Charlotte de Laval (1529-1568), bretonne, protestante, grand-mère de l’Europe.
Une des figures les plus attachantes de la Réformation en Bretagne est aussi l’une des plus méconnues. Charlotte de Laval, fille du comte Guy XVI de Laval, est héritière d’une des plus puissantes familles aristocratique de Bretagne. Les Laval sont barons de Vitré, seigneurs de Montfort, de Rieux, Bécherel, Quintin et autres lieux. Ils président les assemblées des États de Bretagne en alternance avec une autre grande famille qui deviendra bientôt aussi huguenote, les Rohans. Les Laval sont si puissants qu’ils sont désignés comme princes. Ils nouent d’ailleurs des alliances avec les familles d’Aragon et de Bavière.
La jeune Charlotte de Laval, orpheline de père peu après sa naissance, puis de mère quelques années plus tard, se marie en 547, dans la chapelle du château de Montmuran-Les-Iffs, près de Bécherel, là même où Bertrand Du Guesclin avait été adoubé deux siècles plus tôt. Charlotte épouse un homme appelé à un destin national, Gaspard II de Coligny, du prestigieux lignage des Montmorency-Châtillon.
Les époux, fort unis, ont eu 8 enfants. Charlotte de Laval passa à la Réforme en premier, dans les années 1558, et l’on estime que son influence a été fondamentale dans la décision de son mari, devenu l’Amiral de Coligny, de se faire protestant, puis d’accepter la charge de chef du parti huguenot pendant les guerres de Religion.
Jean Calvin rend, en septembre 1561 à Charlotte de Laval un témoignage vibrant de fidélité à Dieu : «au milieu de grandes difficultés, vous avez constamment persévéré en son service, voire pour être un exemple et patron à ceux qui étaient trop faibles et timides». Elle meurt le 3 mars 1568 à Orléans en soignant les malades du typhus. Dans une lettre, qui n’a pas été conservée, mais dont nous avons le résumé, Charlotte de Laval mourante exhorte encore son mari à persévérer dans la Foi : «Elle s’estimait bien malheureuse de mourir sans l’avoir revu, lui qu’elle avait toujours aimé plus qu’elle-même. Néanmoins elle se consolait, sachant ce qui le retenait loin d’elle. Elle le conjurait, pour elle-même, qu’il avait toujours aimée, et au nom de leurs enfants, de combattre jusqu’à la dernière extrémité pour le service de Dieu et l’avancement de la Religion». L’Amiral de Coligny, assassiné comme on sait lors de la Saint-Barthélemy, ne survécut que quelques années à son épouse. A l’annonce de sa mort, les clochers de plusieurs paroisses des environs de Tinténiac et Bécherel sonnèrent le glas.
Une des filles de Charlotte de Laval, Louise de Châtillon, née en 1555, épousa en 1583 le célèbre Guillaume d’Orange, dit « Le taciturne », chef de la maison de Nassau. A la tête des « Gueux » protestants, il arracha à l’Espagne l’indépendance de la nation hollandaise, et c’est son nom qui est célébré dans l’hymne national Het Wilhelmus. Par Louise de Châtillon, la descendance de notre bretonne se répandit dans les cours d’Europe jusqu’au roi d’Angleterre Guillaume III d’Orange, et même Pierre Le Grand.
Nous avons peu de documents de la main même de Charlotte de Laval. Une lettre a été conservée, dans laquelle est console son amie, madame de Soubise, devenue veuve en 1566 :
« Je m’assure, Madame, que Dieu vous assiste de telle façon, et tant de gens de bien, que vous pratiquez la doctrine que Dieu nous donne, de telle sorte qu’en faites votre profit en cette affliction, et qu’après avoir senti la force qu’a encore la chair sur nous, retournerez à connaître que Dieu vous est Père et qu’il visite ses enfants comme il lui plaît, et qu’il ne faut point murmurer contre lui, mais reconnaître que nous sommes ses créatures, et nous mettre entre ses mains, pour non seulement marchander à Dieu, mais afin qu’il dispose de nous entièrement. Et il est si bon et si sage qu’il saura mieux ordonner de nous que nous ne ferions nous-mêmes. »