Philippe Lenoir (2)

De la Vilaine au Zuyderzee

        C’est donc vers 1664 que Philippe Lenoir, sieur de Crevain, commence à rassembler un maximum de pièces d’archives destinées dans un premier temps à établir les titres de droit d’exercice des diverses communautés protestantes de Bretagne. Le jeune roi Louis XIV a engagé la politique de restriction des droits des huguenots dans le Royaume. Dans cette première phase, le pouvoir se contente de manifester une rigueur administrative tatillonne : malheur aux Églises qui ne pourront présenter des preuves écrites de leurs exercices, datant souvent de plus d’un siècle. Leurs temples sont fermés. Bientôt viendra le temps de la mauvaise foi de l’administration, puis celui des purs dénis de justice, avant que ne tombe l’Édit de Révocation en 1685.

      Le paradoxe tragique de l’oeuvre érudite du pasteur Lenoir, c’est qu’il voulait rassembler des archives sensées assurer l’avenir les communautés huguenotes bretonnes. Son travail a finalement fixé pour l’histoire une épopée de foi que la persécution allait bientôt éradiquer. Quand il en devint conscient, il consigna ses recherches dans un livre d’histoire, sorte de bouteille à la mer qui est heureusement parvenue jusqu’à nous. C’est, disait le pasteur Vaurigaud en 1851 à propos du pasteur de Blain, « son tire le plus sérieux au souvenir de la postérité et à la reconnaissance de nos Églises »[1].

       Durant ces années 1660 et 1670, Crevain rassemble patiemment les morceaux du puzzle des actes protestants du siècle précédent. Ses matériaux sont les quelques comptes rendus conservés des synodes provinciaux, diverses pièces notariales et ecclésiales, ainsi que l’ancien manuscrit des mémoires du pasteur Louveau. Philippe Lenoir est bien placé par ses racines familiales pour retrouver ce qui concerne les Églises de Nantes, Blain, Rennes, Sion, La Roche-Bernard ou Vitré. On voit bien que Crevain est moins informé sur d’autres communautés bretonnes, les plus périphériques ou les plus récentes.

       De par ses recherches et ses nombreux rapports avec des magistrats de plus en plus mal disposés, le pasteur Lenoir est devenu extrêmement lucide sur l’avenir. C’est ce qu’il écrit dans ses mémoires généalogiques : « les grandes brèches faictes en Poictou et en Saintonge à l’Église de nostre Seigneur par les promesses, par les menaces et par les coups, par l’argent et par les dragons commençaient à nous allarmer et l’embrasement qui s’avançait venant jusqu’à nous à Blain par les monitoires qu’on jetta sur nous et par les affaires criminelles qu’on nous suscita, augmenta nos justes appréhensions. Une nuict que je passay sans dormir (en octobre 1681) me fit faire là-dessus des réflexions..[2].« 

       Crevain doit rester à son poste. Son devoir pastoral le lui commande. Mais il décide de mettre à l’abri ses deux enfants restés célibataires, son fils Jacques qui se prépare à devenir pasteur, et sa soeur. Il les confie, la mort dans l’âme, à une navire protestant qui quitte Nantes vers la Hollande. Ils sont parmi les derniers à pouvoir s’enfuir librement du royaume, non sans quelques périls de navigation. Il reste à Philippe Lenoir, une autre fille en Bretagne, au cas douloureux, puisque son mari a abjuré.      Le port de Hoorn (peinture ancienne de Hermanus Koekkoek)  

     Alors que le sieur de Crevain se prépare à terminer sa vie loin de ses enfants, la destinée en décide autrement. Philippe le Noir, pasteur de Blain fit l’objet en mars 1685 d’une ordonnance de prise de corps, son Église ayant accueilli au culte un réfugié. Il parvint à échapper aux recherches et put se réfugier en Hollande où son fils Jacques devint pasteur de Berg op Zoom le 15 décembre de cette année. Les dernières indications dont on dispose sur Philippe Le Noir nous le montrent responsable cette année-là d’une Église française qu’il avait fondée à Hoorn, port de la compagnie des Indes, sur le Zuyderzee. Le magistrat de la ville lui offrit un traitement de 400 florins, mais n’autorisa pas la communauté à s’agréger au corps des Églises wallonnes, ce qui fit que les huguenots de la ville s’assimilèrent progressivement aux communautés protestantes locales[3]. Nous ne savons pas grand chose des derniers moments de Philippe Lenoir. Nous pouvons être sûrs qu’il exerça son ministère jusqu’au bout.

 Jean-Yves Carluer

 [1] Benjamin Vaurigaud, introduction à l’Histoire ecclésiastique de Bretagne, par Philippe Lenoir, sieur de Crevain, p. XXXII.

[2] Philippe Lenoir, Mémoires généalogiques, transcrites par Jean Luc Tulot, Cahiers du centre de généalogie protestante, N° 29, 1990, p. 16.

[3] Bulletin de la Commission pour l’histoire des Églises wallonnes, 1885, p. 30.

Une réponse à Philippe Lenoir (2)

  1. LENOIR Claude Jean dit :

    Monsieur,
    Je viens de prendre connaissance de ce très intéressant article sur mon homonyme, le pasteur Philippe Lenoir. Je fus moi-même pendant dix pasteur des Eglises wallonnes d’Arnhem et de Nimègue et pasteur consultantde l’église wallonne d’Utrecht. J’ai dirigé également le journal « l’Echo des Eglises wallonnes ». Je fus ensuite pendant quinze ans pasteur à Genève. Depuis 9 ans en Normandie, j’ai fondé le cercle Condorcet-Voltaire-d’Holbach de Normandie.
    Avec ma considération distinguée, Claude Jean Lenoir, pasteur émérite et honoraire, membre de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen.

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