Les prisonniers du Sanitat de Nantes

1622 : la détention de type « concentrationnaire » des prisonniers huguenots à Nantes

    Les lecteurs qui auront suivi la mise en ligne sur ce site de l’ouvrage du pasteur Vaurigaud sur l’histoire des Réformés de Nantes savent que des centaines de soldats calvinistes, vaincus par les troupes royales lors de l’affaire de Saint-Hilaire-de-Riez, ont été enfermés pendant des mois dans les bâtiments du Sanitat de la grande cité bretonne.

    C’était une pratique typique de l’Ancien Régime. L’administration royale était encore embryonnaire. Rien n’était prévu pour assurer des services d’état pourtant essentiels aux armées : santé, ravitaillement, surveillance des prisonniers, etc. Comme il l’avait toujours fait jusqu’alors, le pouvoir s’en déchargeait sur des corps intermédiaires comme le clergé ou les villes. Après les batailles victorieuses, les vaincus étaient répartis entre les cités du royaume. La Cour promettait, chaque fois, de dédommager les trésoriers des villes concernées, qui devaient avancer les frais nécessaires, parfois pendant de longues années.

Notre Dame de Bon Port image blog Jean-Yves Carluer

L’église Notre-Dame-de-Bon-Port, à Nantes, a été édifiée au milieu du XIXe siècle sur les ruines du Sanitat.

    La ville de Nantes disposait opportunément au mois de mai 1622 d’un vaste ensemble de bâtiments, le Sanitat, utilisé habituellement pour isoler les malades en cas d’épidémie. Les archives municipales ont conservé le passage des prisonniers huguenots dans l’établissement. Ces documents ont été dépouillés par l’historien Alain Croix dans le cadre de sa thèse monumentale sur la Bretagne aux XVIe et XVIIe siècle. Son verdict est sans appel : « de 600 prisonniers au moins initialement, 261 à 364 seraient morts en six semaines (43 à 61 %), 220 au maximum auraient fini aux galères, 120 auraient été libérés (20%) au terme d’une captivité de sept mois 1».

     Ces taux sont très proches de ceux constatés dans les camps de concentration nazis. Les circonstances sont dramatiques. Les 6 à 700 prisonniers de Saint-Hilaire-de-Riez sont, dès l’origine, des survivants. A l’exception de quelques chefs comme Benjamin de Rohan qui avaient réussi à fuir par la mer, le plupart des combattants réformés ont été massacrés sur place, même après avoir déposé les armes. Les survivants savent qu’ils n’ont aucune pitié à attendre des vainqueurs. D’ailleurs, dès le 27 avril, trente d’entre eux ont été pendus. Les autres sont promis aux galères. Les guerres sur fond religieux du XVIIe siècle français sont particulièrement cruelles pour les huguenots, car le pouvoir royal est intraitable en cette période de mise en place et d’affirmation de l’absolutisme, ou, plus que jamais, toute révolte contre l’autorité est considérée comme une grave sédition passible de la peine capitale.

    Comment expliquer la forte mortalité des détenus du Sanitat ?

    Les seuls documents disponibles proviennent de la comptabilité, mais ils sont très explicites. Des le début, les prisonniers sont entassés et enchaînés, jusqu’à 60 par chambre. « Point n’est besoin de beaucoup d’imagination », écrit Alain Croix, « pour reconstituer l’indescriptible entassement de corps tant morts que vivants2... ». La dysenterie sévit. Dans ces conditions, les latrines débordent et la ville doit payer 36 journées de travail pour simplement les curer !

    Les rations alimentaires sont notoirement insuffisantes, et la valeur de la ration journalière de pain ne dépasse pas deux sous. Il faut, de plus, soustraire du budget affecté aux détenus l’entretien d’un prêtre et de quelques religieuses, en sus des gardes nécessaires. Apparemment, pour les édiles nantais, le prosélytisme en direction des huguenots prisonniers était plus important que leur santé physique.

     Comme l’expliquait le pasteur Vaurigaud dans son Histoire des Réformés nantais, le roi offrait la liberté à ceux qui consentaient à abjurer. La politique des geôliers nantais répondait à ce désir et les mauvais traitements étaient censés accélérer le processus.

    Reste une interrogation. Alors que Benjamin Vaurigaud parle d’une libération des survivants à la suite de la paix de Montpellier (19 octobre 1622), Alain Croix n’évoque que des élargissements après abjuration. Le deux approches ne sont pas incompatibles. Toujours est-il que le sinistre Sanitat enfermait encore des dizaines de détenus survivants à la fin de l’année 1622.

Jean-Yves Carluer

1Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, la vie, la mort, la foi, Maloine éditeur, tome 1, p. 365-366.

2Idem, p. 365.