Saint-Nazaire : 1904-1912

      Nous poursuivons ici l’édition du mémoire du pasteur Héliodore Jospin rédigé en 1922 et retraçant la mise en place de la paroisse protestante de Saint-Nazaire. Le lecteur retrouvera la première partie de ce document dans la section « lieux de mémoire » sous la rubrique « Le premier temple de Saint-Nazaire ».

     Protestants et responsables de l’embouchure de la Loire sont confrontés en 1904 aux contraintes caractéristiques d’un poste pionnier : la petite congrégation locale, pourtant riche d’espérance, est beaucoup trop restreinte pour financer un pasteur. Il faut donc faire appel aux subventions d’une des deux grandes sociétés protestantes nationales de l’époque. Mais ces organismes, d’orientation nettement évangélique, sont eux-mêmes soumis à de sévères contraintes de gestion, surtout depuis que la séparation des Églises et de l’État fait reposer le financement des œuvres religieuses uniquement sur les fidèles. En ce début du XXe siècle, leur objectif n’est plus de susciter des regroupements de protestants en nombre suffisant pour demander à l’État la création d’une paroisse. Les grands centres urbains ont désormais leurs temple. Les sociétés protestantes placent leur espoir dans un succès déterminant de l’évangélisation locale qui seule pourrait assurer l’autonomie du protestantisme dans des villes moyennes. L’expérience leur a montré en outre que les prosélytes et les néophytes peuvent être versatiles dans leur choix spirituel. Les sociétés d’évangélisation sont donc promptes à se décourager et à reporter leurs efforts vers d’autres lieux. Mais les évangélistes locaux savent également mettre en concurrence les organismes donateurs, surtout si leur bilan est positif.

     Voici donc la suite du document :

 2) De la Mission Populaire Évangélique à la Société Centrale Évangélique

      « En 1904 commence une nouvelle étape de la vie de cette petite Église. La Mission Mac-All (Mission Populaire Évangélique) la prend à sa charge et y place comme agent M. Corby. Cet évangéliste, précédemment à Saint-Yrieix, sut attirer, soit aux cultes du dimanche, soit aux réunions du soir en semaine, bon nombre des catholiques du quartier. Sa parole appréciée, ses visites, les services rendus aux familles ouvrières lui acquirent des amis dévoués, dont il pouvait espérer constituer le noyau d’une véritable Église. Mais la Mission Populaire ne jugea pas cette activité suffisante.

L'évangéliste Jules Sainton au volant de sa voiture en 1908. Ce pasteur baptiste était alors salarié comme agent itinérant interconfessionnel de la Mission Mac-All. (Archives de la Mission Populaire Évangélique)

L’évangéliste Jules Sainton au volant de sa voiture en 1908. Ce pasteur baptiste était alors salarié comme agent itinérant interconfessionnel de la Mission Mac-All. (Archives de la Mission Populaire Évangélique)

    En même temps qu’elle soutenait financièrement l’œuvre du temple, elle fit faire des réunions d’évangélisation, par MM. Saillens et Sainton, sous une tente dressée boulevard de l’Océan, où paraît-il, des auditoires nombreux et mêlés furent réunis ; et cette tentative se prolongea, sous une forme définitive, par des réunions régulières organisées dans une baraque démontable élevée dans un quartier populeux, par M. Sainton[1]. M. Corby d’ailleurs assistait à ces réunions et y menait ses fidèles. Le 22 juin [la Mission] Mac-All faisait savoir qu’un important déficit l’obligeait à envisager la douloureuse nécessité de suppression de postes, et demandait à l’Église de Nantes, considérant que Saint-Nazaire avait le caractère d’une œuvre d’Église plutôt que d’évangélisation, de nommer M. Corby suffragant du pasteur de Nantes contre une rémunération allégeant les charges du Comité directeur de la Mission. Nantes ne crut pas devoir donner suite à cette proposition. La Mission Populaire dut se décider à la suppression du poste de Saint-Nazaire.

     Très émus, les fidèles, par une lettre de juillet 1910, demanderont à l’Église de Nantes d’obtenir qu’une autre société la reprenne en mains. De son côté, M. Corby demandait au Synode la consécration pastorale en vue de servir dans une Église ; il était consacré dans le temple de Nantes, en mars 1911, et nommé pasteur d’une Église poitevine à la fin de la même année[2].

     Cependant le petit troupeau défendait son existence. Une pétition adressée le 2 Janvier 1912, à la Mission Mac-All et suivie de 104 noms (21 protestants, 35 enfants) lui demandait de revenir sur sa décision : « venus au Temple pur curiosité, disaient-ils, nous avons été séduits par la parole de M. Corby et nous sommes devenus ses disciples fervents (sic). Sans avoir abjuré, nous ne voulons avoir à faire qu’à lui pour les baptême, mariages, enterrements. Ne pouvant retourner à notre ancien culte, nous resterons désemparés sans religion, sans espérance. Que deviendrons-nous ? Que deviendront nos enfants ? ». Et ils se déclarent prêts à s’imposer, pour aider l’œuvre, sur la base de un franc par mois. Mais la M. P. E. ne crut pas pouvoir répondre favorablement à cette requête. L’Église de Nantes proposa alors de rétablir les anciennes relations entre Nantes et Saint-Nazaire considérée comme annexe et d’y faire célébrer un culte par mois, le dimanche à 5 heures du soir. Mais les fidèles font observer à M. Durand-Gasselin, qui était venu étudier la situation, que ce culte, qui réunira difficilement les ouvriers dispersés par la promenade dominicale, sera d’autre part insuffisant pour maintenir groupés des gens récemment sortis du catholicisme. Ils insistent pour obtenir de la Mission un agent, et offrent des souscriptions plus larges que celles qu’ils avaient annoncées. « La Mission Populaire, disent-ils, a envoyé à Saint-Nazaire la « Semeuse » (la salle démontable), ne pourrait-elle pas employer une somme égale à celle dépensée de ce chef à l’œuvre existante ? ».

     Le Conseil presbytéral de Nantes fit alors une démarche auprès de la Société Centrale[3], qui, ayant chargé d’une enquête le secrétaire de sa Section de l’Ouest, accepta d’adopter le poste de Saint-Nazaire (19 mars 1912) et y appela comme agent M. le pasteur Jospin, précédemment pasteur à Vitré (Deux-Sèvres). Elle avait au préalable fait admettre par les Églises intéressées les conditions suivantes : que la rentrée des cotisations promises serait aussitôt organisée, que Nantes ferait à la Société Centrale une part dans son budget, que le poste de Saint-Nazaire serait indépendant de Nantes et son territoire bien délimité, que le pasteur de Saint-Nazaire donnerait à Nantes une prédication par mois. Le pasteur de Nantes assura le culte à Saint-Nazaire, tous les dimanches à 5 heures, jusqu’à l’arrivée du pasteur, M. Jospin, en juillet 1912. (II fut installé dans sa charge en octobre 1912, par le pasteur Casalis, du Mans, et M. Durand-Gasselin, de Nantes, délégués à cet effet par la Section Ouest de la Société Centrale Évangélique) ».

 (A suivre)

Jean-Yves Carluer

 [1] « M. Sainton va nous donner sa collaboration à Nantes et Saint-Nazaire. Il se met à notre disposition pendant deux mois pour faire de l’évangélisation avec son automobile dans les départements du Finistère, du Morbihan et de la Loire-Atlantique » (Registre du comité directeur de la Mission Populaire Évangélique, 29 juin 1909). La « Baraque démontable » est la Semeuse N°1 de la MPE .

[2] Pierre Corby est effectivement nommé pasteur à La Mothe-Saint-Héray (Deux-Sèvres).

[3] De son côté, Jules Sainton plaidait pour la poursuite de l’effort : « Sainton a le sentiment très net qu’il faut continuer à Saint-Nazaire » (Registre du comité directeur de la Mission Populaire Évangélique, 29 juin 1909).

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