Transition délicate à Rennes (1848-1852)
Le pasteur Barbezat est finalement rappelé en janvier 1848 par le comité de la Société Évangélique de France et affecté à Rancon, petite commune de la Haute-Vienne où un Réveil semblait se développer. « Je prierai M. Martin de me remplacer, aussi bien que possible, pendant l’absence d’un pasteur », répond-il avant de prendre la route.
Une fois de plus, les protestants rennais se retrouvent livrés à eux-mêmes. Et cette fois, le désengagement de la Société Évangélique de France était définitif.
Nos Rennais se tournent logiquement vers les pasteurs voisins pour leur demander de l’aide. Il est alors convenu que le pasteur de Brest, Achille Le Fourdrey, assurerait le culte une mois par mois, tout comme son collègue nantais, Benjamin Vaurigaud. Mais ce programme est assez irréaliste. Il faut trois journées de route dans chaque sens pour relier Brest à Rennes. Ce sont donc les seuls nantais qui assurent la desserte pastorale mensuelle.
C’est donc assez logiquement que les Rennais, sur la suggestion du pasteur Vaurigaud, demandent leur affiliation au consistoire de Nantes. Si leur Église en devient un oratoire, terme employé à l’époque pour désigner un poste annexe officiel, cela préparera la création ultérieure d’une Église concordataire, dont les frais seront assurés par le gouvernement. C’est une perspective envisageable dans la mesure où le nombre des protestants grandit dans la ville, année après année. Cette croissance résulte en fait de l’accélération du mouvement migratoire qui draine vers la préfecture des protestants originaires d’autres régions.
Les années 1848-1849 marquent donc un basculement de stratégie. Jusqu’alors, les évangélistes rennais avaient essayé et presque réussi à rassembler une communauté d’un poids numérique suffisant pour imposer sa reconnaissance officielle par l’État. Mais cela n’avait pas été suffisant pour contrecarrer l’opposition du clergé local. La seule option restante consiste à passer par le réseau officiel protestant et se faire adopter par les consistoires réformés locaux. Celui de Loire-inférieure est le plus efficace sur le plan administratif : la paroisse du pasteur Vaurigaud est marquée par le poids de grands notables, à commencer par Ferdinand Favre, député-maire de Nantes.
La demande d’affiliation est officiellement déposée le 19 septembre 1849.
Une enquête est immédiatement ordonnée par le ministre. La réaction des autorités locales est, comme prévu, très défavorable aux pétitionnaires. Le maire de Rennes estima que « la population protestante… est en quelque sorte inappréciable parce qu’elle est ignorée et d’une influence absolument nulle dans la cité« 1. Le préfet Eugène de Cafarelli concluait par un véritable réquisitoire contre les Réformés : « J’ai trouvé, chez toutes les personnes que j’ai consultées… un sentiment de répulsion prononcée, la crainte de l’effet moral funeste qui serait produit sur la population, et des divisions et des haines qui pourraient en être la conséquence. Je suis donc convaincu qu’il y a lieu de repousser, de la manière la plus absolue, la demande qui vous est présentée« 2.
Malgré ces propos alarmistes, le ministère des cultes accepta la requête de la petite communauté et décréta le 4 février 1850 « l’affiliation des protestants du culte réformé résidant à Rennes et des autres protestants d’Ille‑et‑Vilaine à l’Église consistoriale de Nantes« 3. Par contre, l’administration reporta à une date ultérieure la création du poste pastoral. Le préfet informa le maire de Rennes des raisons profondes qui avaient poussé le gouvernement à accepter la requête d’affiliation : « C’est une garantie d’ordre qui aura pour effet de ne pas laisser les protestants du département abandonnés à eux‑mêmes« 4. Sur le plan pratique, aucune aide n’était accordée aux Réformés qui se heurtèrent immédiatement au refus du maire de leur octroyer un lieu de culte officiel, comme le demandait la loi en cas de « nécessité reconnue »5.
Le pasteur Vaurigaud revint plusieurs fois à la charge, ouvrant une polémique qui prit bientôt un ton violent. Le maire Pongerard parla de « renégats« , de « fâcheux esprits« , et, comme souvent à l’époque, de « clubistes dangereux » et de « socialistes« 6. B. Vaurigaud réussit à fournir une liste nominative de 221 protestants rennais, en nette progression sur les estimations précédentes qui évaluaient les Réformés à 150 environ. Les Français étaient désormais majoritaires (148 personnes), notamment grâce à un fort apport de soldats alsaciens (58). Le ministre donna alors raison au pasteur de Nantes dans le conflit qui l’opposait au maire mais hésita à insérer d’office une allocation de lieu de culte protestant dans le budget municipal rennais. Les seuls fonds qui furent accordés par l’État étaient des indemnités de déplacement aux pasteurs nantais.
Les Réformés devaient trouver une solution provisoire.
Fort heureusement, une nouvelle société d’évangélisation protestante avait été crée quelques années auparavant. C’était la Société Centrale Protestante d’Évangélisation. Elle était très proche de la ligne d’action des pasteurs réformés, et tout particulièrement de Benjamin Vaurigaud qui entendait placer en premier la tradition calviniste. Peut-être accepterait-elle de prendre en charge les Rennais, qui, rappelons-le, n’avaient encore ni pasteur ni temple ?
(A suivre)
1 Archives départementales d’Ille‑et‑Vilaine, 3 V 4, lettre du 19 décembre 1849.
2 Idem, rapport du 19 décembre 1849.
3 Archives départementales d’Ille‑et‑Vilaine, 3 V 4.
4Archives municipales de Rennes, P X 4, culte réformé, lettre du préfet du 27 février 1850.
5 Le dossier de demande d’un lieu de culte est aux Archives Nationales en F/19/10114.
6 Lettres du 23 juin 1851 (Archives municipales de Rennes, PX 4) et 28 juillet 1851 (A.N. F/19/10114).