Le château du Val d’Arguénon au Val-du-Guildo (2) : un prêche huguenot au XVIIe siècle

     Le domaine cher à Claude du Chastel est resté pendant plus de cent ans entre les mains de ses descendants calvinistes. Nous n’avons pas, cependant, beaucoup d’informations précises.

     A ma connaissance, le site du Guildo réapparait seulement dans des documents protestants en 1659, lors de l’édition d’un ouvrage de piété réformé. C’est une sorte de recueil de prières et de textes liturgiques rédigés par le pasteur de Plouër, Simon Pallory, sieur de Richelieu. Cet ouvrage posthume avait été recueilli par un ancien de cette paroisse protestante. Il porte un nom inhabituel pour le lecteur d’aujourd’hui : Sainctes paraclèses ou consolations pour fortifier les malades en la foy de J.C., et pour préparer les fidèles au départ de la vie présente à remettre heureusement les âmes entre les mains de Dieu[1]. Ce même ancien anonyme rédigea la longue préface de l’ouvrage. Il cite, comme faisant partie de l’Église de Plouër-sur-Rance, outre Saint-Malo, des annexes à « Cancale, Le Leix, et Le Guildo« .

     Au coeur du Grand Siècle, quand l’ouvrage du pasteur Simon Pallory est édité, il y a donc toujours un noyau de protestants au Guildo, composé probablement de serviteurs ou d’officiers de La Moussaye et de leur famille. Cependant, les prêches sont loin d’y être réguliers, et c’est bien justement pour cela que l’ouvrage avait été rédigé pour des cultes en l’absence du pasteur. Simon Pallory est mort en 1631. Il a été remplacé par les pasteurs Rondel puis Fauquembergue.

La chapelle du château du Val d'Arguénon. A l'extrémité de l'aile XVIe siècle, ce modeste édifice aurait été remanié au XIXe siècle. D'après la tradition locale, l'escalier correspond à la rampe qu'aurait gravie le prince de Condé.

La chapelle du château du Val d’Arguénon. A l’extrémité de l’aile XVIe siècle, ce modeste édifice aurait été remanié au XIXe siècle. D’après la tradition locale, l’escalier correspond à la rampe qu’aurait gravie le prince de Condé.

   On retrouve le fils de Simon Pallory, prénommé Amaury, dans différents actes de l’époque où il est désigné comme écuyer, c’est-à-dire noble, et « sieur du Val, en Plouër », ce qui signifie qu’il dispose d’une sieurerie (propriété), située non loin du temple réformé de cette cité. L’érudit René Chassin du Guerny, descendant de la famille, écrivait en 1838 qu’Amaury de Pallory, après avoir exercé dans « la ferme des États, impôts et billots à Hennebont […] alla habiter le Val-Guildo, en Saint-Potan ; il dut y mourir vers 1666[2]« .  On sait que le domaine du Val d’Arguenon était situé sur la paroisse de Saint-Potan avant que cette commune ne soit amputée par la création d’une nouvelle à Notre-Dame-du-Guildo en 1856. Si l’information est vérifiée, cela semblerait indiquer qu’Amaury Pallory, très proche de la famille de la Moussaye aurait résidé alors au château ou dans une de ses dépendances, peut-être comme agent du marquis.

     Marguerite Uzille, son épouse, lui survécut longtemps. Comme la plupart des huguenots bretons, elle se résolut à abjurer sous la contrainte à la fin de l’année 1685 à Saint-Malo. Cette conversion n’était que de façade, car 12 ans plus tard, le curé de Plouër-sur-Rance la dénonce comme étant toujours huguenote. Les autorités se déplacent alors dans sa demeure du Val-Abraham ( sans doute la désignation précise de la sieurerie d’Amaury Pallory, en Plouër) pour la forcer à faire acte de catholicité dans ses derniers moments :

     « où estant avons trouvé ladite Uzille au foyer dans une chèse fort incommodée à laquelle ledit sieur curé, parlant, luy ayant fait plusieurs belles et saintes remontrances et enfin demandé si elle ne desiroit pas mourir en la foy de nostre mère la Sainte Église catholique apostolique et romaine et avoir recours au Sainct Sacrement ordonnez et establis en Icelle comme une véritable catholique romaine,

     A dit et répondu qu’elle ne croit point en l’Église catholique apostolique et romaine, ni aux sacrements establis par icelle et vouloir mourir dans la religion prétendue réformée dans laquelle elle est née et élevée, et après plusieurs autres belles et sainctes exhortations luy faites par ledit sieur Roger [le prêtre],

     A dit finallement qu’elle ne croit en aucune façon la réalité du Sainct Sacrement de l’Eucharistie ni en aucuns Sacrements, ni mesme aux intercessions de Marie, ni d’aucuns autres saincts suivant les sentiments de l’Église romaine, fors qu’elle croit au Sainct Sacrement de baptesme et la communion spirituelle suivant l’Église réformée et, si elle a cy-devant fait abjuration de la religion, ce n’a esté que pour obéir aux Edits et déclarations du Roy comme plusieurs autres de sa religion pour éviter aux rigueurs et chastiments dont on les en menaçoit[3]« …

     Marguerite Uzille, veuve Pallory, mourut peu après, à la fin de l’année 1696. Elle n’est pas mentionnée dans les registres catholiques, ce qui semble indiquer un refus définitif des sacrements qui lui étaient imposés. Le château du Val d’Arguénon a été vendu après la Révocation à la comtesse Marie de Lesquen de Villemeust et passa à son neveu avant d’être acquis par Pierre de Chateaubriand, oncle de l’écrivain en 1777.

     Jean-Yves Carluer


[1] M. de Pallory, pasteur de l’Église réformée de Plouër et de Sainct-Malo, en Bretagne, Sainctes paraclèses ou consolations pour fortifier les malades en la foy de J.C., et pour préparer les fidèles au départ de la vie présente à remettre heureusement les âmes entre les mains de Dieu, Nyort, par François Mathé, MDCLIX.

[2] René Chassin du Guerny. Généalogie de la famille Chassin en Bretagne représentée aujourd’hui par les Chassin du Guerny et de Kergommeaux, 1938, p. 212.

[3] Idem, p. 213

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