En 1863, 30 ans après la loi Guizot et 15 ans après la loi Falloux, la commune de Gouesnach ne disposait toujours pas d’une école primaire. Les élèves qui le pouvaient devaient se rendre au chef-lieu des communes voisines, comme Fouesnant puis Clohars, où une école de garçons avait été édifiée seulement en 1856. Signe indubitable des priorités locales, un presbytère neuf y avait été construit depuis longtemps déjà. La plupart des habitants de la région sont analphabètes au point qu’un maire de Clohars-Fouesnant a été condamné par la tribunal correctionnel de Quimper en 1884 pour avoir fait confondre à certains de ses administrés des billets de 50 francs avec d’autres valant deux fois plus !
Comme leurs voisins, les citoyens de Gouesnach auraient besoin d’une école, mais l’argent manquait cruellement.
Dès son arrivée dans la commune, le colonel Charles Hawker avait proposé d’abriter dans son manoir de Lanhuron un enseignement primaire gratuit ouvert à tous. « Le Seigneur protestant… avait sollicité il y a quelques années, l’autorisation de tenir une école dans son château et d’y établir un instituteur à ses frais » écrivait le recteur de Fouesnant à l’inspecteur d’académie, ajoutant perfidement que « monsieur Hawker compte mettre à la tête de cette école un instituteur de confession protestante, ce qui n’est pas sans déranger certains esprits […] profondément catholiques 1». La délégation cantonale refusa alors fermement cette proposition et l’inspection académique maintint les choses en état.
L’affaire rebondit en 1863. Le recteur de Fouesnant le signale à l’inspecteur : « Charles Hawker revient aujourd’hui à une seconde demande, et se propose, m’écrit-on, de faire bâtir une maison d’école à ses dépenses sur le terrain de ses dépendances, et de choisir lui-même un maître et une maîtresse d’école qu’il paierait de sa bourse en les obligeant de donner une instruction gratuite à tous les élèves « .
Cette insistance britannique n’était est pas complètement désintéressée. Le projet scolaire de Lanhuron s’inscrit à l’évidence dans une stratégie d’expansion du protestantisme dans la région. En fait, jamais le pasteur James Williams n’avait été aussi prêt de réaliser son rêve d’une percée en profondeur dans les campagnes du sud-Finistère : le colonel Hawker était devenu populaire à Gouesnach par ses diverses libéralités, et il offrait maintenant aux habitants une école gratuite !
Le curé de Gouesnach était bien conscient du danger. C’est sans doute la raison pour laquelle il s’effaçait derrière son collègue de Fouesnant pour dénoncer le projet d’une école protestante. Il ne voulait sans doute pas être considéré comme celui qui se serait mis en travers du plan de scolarisation locale. Mais les diatribes du clergé sont fortes et argumentées de façon à apparaître comme des gages de paix sociale et religieuse :
« Vous comprenez Monsieur l’inspecteur, combien une pareille école aurait de conséquences fâcheuses, combien elle présenterait de danger pour la foi et les mœurs des enfants de cette paroisse et des paroisses environnantes. Les maîtres grassement rétribués par le Seigneur [de Lanhuron] n’enseigneraient que ce qui lui plairait, ne donneraient qu’un enseignement protestant, plus ou moins déguisé; et vous savez combien l’enfance est susceptible de séduction et d’entraînement vers l’erreur, lorsqu’elle lui est enseignée magistralement. Les pères et mères ne se doutent pas du danger que trouverait la foi de leurs enfants et, par suite, la leur, ne manqueraient pas d’envoyer leurs enfants à cette école, engagée et entraînée par l’appât d’une école gratuite. Je viens donc vous prier dans l’intérêt de notre religion et du bien moral des enfants et de leurs parents, d’en empêcher dans la mesure de votre pouvoir, que le Seigneur [de Lanhuron] ne puisse réaliser son projet ».
De façon habile, le recteur de Fouesnant, décidément bien renseigné, oriente l’inspecteur d’académie sur les bienfaits d’une école municipale locale : « Il existe un moyen efficace d’en arrêter et empêcher l’exécution: c’est d’engager la commune de Gouesnac’h à bâtir une maison d’école au bourg communal. Elle possède les moyens de le faire. Je sais de bonne part qu’elle a en sa caisse 2500 francs. Avec cette somme à laquelle s’ajouterait le secours qui serait accordé par le gouvernement et le département, il ne lui serait pas difficile d’établir cette maison d’école ». Le clergé local a, en effet, réussi à convaincre le maire, Jacques François Le Cain, des avantages d’une municipalisation de l’enseignement primaire à Gouesnach. Ce même 9 novembre 1863, en effet, le maire fait connaître sa position à l’inspection académique : « Les offres de l’Anglais me paraissent très avantageuses pour la commune. Je reconnais cependant qu’il serait convenable de posséder une école communale qui ne fut pas sous la dépendance des protestants. Pour obéir à cet objet imminent, vu la fortune de ce prétendu prosélyte, le meilleur moyen serait, outre les ressources actuelles de la commune pour cet objet qui montent à environ 2500 F., d’obtenir immédiatement l’assurance d’un secours supplémentaire nécessaire pour l’établissement de la maison d’école. Je suis certain que, dès lors, l’Anglais renoncera à son projet parce qu’il ne pourrait pas faire concurrence à un établissement communal basé sur la vraie religion2 ».
(A suivre)
1Archives départementales du Finistère, série O, 2o 462, lettre du 9 novembre 1863.
2Sur le projet de l’école de Lanhuron, se reporter aux travaux de Gaëtan Gourmelen, Monographie de la commune de Gouesnach, 1850-1850. UBO, Brest, 2011. Mémoire de master sous la direction de Jean-Yves Carluer.