Religion en Bretagne aujourd’hui

     Le titre de l’ouvrage collectif édité par le CRBC annonce clairement le propos : faire le point sur l’état religieux de la province au début du XXIe siècle.

Religion (s) en Bretagne aujourd'hui

Religion (s) en Bretagne aujourd’hui

    Le projet a été porté conjointement par un historien des religions, Yvon Tranvouez, assisté d’un sociologue, André Rousseau, au sein d’une équipe qui était, en quelque sorte, déjà constituée : une vingtaine de spécialistes du fait religieux se côtoyaient depuis plusieurs années au sein de la section Religion de l’Institut culturel de Bretagne ou dans les programmes de recherche en histoire culturelle du C.R.B.C., laboratoire CNRS associé à l’Université de Brest. Dans le cadre de cette oeuvre collective, j’avais la tâche de présenter et d’analyser la part du protestantisme actuel. Nous y reviendrons ultérieurement.

     La feuille de route était simple : savoir, 40 ans après une crise qui avait ébranlé dans les années 70 la piété traditionnelle de la province, où en est la recomposition religieuse de la Bretagne. Le temps n’est plus où les débats sur la foi font la une des journaux. Mais chacun peut constater que des mouvements de fond sont à l’oeuvre en Bretagne comme ailleurs : sécularisation de la société, mutations des pratiques, diminution des vocations dans l’Église catholique, apparition de nouvelles formes de piété… Les observateurs les mieux informés se posent même désormais la question de possibles basculements.

     Observer, analyser, comparer avec d’autres lieux, imaginer des projections vers l’avenir… L’entreprise n’est pas simple et il ne saurait être question d’en résumer les principaux aspects en quelques lignes. L’ouvrage publié conjointement par le Centre de Recherche Bretonne et Celtique[1], ainsi que l’Institut culturel de Bretagne approche des 300 pages.

Un déclin religieux rapide

     L’essentiel du volume est évidemment consacré à l’évolution du catholicisme breton. La richesse et la qualité du réseau d’observateurs a suppléé à une certaine frilosité de l’épiscopat régional à partager un certain nombre de données internes. On peut en cerner ici les points essentiels. Il y a une génération, nombre d’espaces bretons, surtout ruraux, en étaient encore aux premiers ébranlements de ce que Yves Lambert avait défini comme la « civilisation paroissiale ». Aujourd’hui, la page est définitivement tournée : les églises sont vides dans les zones rurales, même de tradition religieuse. Ce sont aujourd’hui les grandes agglomérations qui servent d’oasis. Le cas de Brest est particulièrement frappant.  L’historien Yves Le Gallo l’avait définie dans sa thèse comme la « ville la plus anticléricale de France » sous le Premier Empire. Elle est aujourd’hui le pôle le plus dynamique du diocèse de Quimper ! Cette évolution ressemble assez à celle constatée à Paris.

     André Rousseau note quelques autres caractéristiques du « mystère » régional : deux bretons sur trois se définissent encore comme « catholiques », mais le déclin a été rapide. Les « hautes terres » de religion de l’ouest de la France ont beaucoup moins bien résisté que celle de l’est. En outre, le catholicisme local subit une véritable « sécularisation interne » : pratiques en berne, vieillissement accéléré, relativisation des normes. Le problème le plus aigu concerne l’encadrement. Les séminaristes sont rares depuis longtemps déjà et le renouvellement ne se fait plus vraiment. La moyenne d’âge est très élevée. Pour rester dans l’évêché de Quimper et Léon, les 144 prêtres encore en activité en 2010 ne seront plus qu’une cinquantaine en 2018 et moins encore ensuite. C’est un véritable tremblement de terre qui menace une institution qui a absolument besoin de son encadrement ecclésial et qui recourt déjà largement, quand c’est possible, à des laïcs bénévoles ou salariés.

     Marcel Rivallain analyse l’évolution des pratiques : le taux de baptêmes a été divisé par deux en une génération, tombant aujourd’hui à moins de la moitié des naissances. Les mariages religieux sont en chute libre : de 6000, il n’y a pas longtemps, à 1500 par an aujourd’hui en Loire-Atlantique, et ne concernent plus qu’une union sur trois dans le Morbihan, par exemple. Seules les obsèques religieuses résistent, malgré le développement de la crémation, mais les diocèses ont souvent du mal à mettre en place des équipes de laïcs pour les célébrer.

     Faut-il tirer un trait sur la vie paroissiale, sauf dans quelques centres ? Les courants « nouveaux » de foi apparus dans les années 70 sont effectivement en difficulté : les « catholiques réformateurs », étudiés par Michel Bloch-Lemoine, sont de poids modeste, et le mouvement charismatique, présenté par René Gouriou, clairement en déclin : vieillissement et découragement sont à l’oeuvre. Le nombre de groupes est passé de 46 à 19 dans le Finistère, par exemple, et les participants de 1000 à 300. Les communautés dites « nouvelles » sont aussi à la peine. Seule résiste positivement celle de l’Emmanuel.

 Du cultuel au culturel

      Un tel tableau pourrait mener à penser que le catholicisme breton est en voie de dilution progressive. Et pourtant d’autres indicateurs sont résolument à la hausse. D’abord, les jeunes n’ont pas rompu avec leur religion, même s’ils ne pratiquent pas : 43 % se disent catholiques, d’après les sondages. Quelques-uns sont engagés, en particulier dans les paroisses urbaines. Autre point positif, la fréquentation des monastères et centres de retraites entame une certaine remontée, mais il est à la merci de la pérennité d’oeuvres souvent touchées par le vieillissement des Religieux.

     Pour le reste, les chiffres les plus impressionnants concernent les marqueurs identitaires, voire « festifs », comme les définit Joël Hascoët. Le renouveau des fêtes paroissiales (« pardons »), processions et pèlerinages régionaux date en fait d’une vingtaine d’années et le mouvement reste soutenu. Il est souvent spectaculaire : 25.000 pèlerins en juillet à Saint-Anne d’Auray, sanctuaire attirant 600.000 visiteurs chaque année,  20.000 au Folgoat, 15.000 à La Palud, presque autant à Locronan ou à Querrien. Mais il concerne également le maillage des multiples chapelles restaurées par des comités de bénévoles et qui revivent le temps d’une journée. On peut y ajouter le succès du Tro-Breiz et ses milliers de marcheurs. L’importance des costumes régionaux et des repas locaux témoignent de l’ancrage patrimonial de ces traditions retrouvées. On est clairement passé du cultuel au culturel. Le clergé, ravi de retrouver des foules attentives, n’est pas sans se poser des questions pour l’avenir : que deviendront ces enfants costumés qui n’ont pas été catéchisés, qui restaurera les chapelles dont le comité a vieilli, y aura-t-il assez de prêtres pour animer des étés éreintants ?

     « Des clochers plus que des curés ! », la formule est forte. Elle représente l’enjeu de l’avenir.

Jean-Yves Carluer


[1] Centre de Recherche Bretonne et Celtique, CS 93837, 20, rue Duquesne, 29238 BREST cedex 3.

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