Jacques Élie Berthe -2

Une conversion remarquée à Troyes

    Le pasteur Jacques Élie Berthe, démis de son poste à Luneray, obtint une nouvelle chaire à Troyes, dans l’Aube. Ce n’était pas une grande paroisse, mais plusieurs aspects y étaient positifs. L’essentiel de la communauté protestante était urbaine, souvent faite de fonctionnaires. La paroisse, d’abord simple oratoire dépendant du consistoire de Meaux, reconnue seulement en 1840, venait de se doter d’un temple de belle taille, inauguré en 1859, peu avant l’arrivée de Jacques Berthe.

    Le pasteur disposait de suffisamment de temps pour se consacrer à des représentants des élites locales, éventuellement intéressées par le protestantisme.

    C’est ainsi que Jacques Berthe fut à l’origine de la conversion d’Eugène Réveillaud, (1851-1935), la plus éclatante de tout le personnel politique républicain de la IIIe République.

Eugène Réveillaud

Eugène Réveillaud

    Eugène Réveillaud était né en Saintonge, à Saint-Coutant (Charente-Maritime), dans une famille catholique. Après avoir fréquenté le petit séminaire de Pons, il avait abandonné toute foi chrétienne. Il s’était marié civilement à Paris puuis établi comme journaliste et avocat à Troyes où il était devenu un dignitaire de la Franc-Maçonnerie.

    Jacques Berthe, nullement impressionné par l’éloquence athée de notre homme, lui avait ouvert sa maison et les deux hommes se lièrent d’amitié. Le pasteur accepta de présider en juin 1874 le service d’inhumation du premier enfant du journaliste, mort au bout de quelques jours. Il réussit à convaincre Eugène Réveillaud de faire baptiser son deuxième fils, né en mars 1876. L’avocat est alors de plus en plus sensible au message évangélique que lui présente le pasteur au cours de leurs conversations. Sa vision religieuse et politique évolue peu à peu. Eugène Réveillaud publie bientôt un ouvrage, La question religieuse et la solution protestante, où il présente la foi réformée comme un espace de piété pleinement compatible avec la République.

    Sa conversion personnelle intervient peu après. Il la raconte dans le manuscrit de ses Souvenirs, conservé à la Bibliothèque du Protestantisme à Paris : En rêve, dans la nuit du 13 au 14 juillet 1878, il se voit discutant de questions religieuses avec un couple d’amis de la ville de Troyes. Il récite alors le Symbole des apôtres. « En arrivant, dit-il, aux termes « et de là Il viendra pour juger »… mon rêve se transforma en vision de nuit… je sentais la terre trembler et se fendre sous moi… je me disais… quel bonheur, je n’ai pas peur, je crois ! « Et comme… je retrouvai la suite : « Je crois au Saint-Esprit », j’eus alors la sensation très vive d’une boule de feu m’entrant dans le cœur et le remplissant de chaleur et d’amour. De ce coup… je me réveillai, avec cette assurance que je venais de recevoir… le baptême « d’Esprit et de feu »… … Je me tâtai, bien réveillé… je redis une seconde fois le Symbole ; or, chaque fois que ce nom du « Saint-Esprit »… revenait sur mes lèvres, la sensation de la boule de feu revenait de nouveau ! … Je réveillai ma femme… Elle ne douta pas et me dit « Quel bonheur ! »

    Le lendemain matin, Eugène Réveillaud témoigna de sa foi nouvelle lors du culte au temple de Troyes, où Jacques Berthe venait de prêcher sur la vision du diacre Étienne. Le journaliste resta toute sa vie un ardent propagandiste de l’Évangile. Son élection comme député de la Charente-inférieure de 1902 à 1912, puis comme sénateur, de 1912 à 1921, lui donnèrent une légitimité considérable dans les réunions publiques organisées autour de lui par la Mission Populaire Évangélique. Eugène Réveillaud fonda alors un journal protestant, Le Signal, destiné à présenter la foi chrétienne à un public incrédule.

    Au cours de sa carrière politique ultérieure, il joua un rôle décisif dans la préparation de la loi de séparation des Églises et de l’État. Il y milita pour la mise en place d’une réelle conciliation.

    Pour l’heure, le pasteur Jacques Berthe et son épouse avaient rejoint une nouvelle paroisse, chère à leur coeur, celle de Brest, où ils sont affectés dès novembre 1878, quelques mois seulement après la conversion du futur sénateur…

Jean-Yves Carluer