Rennes huguenote : les origines (7)

1572-1585 : le sursis

    L’Église calviniste de Rennes avait, on l’a vu, rapidement perdu son dynamisme à la suite des multiples vexations dont elle faisait l’objet. Sans doute, la création de nouvelles communautés protestantes autour de châteaux de la région comme Ercé-près-Liffré avait-elle aussi contribué à affaiblir la congrégation urbaine en ponctionnant nombre de représentants de la noblesse. Mais l’œuvre urbaine subsistait.

    Et puis vint la Saint-Barthélemy. Événement aussi brutal qu’imprévu, l’événement décapitait le protestantisme français. Les massacres de Paris ne s’étendirent pas à la Bretagne, contrairement aux souhaits de son gouverneur. Mais la panique fut grande parmi les Réformés.

    Nous n’avons aucun témoignage de protestants rennais sur l’événement. Mais nous disposons cependant de celui d’un voisin, Charles Gouyon de La Moussaye, l’époux de Claude du Chastel qui avait, quelques années plus tôt, fréquenté les huguenots de la ville :

     « Sur ces entrefaites, la journée Saint-Barthélemy avint […] Nous en eusmes lettre pleine d’effroy. Car on disait que le commandement estoit de tuer et massacrer par tout le royaume les huguenots […] Il fut avisé qu’elle [Claude du Chastel] se retirerait chez M. le marquis de Coetquen, attendant voir ce qui se ferait. Je la y conduit, et de ma part je m’en allay auprès de Rennes, où mon père me vint voir, et par conseil me retiray au Val du Guildo, maison située au bord de la mer, de garde facile, éloignée des grans chemins ; où je fis aussy venir ma chère femme. Et y fusmes par la grâce de Dieu en repos pendant ces tems calamiteux et pleins d’effroy et de meurtres et massacres« [1].

Les ruines du château de Coetquen, en Saint-Hélen (Côtes-d'Armor)

Les ruines du château de Coetquen, en Saint-Hélen (Côtes-d’Armor)

     Ce court extrait est très révélateur. Il décrit la panique qui saisit alors les protestants bretons. Mais ces derniers se ressaisissent bientôt, constatant que le réseau seigneurial local entend les protéger. « J’avais de bons amis« , écrit Charles Gouyon. Il s’empresse de mettre sa jeune épouse à l’abri chez ses oncle et tante derrière les hautes murailles de Coëtquen, une forteresse proche. Qui oserait défier le futur marquis Jean IV de Coëtquen, bon catholique, mais aussi Lieutenant du Roi en Bretagne et gouverneur de Saint-Malo ? Les jours passant et le calme s’instaurant, les époux préfèrent se faire oublier dans une retraite éloignée mais proche de la mer, au manoir du Val du Guido, aujourd’hui Val d’Arguénon.

     Les protestants rennais semblent vivre une destinée semblable, chacun à son niveau. La panique et les menaces dispersent la communauté. Le pasteur Du Gravier doit s’enfuir. Certains huguenots semblent même avoir abjuré. Et puis, peu à peu, des protestants reviennent dans la ville et se retrouvent clandestinement, sans doute dans quelques maisons particulières. La paix officiellement rétablie pour un temps, on sait qu’ils se sont réunis le 17 juin 1576 au logis du Bois-du-Lierre, demeure où résidait Françoise de Tournemine. Ils y ont écouté le pasteur Guineau, de Sion-les-Mines, qui avait pu rester à son poste, sous la protection de René de La Chapelle. Françoise de Tournemine, veuve d’Henri 1er de Rohan, était également alliée avec René de Tournemine, le futur Lieutenant-Général de la province que l’on soupçonnait d’être proche des protestants.

    Dans les années qui suivirent, les réformés rennais, toujours sans pasteur, prirent l’habitude de se réunir non loin de la ville dans une maison du hameau du Cerisier, en la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Lande. Les bâtiments ont disparu, détruits avant même la création de l’aéroport, mais la mémoire du lieu-dit subsiste sous la dénomination de « Temple du Cerisier », terme qui se réfère, non aux huguenots, mais à une ancienne possession de l’ordre des Templiers.

     La congrégation protestante se reformait peu à peu, visitée à l’occasion par les pasteurs des environs, Merlin, Guineau ou Berni, en poste à Sion ou Vitré. L’Église de Rennes s’était suffisamment organisée en 1578 pour déléguer au synode provincial de Vitré un ancien nommé Jean Boussel (ou Roussel), sieur de Livriac[2]. Un certain nombre de protestants, conseillers au Parlement de Bretagne, avaient retrouvé leur office, souvent après une abjuration de façade. Ils faisaient le lien avec d’autres magistrats que l’on peut classer dans la catégorie des catholiques modérés. On commençait à appeler ces derniers « malcontents » ou « politiques ». Il joueront bientôt un rôle décisif dans le choix des Rennais de se rallier à Henri IV, décision qui scellera la fortune politique ultérieure de la ville…

    Car le cours de l’histoire s’accélère. La constitution de la « Sainte Ligue » a radicalisé le conflit religieux en France et la Bretagne, cette fois, n’échappe plus à la guerre civile.

 Jean-Yves Carluer

[1] Mémoires de Charles Gouyon, baron de La Moussaye (1553-1587), Paris, ed. 1901.

[2] Il existe un lieu-dit Livriac sur la commune d’Iffendic.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *