Maurice Sibille est un protestant breton fort méconnu. Une rue, certes, porte son nom à Nantes, sa ville natale. Mais on ne se souvient plus qu’il a été député de Loire-Atlantique pendant 43 ans sans discontinuer. Et encore moins qu’il a été un protestant engagé, membre du conseil presbytéral de l’Église réformée de Nantes.
Maurice Sibille est né le 21 mars 1847 au sein d’une famille huguenote liée à la grande bourgeoisie nantaise d’origine internationale. Son père, Aimable André Sibille, était avoué, sa mère s’appelait Marie Wohrnitz. Sa sœur aînée est devenue l’épouse du négociant Carl Ulrich, son neveu André Ulrich sera le secrétaire particulier du ministre Pierre Waldeck-Rousseau.
Le jeune Maurice poursuit brillamment ses études au lycée qui porte aujourd’hui le nom d’un de ses condisciples, Georges Clemenceau. Il est reçu à l’école des Mines mais préfère devenir avocat. Il s’engage en politique au retour des combats de la guerre de 1870-71 et est élu conseiller municipal, conseiller d’arrondissement et adjoint au maire de Nantes. Il épouse en 1883 Louise Waddington (1864-1918), fille de Charles Waddington, membre de l’Institut, et cousine de William Waddington, le premier Président du Conseil protestant. Ce mariage semble avoir accéléré son ascension politique puisqu’il peut se présenter à la députation en 1889.
Maurice Sibille est républicain mais se range dans les rangs des modérés. Il sera aux côtés de Raymond Poincaré et des « républicains de gauche » dont on sait qu’ils étaient largement à droite.
Comme son coreligionnaire Ferdinand Favre avant lui, Maurice Sibille n’est en aucune façon anticatholique. Il s’oppose aux mesures anticléricales des ministères Waldeck-Rousseau et Combes, ce qui lui vaut le soutien de La Croix Nantaise. S’il soutient ensuite la Loi de Séparation de l’Église et de l’État, il veille à ce que les intérêts de la première ne soient pas lésés. Il milite contre le monopole de l’enseignement public et soutient la création d’écoles privées. Cette laïcité ouverte correspond d’ailleurs à son intérêt électoral. Faute de pouvoir présenter des candidats ayant de réelles chances de succès dans la deuxième circonscription de la Loire-Inférieure, les catholiques nantais accordent leur soutien au protestant Sibille. Cela lui vaut une exceptionnelle longévité politique de plus d’un demi-siècle, avec des succès croissants à chaque élection ! Conseiller d’arrondissement dès 1875, il est doyen de la Chambre des députés en 1832, peu avant sa mort.
Comme élu, il s’intéresse au droit du travail. Il est rapporteur de la loi du 2 novembre 1892 sur le travail des femmes et des enfants. Il s’occupe également des intérêts économiques et devient rapporteur du budget des travaux publics. Son engagement protestant apparaît dans un certain nombre de propositions de nature morale, comme la lutte anti-alcoolique : suppression du privilège des bouilleurs de cru et limitation du nombre de débits de boissons.
Maurice Sibille s’honore d’être l’auteur d’une proposition de loi qui contribua grandement à l’extinction progressive du bagne de Guyane. Il déposa le 9 juin 1929 sur le bureau de l’assemblée un projet qui dispensait de la transportation à Cayenne tout condamné aux travaux forcés qui n’aurait pas été spécifiquement frappé de relégation par un tribunal. La Loi Sibille ne fut votée que bien plus tard à cause de l’opposition du sénat. Elle contribua grandement à la disparition ultérieure du bagne que l’on doit à l’action d’officiers de l’Armée du Salut dont le plus connu a été Charles Péan.