La carrière de missionnaire de John Jenkins en Bretagne suivit les étapes classiques d’un établissement en une terre à peu près inconnue. Il s’était déjà rendu compte lors de son voyage exploratoire que la langue parlée de ce côté-ci de la Manche différait sensiblement de celle qu’il pratiquait au Pays-de-Galles. En dépit d’une commune origine celtique, les divergences étaient nombreuses. Le breton s’était chargé de locutions françaises. Quant au vocabulaire religieux, largement composé d’expressions calquées sur le latin ou le français des séminaires, il formait presque une langue à part, le « breton de curé » (Bréhonnec Bellec), à laquelle les fidèles s’étaient habitués.
Voilà pourquoi la première tâche de John Jenkins fut d’observer. On le vit donc à la messe en 1835 et 1836, aussi bien à Morlaix que dans les paroisses rurales voisines. Son épouse et lui-même s’essayèrent ensuite à converser avec les voisins ou les commerçants.
Dans une deuxième étape, John Jenkins se fit colporteur. Seul au début, puis avec l’aide d’un salarié de la Société Évangélique de France ou de la Société Biblique de Paris, il prit les routes du Petit Trégor. Il restait encore des centaines d’exemplaires de l’édition du Nouveau Testament de Le Gonidec. C’était l’occasion d’en écouler le stock subsistant, de lire des passages des Évangiles aux acheteurs éventuels tout en notant leurs remarques. Et là encore, John Jenkins dut se rendre à l’évidence : la plupart des Bretons étaient analphabètes !
Il fallait donc commencer par le b.a.-ba. C’est d’ailleurs le titre de l’abécédaire que le missionnaire fit imprimer sur les presses du libraire Lédan, de Morlaix : Ann A.B.K. ; pe kenteliou ber hag eaz da ziski Brekonnek en enbaudik a amzer. Ce petit livret devait être distribué avec les Nouveaux Testaments.
De son côté, John Jenkins se perfectionnait en breton tout en apprenant le français, langue également nécessaire à son ministère puisque son collègue Achille Le Fourdrey lui avait confié la charge d’âmes des quelques dizaines de réformés qui résidaient dans l’arrondissement de Morlaix. Il traduisit des cantiques et rédigea un court traité de présentation de la foi évangélique en langue bretonne. John Jenkins commença donc à attirer l’attention du clergé catholique qui le dénonça en chaire. Il dut faire imprimer ses productions à Brest.
John Jenkins pouvait écrire en mars 1836 dans le journal gallois Ystorfa y Bedyddwyr qu’il avait distribué 109 Nouveaux Testaments en breton, dont 17 sur la commune de Plougasnou, 12 Nouveaux Testaments en français, 158 A.B.K. et 193 traités.
Pour l’heure, le missionnaire était désormais de plus en plus absorbé par sa tâche pastorale à Morlaix et par de longs démêlés avec l’administration pour pourvoir y construire un temple. malgré tout, il se perfectionnait en breton au cours de ses tournées dans les campagnes et avait noué des contacts avec les notables libéraux de la région, comme l’écrivain Émile Souvestre ou l’entrepreneur Aristide Andrieux, important industriel papetier. Ces hommes sont d’autant plus favorables au pasteur qu’ils étaient déjà associés au réseau des hommes d’affaires protestants nantais. François-Marie Andrieux était un ami de Thomas Dobrée et de Frédéric de Conink, et avait initié Charles Haentjens au négoce dans son établissement de Morlaix.
Le pasteur multiplie les éditions de petits traités en langue bretonne, essentiellement des traductions de courtes biographies issues du catalogue de la Religious Tract Society qu’il fait imprimer aux frais de la Société des Traités Religieux de Paris.
John Jenkins, correspondant et expert pour la Société Biblique Britannique et Étrangère, est amené à donner son avis sur la version Le Gonidec en cours d’épuisement. Il se sent assez sûr de lui pour proposer une révision générale de cette traduction. Il reçoit en 1838 une réponse favorable du Rev. Philipps[1]. C’est également l’avis du comité missionnaire baptiste gallois. Je cite : « Une deuxième édition [de Le Gonidec] ne serait pas utile sans une révision radicale. D’abord et surtout, la traduction faite à partir de la Vulgate […] incorporait les différentes conceptions erronées papistes […] Deuxièmement, la langue est aussi incompréhensible aux gens du peuple que l’est la publication du Paradis perdu du Dr Owen Pugh à la masse des habitants du Pays-de-Galles »[2].
Il ne restait plus qu’à se mettre au travail…
(A suivre)
[1] Ystorfa Y Bedyddwyr (Le magazine des Baptistes),1838, p. 251.
[2] Ystorfa Y Bedyddwyr, 1840, p. 121. Traduction de Dewi Morris Jones