Les soucis de Le Gonidec
Le lettré breton avait donc achevé sa traduction du Nouveau Testament. Il l’avait réalisée dans des conditions difficiles. Il n’était pas bretonnant de naissance, il résidait à Angoulême, mais il s’était appuyé sur sa vaste connaissance des écrits mis à sa disposition par l’Académie Celtique. Le contrat qui le liait à la Société biblique britannique était clair : Le Gonidec était autorisé à se baser sur la version latine de la Bible, la Vulgate.
Pour ses correspondants protestants, comme Thomas Price, c’était une concession accordée faute de mieux. Ils espéraient que pourrait sortir, malgré tout, de la plume du lettré breton un texte qui respecterait assez les originaux hébreux et grecs pour être accepté par les Églises issues de la Réforme.
Jean François Le Gonidec, pour sa part, rêvait de voir sa traduction saluée et adoptée par le clergé catholique breton. L’érudit avait fait ses études au collège de Tréguier avant la Révolution, en un temps où les prêtres bretons pouvaient manifester quelque indépendance vis-à-vis de Rome. Sa traduction, pensait-il, était attendue par les catholiques de la province et il tenait à ce qu’elle ne présente pour eux aucune aspérité théologique. Il avait d’ailleurs soumis les prémices de son ouvrage, la traduction de l’Évangile selon Saint-Mathieu, à l’évêque de Quimper, Mgr de Poulpiquet1. Ce dernier lui avait répondu que sa traduction « avait le mérite de l’exactitude pour la doctrine et la narration des faits »2.
Ce que Le Gonidec n’avait pas assez mesuré, c’était le rejet violent et croissant par Rome du principe même de toute diffusion d’exemplaires des Saintes Écritures, de plus sans notes explicatives, auprès des populations. C’en était arrivé au point que les sociétés bibliques y avaient été déclarées pernicieuses et diaboliques ! Or, notre breton en était l’agent salarié…
Les théologiens gallois se montraient, de leur côté, médiocrement satisfaits du travail de Le Gonidec. Une longue discussion les avaient opposés au lettré breton, en particulier à propos de sa traduction du latin poenitencia qu’il avait transcrit en « pénitence », à la façon catholique, et non en « repentir ». L’enjeu ecclésial était évident. Malgré tout, le comité de la Société biblique accepta l’édition du Nouveau Testament.
Le Testamant Nevez Hon Aotrou JEZUZ-KRIST, troet e Brezonnek gant J.F.M.M.A. Le Gonidec parut donc fin 1827 à Angoulême, sous les presses de F. Trémeau3. Les 1000 ouvrages imprimés partirent vers les entrepôts de l’agence parisienne de la Société biblique.
Ce ne fut pas un succès de librairie. On peut même parler d’échec.
Une diffusion décevante
Les évêques bretons refusèrent la Bible Le Gonidec qui se vendit très peu en France. Selon le docteur Dujardin, les exemplaires se vendirent « presque entièrement au Pays-de-Galles »4. Le livre se diffusa en réalité également en Bretagne, mais de façon fort limitée et surtout sous forme de distributions gratuites en direction de plusieurs ecclésiastiques et de quelques notables. Il fallut attendre l’arrivée des missionnaires gallois John Jenkins (en 1834) et James Williams (en 1842) pour que ce Nouveau Testament soit confié à des colporteurs protestants. C’étaient les derniers disponibles. Mais il n’était pas question d’une réédition, car les Gallois s’aperçurent rapidement que la langue érudite de la version Le Gonidec était à peu près incompréhensible pour les populations de Basse Bretagne. « Le traducteur, en faisant usage d’un breton trop pur au lieu du breton corrompu qui est maintenant généralement employé et compris, a rendu certains passages du Volume divin bien incompréhensibles à ceux auxquels il était destiné, tandis que d’autres sont grandement obscurcis« , estimait John Jenkins5. La population bretonnante s’était familiarisée depuis longtemps avec la langue métissée de termes français utilisée par les prédicateurs catholiques, le Brezonec Belek, autrement dit le « breton de curé ». Il n’était guère possible d’en utiliser une autre, surtout comme vecteur d’évangélisation protestante, si l’on voulait être compris ! Les missionnaires gallois devront réviser d’urgence la version Le Gonidec. En attendant, quoique réticente, la Société de Londres, poursuivit l’achèvement du contrat avec le lettré d’Angoulême, qui concernait cette fois l’Ancien Testament.
La première entreprise de traduction de la Bible en breton par la Société biblique avait buté sur un problème missionnaire classique. Il est difficile d’échapper à l’environnement culturel religieux local, alors que c’est celui-là même que l’on veut réformer…
(A suivre…)
1 Jean de Poulpiquet de Brescanvel (1759-1840), évêque de Quimper et Léon de 1823 à 1840. Ancien recteur de Plouguerneau, c’était un excellent bretonnant
2 Lettre de Le Gonidec à la Société biblique britannique, 22 décembre 1827.
4 Louis Dujardin, La vie et les œuvres de JFMMA Le Gonidec…, Brest, 1949, p. 82.
5 lettre de John Jenkins du 30 juillet 1836, Archives de la British and Foreign Bible Society. Traduction de Dewi M. Jones.