Des lieux et des dates…
Un petit cahier sans prétention peut contenir des pépites d’histoire. C’est le cas d’un document conservé aux Archives départementales d’Ille-et-Vilaine dans la série 5 J 56-59. Il s’agit du fonds Bourde de La Rogerie, rassemblant les papiers laissés par un grand historien breton, conservateur et président de sociétés savantes, qui, au siècle dernier, s’intéressa aux huguenots de Bretagne. Le document est une copie d’un document officiel qui était lui-même une copie réalisée par des notaires royaux du XVIIe siècle d’actes de synodes déjà centenaires.
La persécution engagée par le roi Louis XIV contre les protestants avait débuté par une offensive juridique pour leur retirer l’usage des temples. Tout était bon pour cela. Les huguenots devaient, en particulier, fournir des preuves écrites que leur culte avait été établi et autorisé depuis longtemps.
Les huguenots se lancèrent à la recherche des vieux papiers indispensables à la poursuite, hélas provisoire, de leur culte. Ce qui a été pour eux un travail pénible se révèle une richesse pour l’historien. Les meilleures preuves étaient les rapports officiels des assemblées régionales des responsables huguenots, les synodes provinciaux. Ces documents ont fourni, dès cette époque, une grande partie de la matière utilisée par le pasteur Lenoir, sieur de Crevain, pour écrire à la fin du XVIIe siècle la première histoire des protestants bretons.
Le cahier conservé à Rennes contient les actes du synode de La Roche-Bernard (1564) et celui de Ploërmel (1565). Le premier est largement cité par Crevain, le second était complètement inconnu. Ils contiennent des informations capitales sur la vie des premiers protestants bretons.
J’aurai l’occasion sur ce site d’analyser ces documents. Commençons ici par des choses élémentaires mais pas toujours évidentes, les lieux et les dates contenus dans le préambule. J’ai conservé le texte dans sa langue d’origine :
« Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit.
Ce sont les articles et faicts particulliers arrestés au Sinode de cette province de Bretagne tenu à la Roche Bernard le vingt troisiesme jour de Febvrier l’an mil cinq cents soixante et trois, l’an quatriesme du règne de Charles neuviesme de ce nom, roy de France, où assistèrent les ministres avecq leurs anciens ou diacres des églises refformées de Nantes, Blain, Chateaubriand, Syon, Pihyriac, Croysic, Aigrefeuille, Vieillevigne, Vannes, Pontivy, Ploermel, Rennes , Chateaugiron, Hersé et de la Roche Bernard.
Item deux anciens de Guérande, un ancien de Sainct-Nazaire, un de Hennebond, un diacre et ancien de Mesuillac, un ancien de Vitré, un de Conq et un de Combour, auquel Sinode, maistre Olivier Loyseau, ministre de l’église de Chateaubriand, a esté eslu pour présidant et Du Gravier, ministre de l’église de Rennes, et monsieur de la Pérade, ancien de l’église de Nantes, eslus pour scribe ».
Premier problème que des lecteurs attentifs auront sans doute remarqué : le préambule du synode est daté du 23 février 1563, alors que le titre de cet article mentionne 1564 !
Non, ce n’est pas une erreur ! Les deux sont vrais ! Il s’est passé cette année-là un événement assez unique, un changement de calendrier. Jusqu’alors, l’année commençait le 25 mars. Mais le 9 août 1564, Catherine de Médicis et Charles IX décidèrent de reporter le jour de l’an le premier janvier. C’est l’Édit de Roussillon :
«Voulons et ordonnons qu’en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnances, édicts, tant patentes que missives, et toute escripture privé, l’année commence doresénavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier.
Donné à Roussillon, le neufiesme jour d’aoust, l’an de grace mil cinq cens soixante-quatre. Et de notre règne de quatriesme. Ainsi signé le Roy en son Conseil ».
Résultat : les dates comprises entre le 1er janvier et le 24 mars, qui étaient à la fin de l’année 1563 ont été numérotées ultérieurement comme début de l’année 1564 !
L’information n’est pas anodine, car les érudits qui ont travaillé au XIXe siècle sur les débuts de la Réforme en Bretagne et qui ignoraient l’Édit de Roussillon se sont évertué à vouloir concilier des problèmes de dates incompatibles, quand ils ont voulu exploiter les informations des actes du synode de La Roche-Bernard[1] …
Deuxième problème, l’identification des communautés protestantes représentées au synode. La difficulté n’est pas trop grande. Je laisse juste le résultat sous la forme d’une carte. Le lecteur intéressé pourra y retrouver toutes les Églises citées. On y voit le protestantisme breton du XVIe siècle pratiquement à son apogée.
[1] Pour en savoir plus, voir Jean-Yves Carluer, « Deux synodes provinciaux bretons au XVIe siècle », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1989, p. 329-351.