Vitré est, incontestablement, avec Nantes, le pôle principal du calvinisme en Bretagne, privilège qu’il ne partage dans le grand Ouest qu’avec Caen et Saumur : une Église puissante et nombreuse, des pasteurs et des protecteurs éminents, et sous l’Édit de Nantes, une place de sûreté, dite « de mariage », qui distinguait une forteresse huguenote restée inviolée pendant les guerres de religion. Dernier indice, cette fois de son rayonnement dans le royaume, l’Église vitréenne a accueilli pas moins de trois synodes nationaux réformés entre 1583 et 1617.
Une telle singularité, au sein d’une province, la Bretagne, qui se réclamait d’une identité toute catholique, apostolique et romaine, n’a pas manqué d’exciter la curiosité des historiens et de susciter quelques polémiques.
Nous abordons ici, sous forme d’une série de questions, les principaux éléments de cette singularité. Voici la première :
1° Vitré : Pourquoi un tel pôle réformé en Bretagne ?
Sur ce sujet deux écoles s’opposent :
– Certains historiens ont insisté sur le rôle précurseur des familles marchandes de la ville. Elles ont été très tôt au contact avec le calvinisme par leurs liens commerciaux, en particulier avec la Flandre où la Confrérie des marchands d’Outre-mer, la très puissante corporation de marchands de toiles, était représentée dans les principaux ports. Émile Coornaert a montré combien les Vitréens étaient nombreux à fréquenter à cette époque les bouches de l’Escaut[1]. Or la métropole flamande était incontestablement un pôle essentiel de diffusion de la Réforme. Ce serait l’origine d’un « protestantisme de la toile et du sel» de l’ouest, cher à R. Joxe ou H. Dubief[2]. Selon cette approche « toilière », c’est l’importance et le prestige des familles bourgeoises vitréennes passées à la Réforme qui expliquent le développement et la pérennité de l’Église de Vitré.
Les premières conversions datent des années 1550, avant même celle de Renée de Rieux. Un certain Guillaume Prévost, passementier, est reçu à Genève le 4 octobre 1556. Cette même année, un autre Vitréen, l’ancien Carme Guillaume Chartier, terminait sa formation pastorale auprès de Calvin. Le registre de Pierre Riejaume, folio 104, conserve quelques indications sur la communauté naissante de Vitré, encore sans pasteur en 1558. L’auteur du journal parle d’une lettre, « envoyée à René Chevallerie à cause qu’il se disait capitaine de la secte qu’ils appellent relligion… assemblée en son jardin près Saincte‑Croix« .
De plus, les années passant, la ville a accueilli nombre de réfugiés huguenots originaires des bassins textiles de Normandie, comme ceux de Saint-Lô, Mortain ou Condé-sur-Noireau, chassés par la guerre et la persécution. Ce rôle de citadelle refuge renvoie inévitablement à la deuxième école, celle qui privilégie le rôle politique des barons de Vitré.
– Vitré est à la fois une ville assez importante, et une ville seigneuriale accolée à une puissante forteresse. Sous la protection de son « haut et puissant seigneur », l’essor du protestantisme n’a pas pu y être complètement contrecarré par le pouvoir d’un évêque résident, comme à Saint-Malo, Vannes, Rennes ou Nantes, ni par les officiers des villes royales. Au début 1559, nous voyons Renée de Rieux, la suzeraine de Vitré devenue protestante, répondre à la requête du pasteur de Rennes, Dufossé, et intervenir en faveur d’un jeune homme de Marcillé (une paroisse proche) qui était incarcéré à Rennes pour avoir mal parlé du catholicisme. Le pasteur orienta dès lors une partie de son ministère vers Vitré. Il y prêcha régulièrement et le 1er Mai 1559, il organisa l’Église, établit la discipline et fit élire quelques anciens. Malgré la protection de la comtesse de Laval, les réunions se tenaient initialement de nuit et très probablement derrière les murailles du château.
Ouverture internationale, autonomies bourgeoises et appui seigneurial apparaissent donc complémentaires.
Le succès de la Réforme à Vitré est fait de la conjonction, assez unique en Bretagne, de deux facteurs : la décision seigneuriale était la seule à même d’apporter une protection politique, l’existence d’une forte congrégation de bourgeois et quelques vassaux huguenots assurait la pérennité des hommes. Ajoutons enfin, nous y reviendrons ultérieurement, qu’une grande solidarité unit les familles de notables de la ville : Catholiques et Réformés collaborent et s’appuient constamment, ce qui protège les huguenots. Il n’en va pas de même du peuple des campagnes environnantes, très hostile au protestantisme. Mais, sur ce point, l’exceptionnelle qualité de la forteresse a représenté une protection pour la communauté protestante dans les temps de troubles où son existence a été plusieurs fois mise en danger.
Jean-Yves Carluer
[1] Émile Coornaert, Les Français et le commerce international à Anvers. Fin du XV – XVIe siècle, Marcel Rivière et Cie, 1961.
[2] R. Joxe, Les protestants du comté de Nantes au XVIe et au début du XVIIe siècle, Marseille,1982.