La fin des Laval-Coligny
Le siècle de Louis XIV est globalement celui de l’extinction progressive des grandes familles aristocratiques protestantes, et cela, bien avant le drame de la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685. En effet, le réseau des élites huguenotes s’effiloche durant les premières décennies du XVIIe. C’est le résultat conjugué des derniers conflits qui perdurent, des feux de la Contre-Réforme catholique et de la politique royale qui conduit à l’absolutisme. Le nouveau système de gouvernement tourne la page de la féodalité pour centraliser les prises de décision à Paris puis à Versailles. Désormais la fortune des grandes familles dépend des libéralités royales. Le Pouvoir leur fait savoir que leur intérêt est de retourner à Rome pour jouir de pensions, de titres et de responsabilités diverses. Les révoltes des années 1620, conduites par les Rohan, conduisent à un échec qui accélère ce processus. Ajoutons encore les guerres continuelles qui déciment la noblesse, car les carrières aristocratiques se construisent à partir de responsabilités militaires où nos huguenots excellent mais perdent progressivement leur foi, à l’exemple de Turenne. Le feu ennemi éclaircit les rangs de la noblesse de France, et, quand il ne suffit pas à cette tâche, les gentilshommes se massacrent entre eux lors de duels fratricides pour de multiples futilités.
La Bretagne se trouve concernée par cette évolution qui touche plusieurs des grandes familles seigneuriales. Jusqu’à 1’Édit, le protestantisme breton avait eu deux protecteurs : les Laval et les Rohan. Cette dualité n’avait pas été sans jalousies ni menus conflits, mais au moins elle avait permis un double appui. Quand Vitré était encore mal affermi, Blain avait été un refuge sûr, puis, quand la forteresse des bords de l’Isac était tombée, la ville d’Anne d’Alègre était devenue une petite Genève bretonne.
Le petit fils de d’Andelot
C’est pourtant là que fut porté, au début du siècle, un rude coup. Anne d’Alègre, devenue maréchale de Fervaques, avait quitté sa ville pour la Normandie voisine où son époux était gouverneur. Son fils François, l’unique héritier de Guy de Laval et descendant de François d’Andelot, celui-là même qui avait « apporté l’Arche » en Bretagne, était devenu l’espoir des protestants, et pas seulement à Quintin, La Roche-Bernard, ou Vitré. Il avait été élevé par le pasteur Tilenus à Sedan, à l’écart des combats qui faisaient alors encore rage dans le Royaume. Ce jeune homme brillant, érudit, mais de moeurs légères, partit bientôt pour l’Italie.
Sa foi huguenote était-elle déjà chancelante, fut-i1 plutôt ébloui par les fastes d’un catholicisme en plein essor qui savait user de tous les stratagèmes ? En tout cas, son adhésion à la religion romaine se révéla une éclatante victoire pour la Contre-Réforme. C’est à Naples, le 16 septembre 1604, à la suite d’une «liquéfaction du sang de Saint-Janvier », que le jeune homme aurait été gagné au catholicisme, bientôt encouragé par Bérulle et le père Cotton. Il abjura solennellement le lundi de Pâques 1605, malgré les admonestations de sa mère, de Duplessis-Mornay, et de tout ce qui comptait dans le parti protestant. Il n’avait que 19 ans12.
La conversion du jeune comte fit grand bruit. Certains huguenots incriminèrent l’influence des doctrines arminiennes qui lui auraient été inculquées par le pasteur Tilenus. Le débat théologique portait sur la doctrine de la prédestination calviniste que le pasteur hollandais Arminius voulait pour le moins nuancer. Ce fut un des grands sujets de luttes internes des Réformés au début de ce siècle-là.
Le 6 juin 1605, quelques mois après son abjuration, François de Laval vint à Vitré pour s’y montrer le protecteur du catholicisme, comme le décrit le registre des décès de la paroisse Notre-Dame : » Il arriva en cette ville de Vitré… et, le jeudi suivant qui estoit le jour de Sainct-Sacrement, après avoir ouï dévottement la messe et le sermon, assista tout au long, la teste nue avecques toutte sa noblesse, [à ] la procession qui finit peu d’avant deux heures« .
Chez les protestants de Vitré et surtout ceux de La Roche-Bernard, qui dépendaient étroitement pour leurs exercices de la tutelle de la maison de Laval, ce fut la consternation. Mais celle-ci fut momentanée. Peu de mois après, une nouvelle inattendue fit frissonner la ville : le 3 décembre de cette même année, François de Laval, selon son nom dynastique Guy XX, venait d’être tué en Hongrie par les Turcs qu’il combattait sous la bannière de la Chrétienté.
Le fabuleux héritage des Châtillon-Rieux-Laval passait entre de nouvelles mains qui se révélèrent être protestantes.
(A suivre)
1Anonyme, La conversion de monsieur le comte de Laval, avec la dispute faite par luy contre les Ministres, et la vérité par luy recognue dans la Foy Catholique, Apostolique et Romaine. Ensemble la lettre envoyée à Madame la Maréchalle de Fervaque, sa mère, sur le sujet de sa conversion, Paris, 1635, 15 p.
Abbé Le Rebours, chanoine de Lisieux. Consolation funebre à Mme la mareschalle de Farvagues, sur la mort de Mgr de Laval son fils, Rouen : R. Du Petit. Val, 1606, in-814 ;
David Rivault de Flurence. Lettre à madame la maréchale de Fervacques, contenant un bref discours du voyage en Hongrie de feu le comte de Laval son fils, 1607, in-12 ;
Abbé Angot, Guy XX de Laval. Sa conversion. Son expédition en Hongrie. Sa mort, Laval, A. Goupil, libraire-éditeur, 1891