaire, s’empara du château. Sa troupe se saisit des meubles « tapisserye, couettes, vaisselle, bleds, aultres meubles et jusques au lard » pour une valeur de 7000 écus.

     La fille d’Esther du Boays, Françoise de Montbarot, hérite à son tour du domaine. Par son mariage avec Samuel de La Chapelle, le domaine passe ensuite dans le vaste domaine des La Chapelle de La Roche-Giffart, seigneurs protestants qui résident à Sion-les-Mines.

Careil, lieu de culte protestant

     L’Édit de Nantes a accordé un temple aux réformés du Croisic, mais le château de Careil sert toujours d’abri dans les temps de troubles. Il se montre bientôt essentiel car la politique royale de restriction progressive des droits de protestants en France aboutit à la fermeture du lieu de culte du Croisic. Careil est le lieu de repli évident pour les protestants de la région. Les bâtiments des communs, qui existent toujours, accueillent les prêches.

     Par arrêt du 19 janvier 1665, l’exercice réformé est interdit à son tour à Careil. Pourtant le château continue d’abriter des assemblées calvinistes. Le synode provincial de La-Ville-du-Bois (en Mordelles) en 1673 spécifie que « l’Église cy devant apellée de La Roche-Bernard peult avec les temps recouvrer le moein de se rassembler au château de Careil sous le droit du seigneur« . Six ans plus tard, le synode de Pont-Piétin (en Blain) regrettait que l’assemblée soit dépourvue de pasteur titulaire tout en admettant à demi-mot que des services se tenaient à Careil sous la présidence de ministres voisins « priés par la dame du lieu d’y aller prescher« [1]. Cela posait problème, car le « droit du seigneur », admis par l’Édit de Nantes pour légitimer un culte protestant supposait que le gentilhomme concerné ait le titre de haut-justicier et qu’il réside sur place. Or la douairière Marguerite et sa fille Henriette de La Chapelle préféraient habiter avec leurs neveux au manoir de Mesneuf, en Bourgbarré, près de Rennes. Les adversaires des huguenots pouvaient à tout moment protester. La famille des La Chapelle de La Roche-Giffart est bientôt, et une dernière fois, condamnée pour avoir accueilli le culte protestant à Careil.

     La Révocation achève de disperser la communauté en 1685. Marguerite de La Chapelle est arrêtée le 24 avril 1686 à la suite de l’échec de la tentative d’évasion du royaume de plusieurs de ses amies. L’enquête avait montré que la douairière de Careil avait organisé cette expédition qui faisait partie d’un plus vaste projet de fuite vers le Refuge à Jersey. Elle fut enfermée quelque temps dans des couvents à Rennes puis à Paris.

     C’en était définitivement fini du protestantisme à Careil. Le château est vendu peu après.

     Les 120 années de calvinisme au château semblent avoir imprégné le lieu d’une certaine austérité teintée de douceur, à moins que ce soit le fruit de la prédominance féminine qui a caractérisé l’essentiel de cette période… Careil est aujourd’hui encore un havre de paix à deux pas de l’activité débordante des plages de La Baule.

Site internet : www.careil.com

 Jean-Yves Carluer

[1] Jean-Yves Carluer, « Les actes des synodes provinciaux, sources de l’histoire régionale protestante : l’exemple breton », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1993, p. 625.