Le synode de La Roche-Bernard (3)

Le problème Étienne Layet

     Nous poursuivons ici la publication des actes du synode provincial calviniste de février 1564. Le lecteur pourra se reporter aux articles précédents.
Comme nous l’avons déjà fait auparavant, nous présentons d’abord les textes, qui sont ensuite commentés brièvement. Nous abordons donc le compte rendu du deuxième jour. L’assemblée des délégués protestants bretons, après avoir examiné le conflit qui divisait la communauté naissante de La Roche-Bernard, aborde une autre difficulté mettant en scène un pasteur qui voulait s’affranchir des décisions communes :

     « Du vingt quatriesme jour du mois

     Pour le faict de Monsieur Estienne Layrt [ ] lequel presche en la maison de Monsieur le compte de Maure, contre la deffance luy faicte audict dernier Sinode de Ploermel, y a esté arresté que le ministre de Ploermel, avecq l’un de ses anciens et l’ancien de Chateaugiron, yront en la maison dudict sieur compte pour le supplier de se renger à la pollice générale des églises refformées de ce royaume et admonester ledit Layrt de obéyr à ce qui fut arresté audit Sinode de Ploermel suivant la promesse qu’il en fist, et l’ancien de Vitré a esté chargé d’aller aussi vers ledit Layrt pour luy faire derechef offre de le conduire luy et sa famille jusques à Can en Normandie aux despans de ladite église de Vitré et de bailler vingt livres que luy ont esté dellivrée audit Sinode aux ministre de ladite église de Can pour les distribuer audit Layrt selon ses nécessités, avecq déclaration des causes de son renvoy, et à faute audit Layrt d’obéir audit Sinode de Ploermel d’accomplir sa promesse et d’accepter ses offres, il sera derecheff appellé au prochain sinode et sependant déclaré schismatique s’il continue de prescher, et ledit ancien raportera la dicte somme de vingt livres audict Sinode pour estre employée aux frais du prochain concille général de ce royaume »

     Résumons la situation :

Landal

Le château de Landal, en Broualan (Ille-et-Vilaine). Plusieurs fois détruite et restaurée, cette belle forteresse appartenait au comte Claude de Maure. Nous n’avons aucun indice que ce château ait abrité un prêche protestant régulier.

    Claude de Maure était un des plus puissants seigneurs hauts-justiciers de la province: outre le comté de Maure-de-Bretagne (près de Ploërmel), il possédait la Vicomte de Fercé (au sud de Vitré) et plusieurs autres seigneuries(1). Il était le fils de François de Maure, décédé en 1557, et d’Hélène de Rohan. Très lié aux Acigné-Montejean et aux Rohan, il devint vite protestant et manifesta sa foi réformée vers 1558 comme plusieurs autres seigneurs de la province. Sa conversion est donc toute récente. Selon l’usage du temps, il décida de financer un pasteur attaché à sa maison noble tout en étant chargé de mettre en place une communauté réformée sur les terres de son protecteur. Son choix se porta sur un prédicateur, nommé Étienne Layrt ou Layet, qui semble être venu de Normandie.

     Le problème, c’est que ce « pasteur » ne semble pas avoir été reconnu par ses pairs ni régulièrement consacré au ministère. Il n’est enregistré dans aucune des listes dont nous disposons aujourd’hui. Son cas s’apparente à celui d’une situation assez fréquente à l’époque. N’oublions pas que la rapide multiplication des paroisses protestantes entraînait une pénurie de ministres du culte. Un certain nombre de pasteurs autoproclamés ou aux compétences insuffisantes, que l’on qualifiait alors de « coureurs », se mettaient à la recherche d’une Église où ils pourraient s’établir. La maison du comte de Maure correspondait tout à fait à ce profil. Étienne Layet espérait sans doute que, mis devant le fait accompli, les pasteurs de la province légitimeraient son statut et son affectation. Ce n’est visiblement pas le cas ici. La tentative de Layet avait déjà été dénoncée au synode précédent, mais aussi bien le comte de Maure que son « ministre » faisaient la sourde oreille.
Le pasteur Lenoir, sieur de Crevain, commentait ainsi la décision du synode de La Roche-Bernard : « Il y avait un autre désordre dans le voisinage de Vitré : c’est que le sieur Etienne Layet continuait de prêcher en la maison du comte de Maure, contre la défense du dernier synode, tenu à Ploërmel en octobre 1562. C’est pourquoi ce synode-ci députa le ministre de Ploërmel avec son ancien et celui de Châteaugiron, pour aller conjurer le comte de donner les mains à la discipline, et le sieur Layet d’obéir à cet arrêté, selon sa promesse, en se retirant à Caen, d’où il était venu, et où on l’assisterait s’il y retournait. Faute de quoi il était déclaré schismatique s’il continuait de prêcher, ce que l’ancien de Vitré en particulier eut ordre de lui dénoncer(2). « 
On peut remarquer que les pasteurs bretons ménageaient assez le prédicant non officiel, puisqu’ils lui proposaient de payer ses frais de route jusqu’à Caen, d’où il était probablement originaire, et de le dédommager. Ces mesures d’apaisement, outre la dimension humaine qu’elles revêtaient, avaient un double avantage. Elles reportaient la décision de fond au sujet des compétences réelles d’Étienne Layet sur son Église d’origine. Elles sauvegardaient la susceptibilité du comte de Maure, qui pouvait être tenté de passer outre.
Quelques indices des textes permettent d’avancer des précisions. Les actes du synodes mandatent des anciens et des pasteurs de Haute-Bretagne, alors que le comté de Maure se trouve plus à l’ouest. Cela peut s’expliquer si le ministre schismatique prêchait dans la Vicomte de Fercé, terre qui appartenait au même seigneur. Il est possible qu’il y ait eu un prêche protestant à Maure de Bretagne(3). Mais celui de Fercé est bien attesté. Le protestantisme se maintint à Fercé jusqu’à la Révocation et même après. Deux grandes familles seigneuriales, les Appelvoisin et les Boispéan, y prirent le relais du comte de Maure, décédé le 25 avril 1564. Son neveu, Charles du Quelennec, fut assassiné lors de la Saint-Barthélemy en défendant l’Amiral de Coligny.
Que devint Etienne Layrt ? Benjamin Vaurigaud pense qu’il se soumit et quitta la province, tandis qu’Émile Clouard fait le rapprochement avec un ministre déchu qui mourut quelques années plus tard près de Blain(4).

     Jean-Yves Carluer

1) Claude de Maure (1517-1564), comte de Maure, vicomte de Fercé, seigneur de Landal, Châteauthébault, Lohéac, du Gué-au-Vayer, du Plessis-Anger, la Rigaudière, du Loroux, de Landanière, de Sucé, de Parigné, de Saint-Étienne Montrelais, de Lorgeril, de Quéhillac, de la Sénéchalière, etc

2) Crevain, Histoire Ecclésiastique de Bretagne, p. 105.
3) L’abbé Guillotin de Corson rapporte qu’à la fin du XIXe dernier, on voyait encore les restes d’un temple près de son château de Maure (Les grandes seigneuries de Haute Bretagne, Rennes, Plihon, 1898, p. 248).
4) Émile Clouard, « Le Protestantisme en Bretagne au XVIe siècle », Mémoires de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1936, pp. 23-169, 1937, pp. 27-121, et 1938, pp. 1-64.

 

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