Les Bretons et la Saint-Barthélemy -1

1) Un protestantisme breton déjà bien affaibli

     La nuit du 24 août 1572 restera un des moments les plus tragiques de notre histoire. Ce massacre des chefs huguenots et des Réformés parisiens s’est étendu à une partie du royaume, jusqu’à Orléans, Lyon, Bordeaux, Rouen, Toulouse… Mais, vers l’ouest, les exactions les plus graves n’ont pas dépassé Angers.

     Comment expliquer cette relative modération bretonne ?

     Près de 15 ans après son éclosion, la Réformation est clairement en déclin dans notre province. Les documents conservés permettent de dater l’apogée du calvinisme breton vers 1565. Le protestantisme a rencontré une forte résistance, surtout dans les villes, à partir de 1559, et il a pris très vite des caractéristiques durables : une forte domination des nobles, d’autant plus marquée qu’ils sont de rang élevé, une localisation préférentielle en Haute Bretagne. Mais on note dès 1562, plusieurs défections de grands seigneurs. Les héritiers du comte de Maure restent catholiques, Jean d’Acigné et son cousin Louis d’Acigné retournent à leur religion initiale, etc…

     Le déclin  s’accélère nettement lors de la Troisième Guerre de Religion (1568-1570). Certes les opérations militaires épargnent le duché. « Entre toutes les provinces, elle s’est sentie moins de ces grandes furies au dedans« , disait de la Bretagne Jean Crespin, dans son « Histoire des martyrs[1]« . L’auteur ajoutait cependant qu’elle « avait  plustost tourmenté les autres que soy-même » en faisant allusion aux exactions des troupes catholiques du duc d’Étampes en Normandie. Car si la Bretagne a été relativement épargnée, les combats font rage dans les provinces voisines, notamment en Poitou.

     Nos Huguenots bretons sont très partagés vis-à-vis de la guerre au moment où François d’Andelot les presse de le suivre dans les combats du Poitou. Toute une partie de la noblesse refuse de prendre les armes, ce que leur reproche Crevain : « Les châteaux de la province qui étaient à ceux de la religion n’entreprenaient rien, ni leurs possesseurs ni leurs commandants« . La remarque est également vraie pour les habitants des villes et les officiers de justice, à commencer par les conseillers au Parlement de Bretagne. Le plus célèbre des huguenots loyalistes est le vicomte Henri de Rohan, qui a obtenu une sauvegarde royale pour son domaine de Blain.

Bataille de jarnac

La bataille de Jarnac (gravure ancienne allemande)

     Bien d’autres, pourtant se laissent aller à la griserie de l’aventure militaire. Parmi eux, des capitaines qui avaient déjà fait leurs preuves : François d’Acigné, François de La Noue, ou Christophe du Matz du Brossay Saint-Gravé, mais aussi Jean du Boays de Baulac, Christophe de Chateaubriand, Antoine de Montbourcher du Plessis-Bordage, les jeunes Kergrois d’Avaugour (René, seigneur de Saffré et son frère Guy, seigneur de Vay), et bien d’autres encore…

La noblesse huguenote est déjà décapitée….

    Les opérations militaires dans le Poitou furent désastreuses pour les protestants bretons : les batailles de Jarnac et de Moncontour firent de nombreuses victimes dans leurs rangs. On releva parmi les morts quelques-uns des plus grands seigneurs « de la Religion », entre autres François d’Andelot, Jean de Goulaine, Christophe de Chateaubriand et François d’Acigné-Montjean : bien des Églises furent privées de leurs protecteurs naturels. René Perrin de La Courbejollière, blessé mortellement à Bassac, dans l’affaire de Jarnac, s’éteignit à la Rochelle quelques semaines plus tard. Les deux fils de César de Couaisnon, sieur de Breilmenfany, près de Vitré, périrent à Moncontour.

    Autre revers, l’épuration entreprise à partir de 1568 par le roi dans la magistrature. Les « robes rouges » étaient un appui essentiel du protestantisme, autant par leur influence et leur richesse que par leur rôle judiciaire. Dix puis treize conseillers huguenots furent privés de leur charge.

     Tant par l’extinction des lignages huguenots que par le découragement de certains nobles, le quart des Églises huguenotes disparaît dans la province entre 1565 et 1572. Le reste courbe l’échine et n’envisage sa survie qu’à la faveur des Édits royaux de pacification qui suivent le conflit.

    Mais pouvait-on encore croire en la paix ?

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Jean Crespin, Histoire des martyrs…, 1619,  livre III, p. 606.