Saint-Malo 1560

Nouvelles lumières sur l’Église de Saint-Malo, 1560-1568.

    La première Église calviniste de Saint-Malo est une des communautés huguenotes bretonnes sur lesquelles nous savions peu de choses. Le tout tenait en deux ou trois phrases : un lieu d’exercice, au château du Plessis-Bertrand en Saint-Coulomb, un seigneur protecteur, Christophe de Chateaubriand, époux de Charlotte de Montgomery, un pasteur, le sieur Mahot, et une date tragique : 1569. La communauté calviniste se disperse alors à la suite du décès de son protecteur lors de la bataille de Jarnac. L’Église se relèvera pourtant, mais plus tard, sous la sauvegarde de l’Édit de Nantes.

    Il se trouve qu’une récente étude d’Antoine Rivault, élaborée dans le cadre de la préparation de sa thèse sur le duc d’Étampes, gouverneur de Bretagne lors de la Réformation dans la province, vient apporter de nouvelles et intéressantes lumières sur l’Église réformée naissante de Saint-Malo[1].

    Antoine Rivault a dépouillé la très intéressante correspondance de Georges du Bueil, seigneur de Bouillé, qui était alors gouverneur de Saint-Malo, vice-amiral de Bretagne et lieutenant général de la Province à partir de 1560. Lors des fréquentes absences du gouverneur en titre, il était le représentant du roi en Bretagne. Ce que l’on connaissait de la partie de ses lettres déjà éditée au XVIIIe siècle, montrait un homme scrupuleux à l’extrême, proche de Catherine de Médicis, défavorable aux huguenots, mais honnête[2]. Sa préoccupation première était le service de l’État.

Le souci constant, qui frise à l’obsession, de Georges du Bueil est de s’opposer à d’éventuelles entreprises anglaises sur les côtes de Bretagne en général et sur la place forte de Saint-Malo en particulier. Le souci n’est pas dénué de pertinence si l’on se souvient des multiples « descentes » britanniques sur les côtes bretonnes. Mais, à l’exception des événements de 1573 lorsque Belle-Île avait été occupée par les Anglais alliés de Gabriel de Montgomery, le danger britannique se révéla plus hypothétique qu’autre chose en Bretagne lors des Guerres de religion. Mieux, si une armée venue d’outre Manche débarqua finalement à Paimpol en 1591, ce fut à l’appel des États de Bretagne eux-mêmes, en accord avec le roi Henri IV, et pour chasser les Espagnols ! Comme quoi la politique n’est jamais simple, en ce temps-là comme dans le nôtre.

Saint-Malo. Ancienne tour médiévale de l'enceinte du château.

Saint-Malo. Ancienne tour médiévale de l’enceinte du château.

    Revenons donc à Saint-Malo. Pour Bouillé, les Huguenots ne pouvaient être que les alliés naturels et donc les complices des Anglais. Et c’est là que sa correspondance devient très intéressante à propos des protestants de Saint-Malo. Elle nous apprend que « dedens la ville de St Malo il y a bien plusieurs gentilshommes du pays et aultres qu’on congnoist qui sont de ceste nonvelle loy ausquelz on ne peult refuser la porte car ilz ne sont point declairez ennemys« [3]. Le lieutenant général les estime assez nombreux pour pouvoir organiser en cas de conflit un retranchement dans la partie la plus haute de la ville ! C’est pourquoi Bouillé prend contre eux une mesure radicale : les habitants trop ouvertement calvinistes sont chassés de la cité dès 1560. Le gouverneur estime qu’ils sont alors partis se réfugier en Angleterre. Selon une lettre de 1562, d’autres auraient trouvé refuge dans les environs et particulièrement près du petit port du Guildo[4]. Bouillé fait désarmer ceux qui sont restés dans la ville, mais doit bientôt constater que leurs « armes sont aux champs, car je n’ai presque rien trouvé« .

    La dynamique favorable au calvinisme ne semble pas fléchir lors des années suivantes. Bouillé se plaint de ce que les négociants catholiques de la ville préfèrent la poursuite de leurs affaires avec le voisin britannique plutôt que de fermer la cité aux étrangers. Dans une lettre très intéressante adressée en 1568 à Catherine de Médicis, le lieutenant général s’inquiète des cultes qui se tiennent au Plessis-Bertrand : « ung praische qui se faict auprès de la ville de St Malo, que les habitant doubtent qu’il pouroit amener quelque grand inconvénient en icelle et que tous les jeunes bourgeois s’y laissent attirer et oultre tous les anglais et autres estrangers qui y abordent et grand nombre des gentilzhommes de là autour« [5]. Bouillé présente une description assez vraisemblable de la communauté protestante de Saint-Malo à cette date. Elle ressemble fort à ce que l’on sait des autres Églises calvinistes de la province : des familles de gentilshommes des campagnes d’alentours, des étrangers en résidence, des jeunes épris d’idéal… Le lieutenant-général confirme cette composition dans un autre courrier adressé cette année-là au duc d’Anjou et où il dénonce l’œuvre du « comte » Christophe de Chateaubriand, sieur de Beaufort, devenu gendre de Montgomery : « les jeunes habitans s’y laissent attirer et tous les anglais et autres estrangers qui y abordent, et grand nombre de la noblesse de là autour là où ledit conte est souvent« [6].

    Il fallut donc la tragique charge de cavalerie de Jarnac qui décima la noblesse huguenote le 13 mars 1569, pour que s’éteigne pour un temps le développement de la Réforme en pays malouin…

Jean-Yves Carluer

[1] Antoine Rivault, « La correspondance de Georges de Bueil, seigneur de Bouillé : un témoignage inédit sur Saint-Malo pendant les guerres de Religion (1560-1578) », Annales de la société d’histoire et d’archéologie de l’arrondissement de Saint-Malo, 2015, p. 179-200.

[2] Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de Bretagne, tirés des archives de cette province, de celles de France et d’Angleterre, des recueils de plusieurs sçavans Antiquaires…, Paris, 1744.

[3] Antoine Rivault, op. cit., p. 184.

[4] L’indication interpelle : Ces protestants auraient choisi pour retraite des terres appartenant au baron Amaury de la Moussaye, le futur beau-père de Claude du Chastel. A cette époque, pourtant, Charles, son fils, n’avait pas encore croisé le chemin de la belle Claude. Il faudrait donc supposer qu’Amaury se rangeait déjà au nombre des sympathisants de la Réforme, ce qui est fort possible…

[5] Bibliothèque nationale de France, Manuscrits français, 15882, f° 269.

[6] Idem, f° 271.