Rochefort-en-Terre

Une Église calviniste, aussi !

     La petite cité morbihannaise de Rochefort-en-Terre a été élue en juin 2016 village préféré des Français. Il est vrai que le lieu est assez exceptionnel.

     Si j’en parle sur ce site, c’est que Rochefort-en-Terre fait partie des quelques dizaines d’agglomérations à avoir donné leur nom à une communauté réformée bretonne.

     A l’origine de cette réalité, attestée de 1560 à 1630 environ, se  trouvait la conjonction de deux facteurs.

    La châtellenie de Rochefort-en-Terre était à l’époque de la Réformation une des nombreuses seigneuries de la puissante famille protestante des Laval-Rieux. Elle eut comme suzerains Renée de Rieux, la baronne huguenote de Vitré, puis le fils de sa sœur Claude, l’épouse de François d’Andelot. Mais des propriétaires aussi lointains ne pouvaient durablement y installer une Église sans relais locaux.

Un seigneur déterminé

Le Brossais Saint-Gravé

Le Château du Brossais en Saint-Gravé (Morbihan), vers 1950. L’édifice a été largement reconstruit au début du XVIIe siècle à partir du manoir initial.

    C’est à ce niveau que le rôle de Christophe du Matz, seigneur du Brossais, dans la paroisse voisine de Saint-Gravé, apparaît déterminant. Ce gentilhomme, dont nous savons finalement assez peu de choses, appartenait à la noblesse seconde de la province mais possédait une expérience militaire reconnue qui l’avait fait choisir comme capitaine de tout l’arrière-ban de l’évêché de Nantes. Sans doute dut-il se convertir au protestantisme au cours de l’année 1558.

    Il eut, dès ce moment, un rôle décisif quand il contribua, avec sa troupe, à protéger les huguenots du Croisic aux prises avec l’évêque de Nantes.

    Désormais, Christophe du Matz apparaît comme le bras armé du parti protestant dans le sud de la Bretagne. C’est ce qu’estimait le sieur de Bouillé, lieutenant général de la province, quand il écrivait en 1559 depuis Nantes au gouverneur, le duc d’Étampes : « Ce matin, le sieur du Brossay (Saint-Gravé), nous est arrivé avec un certain nombre d’hommes à cheval, et, comme on sait bien qu’ils sont calvinistes, on a des soupçons et des craintes en les voyant ensemble ; on a fait des visites domiciliaires, sans trouver d’armes ; je travaille à persuader aux gens d’Église de tenir des hommes sous les armes, car c’est eux que cela regarde le plus ».

    Le seigneur du Brossais, Christophe du Matz, pouvait à tout moment être accusé de sédition en cette période de troubles. Bouillé le surveillait attentivement, par exemple en août 1560 : « Il y a eu une révolte dans la ville de Nantes ; un homme a été grièvement blessé, et M. du Brossay est accusé d’avoir porté le coup. Je ne crois pas que ce soit lui, car je l’ai toujours reconnu pour un homme rassis et discret ». Retenons cette dernière formule comme un hommage porté à la pondération et l’intelligence du seigneur du Brossais. Christophe du Matz Saint-Gravé était un cousin de Jean du Matz de Montmartin qui fit la carrière que l’on sait à la tête des troupes protestantes puis royales. Hélas, moins chanceux que le seigneur de Terchant, il perdit la vie lors des guerres de religion en Normandie. Il fut tué en défendant Domfront en mai 1574 contre les troupes du maréchal de Matignon.

Une création discrète

    Nous devons nous contenter, pour connaître les origines de l’Église protestante de Rochefort-en-Terre, de la brève notice que lui consacre le pasteur Lenoir, sieur de Crevain : « De bonne heure en ce lieu quelques élus furent appelés à l’exemple de son zèle et sous son abri; mais…le nombre n’en fut accru que sur le tard jusqu’à pouvoir former une Église..[1]. »

Rochefort en Terre

Rochefort-en-Terre. Wiki commons

    Le noyau initial n’était constitué probablement que de quelques officiers de la seigneurie et de nobles du voisinage. Le château du Brossais en Saint-Gravé accueillit un prêche dès 1561 à l’époque du synode de Châteaubriant, et abrite « une Église circonvoisine où il n’y avait point encore de ministre[2]« . Elle réussit à se constituer en communauté reconnue avec pasteur vers 1565. Philippe Birgan, sieur du Bignon, désigné comme ministre de Rochefort-en-Terre, est présent au château de Blain lors de la cène solennelle qui y est célébrée le 29 mai 1569[3].

    Le prêche a lieu très probablement au château du Brossais, à une lieue de la cité, sous couvert du droit d’exercice de son seigneur. Selon les édits, les barons de Rieux-Laval, non résidents, ne peuvent établir un temple à Rochefort.

    Cette situation semble avoir perduré jusqu’à la Saint-Barthélemy (1572) ou au plus tard jusqu’en 1574, date du décès de Christophe du Matz. La seigneurie du Brossais passa à son frère Nicolas, sieur de Casteneuc, qui n’était pas huguenot.

    La petite communauté protestante de Rochefort-en-Terre eut à subir une longue période de difficultés entre 1585 et 1598. La région se trouvait au sein des terres dominées par le duc de Mercoeur.  Les protestants trouvèrent refuge dans une certaine clandestinité ou partirent se réfugier, par exemple à Vitré. Nicolas Thierry, procureur fiscal de la seigneurie en 1599, et Jacques Jollan, avocat à Redon, s’y trouvaient lors des guerres de la Ligue[4].

    La seigneurie de Rochefort-en-terre est achetée en 1607 par Charles de Lorraine, duc d’Elbeuf, et n’est donc plus désormais entre des mains protestantes. Pourtant Crevain signale que la communauté protestante y est toujours vivante lors des premières décennies du XVIIe siècle, probablement renforcée par les débris des anciens exercices de Ploërmel ou de Muzillac  : « C’est une Église qui a tenu bon, et qui s’est relevée  de temps en temps […] et à ne finir sa durée qu’avec le ministère de mon père, le sieur de Crevain, en 1630… » écrit encore l’historien[5]. Cela voudrait dire qu’un prêche se tenait toujours jusqu’à cette date à Rochefort-en-Terre, desservi par le pasteur de La Roche-Bernard. Si l’on ne met pas en doute son témoignage familial, un mystère subsiste sur son statut juridique. Crevain estimait que la ville était un lieu d’exercice officiel, au titre de baillage, ce qui n’est pas confirmé par les autres sources. Peut-être bénéficiait-il alors d’une tolérance locale. C’est un des nombreuses questions qui restent à élucider sur cette communauté protestante dont ne subsiste aujourd’hui que le cadre pittoresque qui l’abrita pendant plus d’un demi-siècle.

Jean-Yves Carluer

[1] Crevain, Histoire ecclésiastique…, p. 148

[2] Idem, p. 71.

[3] Ibidem, p. 165.

[4] B.M.S. de Vitré, octobre 1600

[5] Crevain, op. cit., p. 149.