Rennes sous l’Édit -1

Rennes 1610 : être protestant dans un bastion de la Contre-Réforme

   La période dit « de l’Édit », de 1598 à 1685, est tout sauf une époque apaisée dans les relations entre catholiques et protestants en Bretagne. On est passé, comme nous l’avons dit ailleurs, d’une phase de guerre de religion classique à un ensemble d’affrontements apparemment plus feutrés, largement judiciarisés, mais qui ont pu, par périodes, déboucher sur des combats et des crimes locaux.

   C’est à Rennes que les huguenots eurent le plus à souffrir de la vindicte de leurs ennemis. La communauté protestante de la capitale bretonne reste en effet titulaire d’un triste record, inégalé dans le Royaume : son temple fut brûlé ou démoli cinq fois de suite en moins d’un siècle !

   A chaque fois ou presque, la recherche des responsabilités met en évidence la responsabilité des « écoliers des Jésuites ».

   On connaît le rôle d’un certain nombre de congrégations dites de la « Contre-Réforme » dans la réaffirmation et le renforcement de la foi catholique. Deux d’entre elles semblent avoir joué une activité de premier plan dans l’opposition systématique aux droits difficilement concédés à la minorité huguenote. Citons, par exemple, les Oratoriens dans le Comté de Nantes, et surtout les Jésuites dans le reste de la province.

   Ces ordres religieux connaissent alors une prospérité incontestable, spécialement dans l’ouest. Pour les étudier, je m’appuierai sur les travaux de deux de mes collègues et amis, enseignants à l’Université de Re

article Jean-Yves Carluer

Le quartier Toussaints à Rennes, d’après un plan de 1645. Au premier plan, la barbacane de la porte, face à Cleunay, et, très proche, l’église de Toussaints, chapelle du collège des Jésuites de Rennes.

nnes : Bruno Restif et Georges Provost.

   L’ordre est représenté par des collèges à Rennes, dès 1604, puis à Vannes et Quimper. Plus du tiers des effectifs pléthoriques de ces établissements se destine à la prêtrise. Le reste se prépare à diverses professions liées à la justice ou qui nécessitent la maîtrise du latin. Pour reprendre une expression de Georges Provost, c’est une clé de l’osmose entre le collège et la cité de Rennes : « la robe toute puissante dans la ville trouve au collège le lieu naturel de formation de ses fils, et la condition intellectuelle de la transmission des offices, des charges dans les mêmes familles1 ».

   La Bretagne fournit une part essentielle du recrutement de l’ordre des Jésuites en France : près de la moitié des effectifs en 1750 avant leur nouvelle expulsion du royaume. Il y aurait entre 1500 et 3000 élèves à Rennes au milieu du XVIIe siècle, soit plus de 5 % de la population urbaine. Comme ces « écoliers » résident en ville, les établissements n’ayant pas d’internat, ils peuvent largement diffuser leurs opinions défavorables aux Huguenots dans des milieux qui n’ont que trop tendance à les écouter, en particulier les classes populaires de la basse-ville, connues pour leur propension aux émeutes. Les écoliers externes, livrés à eux-mêmes une bonne partie de la journée peuvent facilement essayer eux-mêmes de traduire en pogroms leur hostilité et leur intolérance.

    Or ce sont ces mêmes quartiers que doivent traverser les quelques dizaines de Réformés rennais pour se rendre au prêche établi à Cleunay par les commissaires de l’Édit de Nantes. La construction du temple ayant coïncidé avec l’établissement du collège des Jésuites, les troubles ont été quasiment immédiats.

   Dès le 23 avril 1610, le Parlement enregistra la plainte des huguenots « contre les écoliers des Jésuites qu’ils trouvent assemblés et armés sur leur chemin lorsqu’ils se rendent à Cleusné« 2.

Une diffusion par les missions rurales…

   Les Jésuites sont également les pionniers des missions paroissiales. Celles de Basse-Bretagne ont été illustrées par la réputation du « père Maunoir », originaire pour sa part du pays de Fougères.

   Autres institutions caractéristiques de la Contre-Réforme en Bretagne, les retraites fermées organisées dans des maisons spécialisées, généralement en milieu urbain. Ces « retraites » accueillent pendant la période de l’Avent ou du Carême, par exemple, de pieux catholiques désireux d’acquérir des mérites. Ces retraites ne se développent vraiment qu’au cours de la période qui précède la Révocation. Elles traduisent un impact de plus en plus évident sur les élites qu constituent alors un « parti dévôt », en particulier parmi les membres du Parlement de Bretagne. Le père Vincent Huby, jusqu’alors enseignant au collège de Rennes, fonde en 1661 la Retraite pour Hommes. De son côté une dame de la haute société rennaise pose les bases de la Retraite pour femmes de Rennes. Elle s’appelle Catherine de Francheville. Son frère sera évêque. Un de ses neveux, Daniel de Francheville, avocat-général au Parlement, sera chargé d’instruire le procès des dizaines de pauvres huguenots saisis à Saint-Malo en route vers le Refuge à l’occasion de la Révocation. Il deviendra évêque à son tour…

Jean-Yves Carluer

1Georges Provost, « Le rayonnement des Jésuites à Rennes en en Bretagne aux 17e et 18e siècles », conférence, église de Toussaints, Rennes, 25 mai 2016.

2Archives départementales d’Ille-et-Vilaine, 1 Bf 229.