L’Edit de Nantes en Bretagne -3

L’enregistrement de l’Édit de Nantes en Bretagne

    Tant qu’un Édit du roi n’avait pas été « enregistré » par une cour souveraine locale, comme l’était le Parlement de Bretagne, il n’était pas applicable dans la province. Toute l’histoire moderne du royaume, depuis le Moyen Age jusqu’à la Révolution de 1789, atteste des difficultés de la royauté à imposer sa volonté aux magistrats provinciaux. La monarchie française n’a jamais été absolue dans ce domaine, tout particulièrement dans des provinces comme la Bretagne qui étaient des Pays d’États.

    Il était donc fatal que l’Édit de Nantes, texte de compromis, signé par un roi qui avait été huguenot, se heurte au mauvais vouloir des hauts magistrats de divers parlements et cours souveraines de la province. Ces magistrats, quoique officiers, c’est-à-dire qu’ils avaient acheté leur charge ou en avaient hérité, s’estimaient en droit de s’opposer à la volonté du monarque.

    Le roi avait cependant quelques possibilités de les faire plier, mais la procédure était complexe et délicate. S’agissant d’un domaine qui touchait à la conscience de ces hauts magistrats, les négociations se révélèrent difficiles, aussi bien en Bretagne qu’en Normandie où il fallut patienter plusieurs années..

Le refus parlementaire

Arrêts du Parlement

Le célèbre recueil d’arrêts du Parlement de Bretagne, dû à Noël du Fail

    La mise en place de l’Édit dans l’ancienne province de Mercoeur apparut des plus complexes. Le fait ne venait pas du gouverneur Charles de Cossé, comte de Brissac et maréchal de France, beau-frère de Saint-Luc et époux de Judith d’Acigné, dernière représentante de la maison des Acigné qui avait été parmi les premiers à accueillir la Réforme en Bretagne1. Les obstacles vinrent des cours souveraines bretonnes qui refusèrent d’enregistrer l’édit jusqu’à la limite extrême du possible. Le plus connu est d’abord celui du parlement de Bretagne :

     Après avoir été fortement pénétré par les idées huguenotes dans les années 1560, les magistrats rennais affichaient hautement leur catholicisme. Et ce n’étaient certes pas les accusation de modérantisme venus de leurs collègues et concurrents nantais qui les avaient fait changer d’avis. Pendant les années qui précédèrent l’édit, conseillers et présidents ne voulurent céder en rien. C’est en robes noires que les parlementaires bretons suivirent la procession du sacre et demandèrent à Dieu d’assurer la conversion du roi, le 10 juillet 1593. Mais c’est en robes rouges qu’ils assistèrent au Te Deum qui fut chanté dans l’église Saint-Pierre de Rennes le 22 décembre 1595, après que le roi eut été absous par le pape2.

      L’opposition des parlementaires bretons à l’édit de Nantes a été diversement appréciée3. Les protestants, bien sûr, ressentirent la mauvaise volonté des magistrats comme une marque d’hostilité absolue4. Un contemporain, le pasteur breton François Oyseau, écrivait depuis Rennes son amertume à Duplessis-Mornay : Combien que le dernier édict de pacification ait été donné en cette province de Bretagne, néanmoins c’est la dernière de toutes où il a été vérifié et publié, et a fallu pour les y contraindre que finalement S.M. en soit venue à l’interdiction des opposants, et les autres encore s’en sont acquittés si légèrement qu’ils ont bien faict paroistre qu’ils ne l’ont fait qu’à leur grand regret et par forme d’acquit, au lieu que le funeste édict de 1585 fut par deux fois publié à robes rouges et proclamé par les quarrefours avec feux de joie et chants de Te Deum. 5 A partir de ce moment, les protestants ont conclu à une hostilité systématique des parlementaires bretons aux Réformés, confirmée par les nombreuses mesures vexatoires du siècle suivant. Pourtant, le pasteur Oyseau se trompait déjà en croyant la Bretagne bonne dernière dans l’enregistrement de l’édit de Nantes : Le parlement de Rouen traîna encore davantage…

     Les historiens contemporains ont pour le moins nuancé l’interprétation traditionnelle réformée. D’après Henri Carré, « l’édit de Nantes… ne rencontra pas une très sérieuse opposition à la Cour de Rennes ; les magistrats bretons refusèrent bien tout d’abord de procéder à sa vérification, mais il se décidèrent à la subir dès l’année 1600, se contentant d’adresser à son sujet des remontrances au Roi et de déclarer à l’audience qu’ils ne pouvaient « approuver » aucune autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine 6».

    Le parlement de Bretagne a effectivement bien tardé à vérifier l’édit de Nantes, ce qui n’intervint que 16 mois après sa promulgation. Il faut dire que Henri IV lui-même ne s’est pas empressé de le soumettre à ses « amés et féaux ». C’est le 7 septembre 1599 seulement que les Gens du roi présentent à la cour l’ensemble de l’édit. Le maréchal de Brissac, lieutenant général pour la Bretagne, est accompagné de Charles Turcan, conseiller au conseil privé et maître de requêtes à Paris, un haut magistrat catholique qui est le véritable commissaire chargé de faire appliquer l’édit en Bretagne. Le retard est-il le fait de secrètes négociations ou tout simplement du désir du roi de ne pas heurter trop vite la sensibilité des magistrats bretons ? La concorde religieuse n’est pas une priorité dans la province, et les plaies militaires et politiques y sont à peine cicatrisées… Comme le retard du roi dépasse un an, il doit accompagner l’édit de lettres de relief de surannation7. Le parlement commet alors quatre conseillers pour étudier les textes. L’un au moins d’entre eux, François Becdelièvre, a eu des parents huguenots mais n’en est pas moins devenu fervent « apostolique et romain ».

Jean-Yves Carluer

(à suivre…)

1 Judith d’Acigné, malgré un prénom qui laissait entendre un baptême réformé, n’était plus huguenote.

2 Henri Carré, Essai sur le fonctionnement du parlement de Bretagne après la Ligue, Paris, 1888, p. 272-273.

3 L’étude la plus complète sur le sujet se trouve dans Ch.-A. Cardot , « L’enregistrement des lettres patentes au parlement de Bretagne à la fin du XVIe siècle (1589-1599) », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, T. XLIV, 1964, p. 107-147.

4 Charles Cardot n’a relevé que trois cas d’enregistrement immédiat de lettres royales par le parlement de Bretagne entre 1589 et 1600. La cour a enregistré le jour même de leur réception, en septembre 1589, les lettres contenant l’engagement solennel du roi de maintenir la religion catholique dans le royaume de France, et six ans plus tard il en a été de même de la déclaration de guerre à l’Espagne. Telles sont les priorités d’un parlement attaché tout aussi profondément à la fidélité dynastique et à la défense du catholicisme.

5 Lettre de F. Oyseau à Duplessis-Mornay, 22 octobre 1600, ms 7535 de la bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français. L’édit de 1585 est celui de Nemours.

6 Henri Carré, op. Cit., p. 447, les faits cités sont datés respectivement des 24 septembre 1599 et du 23 août 1600.

7 Registre secret 11, folio 26.