1) Romance au cœur des guerres de religion
Par une belle journée, en cette année de paix 1566, deux jeunes et riches seigneurs, élégamment habillés, se dirigeaient vers le Château de Combourg dont les hautes tours ont été immortalisées bien plus tard par François-René de Chateaubriand. A cette époque, la forteresse était la résidence de François d’Acigné, sieur de Montjean. Ce dernier sortait tout juste de dîner quand les visiteurs se présentèrent. Celui qui menait le groupe était de Guy de Rieux, sire de Châteauneuf, beau-frère de demoiselle Claude du Chastel, une nièce élevée au château et dont François était depuis quelques années le tuteur. L’autre jeune homme qui accompagnait Guy de Rieux ne s’était, par contre, pas encore annoncé, mais était bien connu des gentilshommes des environs. Il avait pour nom Charles Gouyon de La Moussaye. Les deux visiteurs, unis par de solides liens d’amitié tissés au temps où ils avaient été pages du roi Charles IX, ne venaient pas simplement pour saluer le maître des lieux….
Les deux jeunes gens et leur suite franchirent les premières fortifications et s’approchèrent du grand escalier où François d’Acigné les attendait… Pour la suite, laissons la parole au jeune Charles Gouyon de La Moussaye : « Après les… embrassades accoutumées, madame de Montjean descendit aussi le degré, avec ladite Claude et les autres demoiselles. J’estois plus haut de taille que Monsieur de Chasteauneuf, de façon que j’eus beaucoup de moyens de voir les dames avant les saluer. Comme on estoit sur le passage des portes… Je tins du tout les yeux arrestés sur elle et ne cessait de contempler ladite Claude, laquelle je trouvois très belle et de très bonne grâce… Et à la vérité, j’avois esté six ans à la cour ; j’avois voyagé presque par tout le royaume de France, j’avais veu la pluspart du royaume d’Angleterre, et estois tousjours retourné libre. Mais alors je fus lié d’un lien qui depuis ne se peut délier ny ne se déliera jamais« [1].
C’est ainsi que commence l’idylle de Charles Gouyon et de Claude du Chastel. Il avait 17 ans à peine, elle en avait… 12 ou 13 ! Cette passion naissante aura deux conséquences : la première fut le passage à la Réforme de la maison de La Moussaye et par suite l’établissement des Églises huguenotes de Plouër, Plénée-Jugon et Quintin. La seconde fut la composition par Charles Gouyon, à la fin de sa vie, d’un véritable chef-d’oeuvre de sensibilité et d’amour, de haute qualité littéraire, Le « Brief discours de la vie de Claude du Chastel, dame de La Moussaye ». Ce manuscrit, pieusement retranscrit de la main de ses filles, fut édité seulement en 1901
Le plus étrange peut-être dans ce véritable « coup de foudre » qui laissa Charles Gouyon « resveu, pensif et ne discourant plus qu’a l’heur et félicité » d’un mariage avec Claude, c’est qu’il avait été soigneusement préparé dès l’enfance des deux jeunes gens ! Charles était né d’un premier mariage d’Amaury Gouyon avec Catherine de Guémadeuc. Quant à Claude, elle était issue d’un précédente union de sa mère, nommée Claude d’Acigné, avec le baron du Chastel, descendant d’un connétable de France et lieutenant du roi en Basse-Bretagne. C’est cette dame devenue veuve qu’Amaury Gouyon de La Moussaye avait épousée en secondes noces en 1557. Les deux conjoints -très unis- avaient rêvé de marier leurs enfants issus d’une première union. En 156O, Claude d’Acigné décédait à son tour. Sa fille, Claude du Chastel, désormais orpheline, avait été confiée à la grand-mère, Anne de Montjean, puis à ses oncles Jean et François d’Acigné. C’est auprès d’eux que la jeune Claude avait été élevée dans le protestantisme.
Il ne faut pas croire cependant que les voeux de Charles Gouyon allaient pouvoir se réaliser facilement. Certes, le soir de sa visite à Combourg, il avait rempli d’aise certains parents du clan du Chastel en leur rapportant qu’il « estoit retourné autre qu’il estoit allé« , mais c’étaient ceux qui appartenaient à la branche restée catholique : la soeur de Claude, Anne de Châteauneuf, la jeune épouse de Guy de Rieux, et sa belle-mère, la douairière de Rieux. Ils étaient d’autant plus satisfaits, qu’en accord avec le père de Charles Gouyon, c’est eux qui avaient organisé la rencontre ! Mais il restait à convaincre les tuteurs de la jeune Claude, les frères Jean et François d’Acigné Montjean. De ce côté-là, l’affaire se présentait très mal. Pour les deux frères, ainsi que pour Anne Montbourcher du Bordage, l’épouse de François, rudes huguenots, il n’était pas question d’un mariage avec un catholique. Or les Gouyon étaient papistes, fort tièdes certes, tout particulièrement Charles lui-même qui avait été à la Cour le camarade de jeu du futur Henri IV, mais papistes quand même.
L’enjeu d’une rivalité familiale
En réalité aussi, depuis la mort de sa mère, le mariage de Claude du Chastel représentait un enjeu qui cristallisait de fortes rivalités familiales. François d’Acigné l’avait promise à un fils du baron protestant normand Montgommery et la jeune fille avait été hébergée au château de Ducey, près de Pontorson, jusqu’à ce que la douairière de Rieux, chef de la branche familiale catholique, obtienne du roi son retour en Bretagne. Elle surveillait depuis son château de Miniac, pleine d’inquiétude, ce qui se passait à Combourg. Le jeune Charles Gouyon était une carte décisive dans son jeu qui consistait à enlever cette riche héritière au parti huguenot. Mais comme il arrive parfois, ce qui n’était au départ qu’un simple pion se révéla vite une pièce maîtresse et autonome. Bientôt, soumis à deux fortes influences religieuses qui se contrecarraient en s’équilibrant, Claude du Chastel et Charles Gouyon eurent une certaine liberté, rare à l’époque, pour décider eux-mêmes de leur avenir.
Cette liberté, la jeune fille entendait d’abord la faire valoir dans le domaine spirituel. En 1565, à l’âge de 12 ans, Claude du Chastel avait fait connaître officiellement sa foi huguenote devant le sénéchal de Rennes, affirmant qu’elle ne saurait vivre autrement : « estant ailleurs qu’avec (ses oncles) ou autres faisant profession de la religion réformée, elle ne pourrait recevoir aucun contentement ; et que la nourriture de l’âme c’est la Parole de Dieu… »
(A suivre…)
[1] Charles Gouyon de la Moussaye, Brief Discours de la Vie de Madame Claude Du Chastel Par Son Mari Charles Gouyon, Baron de La Moussaye, 1553-1587. Publié par G. Vallée and P. Parfouru, Paris, Perrin, 1898 et 1901, p. 61-62.