Les Bretons et la Saint-Barthélemy -2

1572 : Rendez-vous aux « belles noces de Paris »…

    L’expression, tragiquement ironique, venait du pasteur Louveau lui-même, qui faillit bien mourir cette année-là. Mais elle n’était pas si fausse, car c’était bien la perspective des royales épousailles de la catholique Marguerite de Valois et du huguenot béarnais Henri qui avait conduit la fleur de la noblesse calviniste dans un piège fatal.

    Nos Bretons étaient là, eux-aussi, du moins les grands seigneurs de la noblesse de cour : les Rohan, la jeune douairière de Laval, Anne d’Alègre, le baron du Pont, le sire de La Moussaye… Seul était resté à Blain l’aîné des Rohan, Henri, dit « le goutteux », dont le surnom disait assez le handicap. Mais ses frères Jean et sans doute René avaient fait le voyage.  Nombre de gentilshommes des plus honorables familles les avaient accompagnés. C’était le cas de Charles de la Muce, seigneur du Ponthus et des jeunes frères Kergroas d’Avaugour, Charles, René et Pierre, venus de Saffré avec leur suite : MM. de La Bergerye, du Chesne, du Cellier, et Jacques Le Roy.

Plan de Paris vers 1572 (Georg Braun; Frans Hogenberg: Civitates Orbis Terrarum, Band 1, 1572 (Ausgabe Beschreibung vnd Contrafactur der vornembster Stät der Welt, Köln 1582; [VD16-B7188) Universitätsbibliothek Heidelberg http://diglit.ub.uni-heidelberg.de/diglit/braun1582bd1)

Plan de Paris vers 1572 (Georg Braun; Frans Hogenberg: Civitates Orbis Terrarum, Band 1, 1572 (Ausgabe Beschreibung vnd Contrafactur der vornembster Stät der Welt, Köln 1582; [VD16-B7188) Universitätsbibliothek Heidelberg http://diglit.ub.uni-heidelberg.de/diglit/braun1582bd1)

    Étaient également présents aux noces royales des hommes de guerres dont les exploits militaires étaient bien connus. Le plus notable des Bretons était François de La Noue. Ces capitaines étaient montés à Paris, moins sans doute pour assister au mariage que pour discuter avec l’Amiral de Coligny de son grand projet de porter la guerre dans les Pays-Bas sous la bannière de la monarchie. Ce plan était un moyen apparemment habile de réconcilier les Français, de contenir l’Espagne et de secourir les Réformés de Flandre. Mais c’était justement un projet que les ultra-catholiques, derrière la famille des Guise, voulaient empêcher à tout prix.

    Les considérations de vie privée apportaient un paramètre supplémentaire. Prenons le cas de Charles Gouyon, baron de la Moussaye. Son épouse, la belle et pieuse Claude du Chastel, n’entendait pas quitter la douceur de ses manoirs bretons. Mais son mari ne pouvait absolument pas refuser de se montrer aux noces de Paris. Il avait côtoyé Henri le Béarnais, roi de Navarre, au temps où il avait été jeune page à la Cour. Il avait été marié, de plus, dans le cadre de cette même cour l’année précédente au château de Gaillon. Charles avait donc fait le voyage, non sans regrets et avec l’intention de  réaliser, selon une expression d’aujourd’hui, un service minimum :

« Estant à la cour, j’y fus bien acceuilly et receu du Roy, et y fus jusque à la venue du Roy de Navarre, de Mr. le prince de Condé, Mr. l’Amiral et la pluspart des seigneurs et grand nombre de noblesse de la Religion. Je demeuray là environ trois semaines à faire la cour, avec tant de peine et d’ennuy que n’en pouvant plus, je commanday qu’au soir mes chevaux fussent prêts pour le matin faire chemin à m’en retourner ; de quoy j’estais dissuadé par mes gens et autres qui me remontraient que sy j’eusse esté en Bretagne il eust fallu venir à la cour, pour voir les grandes magnificences qu’on préparait pour les nopces du Roy de Navarre; mais tout cela, ny tous leurs beaux discours ne leur servirent de rien, car, encore que j’eusse party environ midy, j’allay coucher à Houdan, sans prendre congé du Roy, ny dire adieu à personne, tant j’estois pressé du désir de voir ma très chère femme et jouir de sa tant désirable présence. Et ainsy j’arrivay à grandes journées en Bretagne […] Je pensais trouver ma femme au Val ; mais elle estait audit lieu de la Rivière. Ainsy la grande amitié que je luy portais et l’impatience d’estre absent de celle qui avait mon cœur, me préserva de tomber au hazard de la journée de Saint-Barthélemy. Car j’estais logé au faubourg Saint-Germain-des-Prés, où beaucoup de noblesse de la Religion finit ses jours ; je n’en eusse pas eu moins, sy Dieu par ce moyen ne m’en eust préservé[1]« .

    Si l’amour conjugal sauva sans doute la vie du baron de La Moussaye, les difficultés de ménage contribuèrent au tragique destin de son ami Charles du Quélennec, baron de Pont-l’Abbé[2]. Lui aussi était un relativement jeune marié, puisqu’il avait épousé trois ans auparavant la célèbre Catherine de Parthenay, héritière de la maison de Soubise. Mais ce mariage s’était révélé une catastrophe, au point qu’il ne fut sans doute jamais concrétisé. Qu’y avait-il de commun entre un jeune homme assez brutal qui vivait au rythme des chevauchées et des batailles, et une adolescente qui, à 14 ans, se montrait déjà une future femme de lettres et une digne petite fille de Michelle de Saubonne. La crise conjugale avait été telle que son mari l’avait fait enfermer dans une de ses forteresses, au château de Rostrenen, d’où elle communiquait secrètement avec sa mère en hébreu à l’encre sympathique… La douairière de Soubise avait finalement obtenu que l’annulation du mariage pour empêchement dirimant soit porté devant le roi, à l’occasion des noces royales…

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Charles Gouyon, baron de la Moussaye, Brief discours…, p. 119-120.

[2] Charles du Quélennec avait été le parrain du premier fils de Charles Gouyon.