Histoire des protestants nantais -4

L’histoire de l’Église réformée de Nantes (suite)

    Nous poursuivons ici la transcription du dernier ouvrage du pasteur Benjamin Vaurigaud, l’Histoire de l’Église réformée de Nantes, paru en 1880. Le lecteur se reportera à nos précédents articles pour les chapitres du livre qui entourent le présent extrait qui court de la page 155 à la page 163 de l’édition Fischbacher.

    Un de principaux intérêts de cette étude sur le XVIIe siècle est de présenter et d’analyser le cadre économique de l’essor de la « colonie » protestante de Nantes, nourrie par un fort courant d’immigration venu en particulier de la Hollande. La communauté calviniste de l’embouchure de la Loire devient la première de Bretagne, alors que la place huguenote de Vitré, affaiblie par l’incertitude religieuse concernant les seigneurs de la cité, entre progressivement en déclin.

    Benjamin Vaurigaud avait saisi l’importance religieuse majeure de la mise en place d’un important pôle calviniste à Nantes. Le volet économique et social de son étude a été largement renouvelé ultérieurement par les études de Guy Saupin, auteur d’une thèse soutenue en 1992 : Nantes au XVIIe siècle, vie politique et société urbaine, éditée en 1996 et 2015 aux Presses Universitaires de Rennes (PUR). Nous reportons le lecteur intéressé à ses nombreux travaux.

    L’extrait présenté aujourd’hui débute au livre III et a pour titre « De l’Édit de Grâce jusqu’à la Révocation, ou du régime de l’Édit sans pouvoir politique (1628-1686) » En voici le texte :

    Benjamin Vaurigaud a intitulé la première partie, qui court de l’année 1628 à 1663 : « une tranquilité relative jusqu’à la persécution ».

    « Désormais, les Réformés n’en appellent plus aux armes, non que les occasions et les sollicitations même leur en aient manqué, mais ils refusèrent constamment. Ils firent plus, ils se rangèrent du côté du roi et lui furent souvent très utiles. La Rochelle, Saint-Jean-d’Angely et Montaunan combattirent contre Condé et les mécontents. Cet exemple fut généralement suivi dans toute la France. Aussi, la Cour fut-elle, en quelque sorte, contrainte de le reconnaître publiquement. Le comte d’Harcourt répondit à la harangue des députés de Montauban : « La couronne chancelait sur la tète du Roi, mais vous l’avez affermie. » Cette conduite leur attira l’approbation des catholiques eux-mêmes. « Je rapporterai ici, dit Élie Benoit, l’éloge d’un historien catholique qui, parlant de cette conduite des Réformés en homme équitable, à qui l’intérêt de la religion ne déguise point les choses, dit à leur honneur, que c’est la propriété des Huguenots que de ne se départir point de la fidélité dans les conjectures fâcheuses.

    Ils disaient donc vrai, lorsque dans leurs luttes armées ils déclaraient respecter même alors l’autorité du roi, et ne combattre que pour la liberté de leur conscience et de leur culte. La suite des événements en fournira encore la preuve. En tout temps, ils n’ont jamais ni voulu ni demandé autre chose pour être fidèles que l’exercice libre et public de leur religion.

L’apaisement des passions religieuses ?

    De tels sentiments et une telle conduite amenèrent une sorte de détente dans les esprits à leur sujet. On en vit les preuves à Nantes en particulier. Ainsi, en intervalle de quelques années (1640-4657), cette Église eut avec l’évêque deux transactions pour des lieux de culte. La première avait lieu en 1640 entre l’évêque et les sieurs Chapel, seigneurs de Procé, dans le fief desquels est la tenue de Julien Bernard, dite tenue du Ruisseau, où le temple de Sucé était construit. Dans cette transaction, il est expressément rappelé que le lieu avait été désigné par les commissaires et nettement dit que l’évêque avait consenti à cet établissement. Les parties reconnaissaient d’ailleurs que cette tenue relevait en proche fief en la seigneurie de Procé et en arrière fief du sieur évoqué. Les Réformés avaient toujours soutenu que l’exception portée par l’article XIe de l’Édit de Nantes, et qui défendait d’avoir des temples dans des lieux relevant de l’autorité des évêques, ne s’appliquait qu’aux seconds lieux de bailliage. Le Roi l’avait d’ailleurs ainsi répondu au premier article des cahiers qui lui avaient été présentés, en 1599. Nous verrons, dans la suite, le clergé revenir sur cet accord.

    L’autre transaction avait eu lieu en 1657, entre l’évêque de Nantes et le sieur de Ponthus. Il s’agissait d’une vieille chapelle faisant partie des dépendances du château de ce nom et à laquelle un service était attaché. Pour l’exécution de cette dernière condition, une chapelle avait été construite au vieux bourg de Petit-Mars et la translation du service y avait été faite par le sieur de Beauveau à la date indiquée plus haut. Les motifs qui avaient déterminé les parties étaient les suivants : le rétablissement d’une Église ruinée, la célébration du service divin, fournir le moyen d’assister à tous les habitants du vieux bourg du Petit-Mars, caducs et valétudinaires qui, d’ailleurs, sont fort souvent comme assiégés par les eaux et ne peuvent aller à la paroisse, comme le porte le sieur Descartes, conseiller au Parlement, dans le procès-verbal qu’il en a fait, outre qu’en considération de cette translation et pour l’utilité publique, le seigneur de Ponthus avait fait bâtir, à ses dépens, ladite chapelle du vieux bourg pour la célébration dudit service qui ne s’était point fait, il y avait plus de cent ans, dans la chapelle du château de Ponthus, mais bien dans l’église paroissiale, comme l’expose le chapelain audit sieur évêque. C’étaient là des raisons sérieuses et des motifs capables de satisfaire des gens non prévenus, mais que la passion et le parti-pris auraient trouvés sans valeur. On le vit dans la suite.

    Une troisième transaction avait eu lieu, mais cette fois entre la ville et l’évêque. Elle nous fait connaître d’une manière précise où était situé le premier des trois cimetières que les commissaires de l’Édit avaient assignés aux Réformés, et dont le procès-verbal dit seulement :« dans la ville ». On lit, en effet, dans les registres de la municipalité :  « Le 21 janvier de cette année (1654), la ville de Nantes mit en vente quelques terrains appartenant à l’hôpital, notamment son jardin situé rue d’Erdre, le long de la rivière, avec la permission d’y bâtir et de faire saillie sur la rivière. Il fut vendu 4.050 livres ». Le cimetière avec celui des suppliciés fut vendu 3.500 livres, à condition de laisser un terrain de vingt-deux pieds de long sur dix de large, le long de la muraille du cimetière huguenot, pour la sépulture des suppliciés. Les registres de sépulture des Réformés de la deuxième moitié du XVIIe siècle portent souvent cette mention : « dans le cimetière que nous avons proche Sainte-Catherine1 » . Il y avait, en effet, un hôpital de ce nom dépendant de l’Hôtel-Dieu de l’Erdre; Il y avait près de cet hospice un cimetière dans lequel, en 1588, on avait bâti un appentis pour loger des pauvres. C’était là que se trouvait aussi le cimetière des Réformés.

Prospérité commerciale et essor ecclésial…

    Cette espèce d’apaisement fut favorable au progrès de l’Église de Nantes. Sa population s’accrut dans une forte proportion. Les négociants étrangers, particulièrement les Hollandais, attirés par leur commerce et trouvant sous le rapport religieux les mêmes croyances et jusqu’aux mêmes formes ecclésiastiques que celles de leur propre pays, y vinrent en grand nombre, fondèrent des établissements importants, et plusieurs d’entre eux se firent naturaliser français. Nantes devint pour eux comme une seconde patrie, et, aujourd’hui encore, un quartier de la ville où habitaient les principaux d’entre eux s’appelle « la Petite Hollande ». Mais leur nombre même, l’union qui régnait parmi eux à cause de leur religion et surtout leur intelligence des affaires commerciales portèrent promptement ombrage à ceux du pays. L’intérêt religieux servant à peine de voile à l’intérêt personnel, porta les négociants de Nantes à prendre contre les étrangers certaines mesures destinées à entraver singulièrement leur liberté commerciale et à réduire le chiffre de leurs affaires. Ils déposèrent aussi contre eux une accusation qui prenait à partie Gérard Noé, facteur2 hollandais, René Tinebac, Antoine Chatelier, Paul Vos, Jean Sondach et autres marchands et commissionnaires.

    Elle lui reprochait de découvrir à leurs nations respectives « nos nécessités desquelles ils sont témoins oculaires et nous participants ; se prévalant des temps pour retarder et avancer, comme il leur plaît, le prix et le débit de nos fruits et denrées, causant un préjudice notable à tous les français et aux marchands hollandais, agissant tant pour eux que pour ceux de leur nation, et résidant .à la Fosse et autres faubourgs de Nantes. Ils disaient que les marchands de Nantes avaient commis contre eux des excès et des violences, et avaient conspiré de les chasser de Nantes, sans prendre garde que ce serait à leur détriment personnel et à leur propre ruine, puisque leurs vins, eaux-de-vie et graisses n’étant plus enlevés par les négociants hollandais ils perdraient la moitié de leurs revenus. Le Parlement autorisa les négociants hollandais à appeler devant lui leurs adversaires, et, en attendant, fit défense à ces derniers, sous peine de 10.000 livres d’amende, et au prétendu jaugeur, Lerat, de donner la moindre atteinte à la liberté de leur commerce (octobre 1656). particulièrement auxdits habitants, par l’entremise desquels ce commerce se faisait ordinairement. Pour parvenir à ces usurpations, ceux qui partent de Hollande pour venir en France, et notamment dans la ville de Nantes, sont la plupart facteurs, lesquels une fois arrivés jurent une union avec ceux de leur nation, qui passe parmi eux comme loi d’état et point de religion, s’obligeant de se procurer du bien les uns aux autres et ne permettant point que les Français prennent part aux profits qui se peuvent faire dans le négoce, à tel point que, par leur union et intelligence secrètes, les meilleures affaires passeront entre leurs mains et leur rebut sera le plus honorable emploi des habitants ».

    La plainte ajoutait qu’ainsi, soit directement, soit indirectement, ils faisaient de grosses fortunes. Elle citait plusieurs noms qui s’étaient retirés dans leur pays riches de 150.000 livres. Parmi ceux-là, elle citait entre autres Reynier et Antoine Chatteley. D’autres fois, disait encore la plainte, ils s’enrichiront par de grosses banqueroutes. C’est ce qui a eu lieu depuis dix ou quinze ans, et elle citait vingt noms de personnes ayant ainsi agi. Parmi ces noms elle mentionnait Jacob Le Bleu, Pierre Van de Velde et Gérard Noé. Des plaintes de ce genre avaient été souvent faites, plusieurs arrêts du Conseil privé et plusieurs lettres patentes vérifiées au Parlement de Rennes avaient été rendus, qui donnaient à ces négociants les mêmes privilèges qu’aux naturels fiançais, et leur permettait de trafiquer en toute liberté, en tous pays et terres de l’obéissance du roi, avec défense à tous de leur donner aucun trouble et empêchements sous peine de 10.000 livres d’amende. Cette lutte durait depuis 1635.

Une vive réaction des concurrents

     Le 16 août 1656, les maire et échevins de Nantes s’étaient avisés de faire une ordonnance en la maison de ville, par laquelle il était défendu à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’avoir à se servir d’autre futaille que de la jauge. De plus, ils avaient nommé un jaugeur à leur dévotion pour jauger les vins et eaux-de-vie et graisses. Ils voulaient aussi empêcher les marchands hollandais, qui avaient l’habitude d’enlever lesdits vins en futailles, façon d’Allemagne, d’Anjou, d’Orléans et d’ailleurs, excédant la jauge nantaise, de faire aucun trafic. I1 leur avait fallu, en effet, ne pas faire payer le fret des vins et futailles excédant la jauge nantaise plus que celui des vins et futailles réduits à cette jauge ; de plus, ne pas leur donner un jaugeur de leur patrie, qui fut juge, arbitre et maître de leurs biens et de leurs fortunes, c’était les opprimer et anéantir le commerce. C’étaient les motifs que faisaient valoir dans une requête au Parlement de Rennes, Gérard Piler, Simon Van Schonoven, Théodore Le Roux, Revixit Van Haerzel, Pitre d’Orville, André Van Pradello, Evrard Martin, Simon de Licht, Corneille Van Sticht, Jean Hooguevert, Adrien Bonner et Gabrand, marchands hollandais, agissant tant pour eux que pour ceux de leur nation, et résidant à la Fosse et autres faubourgs de Nantes. Ils disaient que les marchands de Nantes avaient commis contre eux des excès et des violences, et avaient conspiré de les chasser de Nantes, sans prendre garde que ce serait à leur détriment personnel et à leur propre ruine, puisque leurs vins, eaux-de-vie et graisses n’étant plus enlevés par les négociants hollandais ils perdraient la moitié de leurs revenus.

    Le Parlement autorisa les négociants hollandais à appeler devant lui leurs adversaires, et, en attendant, fit défense à ces derniers, sous peine de 10.000 livres d’amende, et au prétendu jaugeur, Lerat, de donner la moindre atteinte à la liberté de leur commerce (octobre 1656) ».

Jean-Yves Carluer

1 Archives départementales de Loire-Atlantique, Registre du Consistoire de Sucé, acte du consistoire du 29 mai 1676)

2Industriel