Méthodistes, Calvinistes et parlant breton (3)

Un siècle de mission presbytérienne galloise sur le littoral de la Basse Bretagne.

Le temps du Réveil (1883-1914)

     William Jenkyn Jones, né à Cei Newydd -ou New-Quay- le 29 mars 1852, disposait déjà d’une certaine expérience. Il avait exercé pendant cinq ans le métier d’instituteur avant de poursuivre des études supérieures à l’université d’Aberystwyth. Le nouveau missionnaire jouissait de solides qualités spirituelles, humaines, intellectuelles, et les quelques mois qu’il passa en 1881 aux côtés du colporteur Le Groignec ne firent qu’affermir sa décision de s’établir en pays bretonnant. William-Jenkyn Jones fut consacré au ministère à Cardigan par le comité méthodiste en août 1882.

Organiser la transition…

William jenkyn Jones

Le pasteur William Jenkyn Jones

     La cession de l’œuvre de Lorient à l’Église réformée recentrait la mission galloise sur le Finistère. William Jenkyn Jones reprit progressivement, avec l’accord des pasteurs réformés, la charge de la paroisse urbaine de Quimper. Le pasteur n’eut pas de difficultés à s’adapter à un auditoire calviniste majoritairement composé de familles d’origine suisse, venus des Grisons. Il y trouvera bientôt son épouse. Mais l’objectif du missionnaire restait avant tout l’évangélisation des populations bretonnantes, tâche que son prédécesseur n’avait pu suffisamment réaliser, tant les oppositions et les entraves de l’administration avaient été pesantes. Mais James Williams avait laissé à W.J. Jones ses outils : le temple de Quimper, les tracts et les traductions de la Bible opérées en relation avec leurs collègues baptistes de Morlaix. Il avait légué surtout ses collaborateurs, à commencer par le colporteur évangéliste le Groignec. L’équipe pastorale se renforça bientôt par l’arrivée en Bretagne en 1886 d’Evan, frère aîné de William Jenkyn Jones, lui aussi ancien instituteur. Enfin, comme l’avait pressenti la mission méthodiste, le contexte politique était définitivement différent. La IIIe République accordait désormais toute liberté à la propagande religieuse tandis qu’une partie de la population pouvait donner libre cours à diverses formes d »anticléricalisme. William Jenkyn Jones pouvait espérer, comme il le mentionnait dans son rapport de 1882, « qu’une aube allait enfin se lever sur la sombre Bretagne…

1882-1888 : un pasteur à la découverte de son champ d’action.

     Le missionnaire gallois devait encore se perfectionner en français et en breton. Il reçut l’aide pour la première langue du pasteur Kissel, de Lorient, et pour la deuxième, de Pierre Le Groignec. Les évangélistes explorèrent dans un premier temps les petites villes qui formaient une couronne autour de Quimper : Rosporden (mars 1883), Concarneau, Douarnenez, qui servit de base à Le Groignec, et surtout Pont-L’Abbé (janvier 1884) où les réunions rassemblèrent une centaines de personnes pendant plusieurs années. C’est d’ailleurs là que s’établit Evan Jones. La mission méthodiste s’inspira également de l’exemple des baptistes de Morlaix : Alfred Jenkins venait d’y obtenir de nets succès en ouvrant une salle de conférences populaires en langue bretonne dans le faubourg de La Madeleine. William Jenkyn Jones fit de même en 1888 dans les quartiers ouvriers ainsi que près de la caserne de La Tour d’Auvergne. Mais les résultats restèrent mitigés : l’évangélisation protestante était toujours aussi difficile là où l’on pouvait entendre les cloches de Saint-Corentin. Même si en 1903, on comptait une dizaine de Bretons convertis sur une communauté de 70 personnes environ, ainsi qu’une quinzaine de sympathisants réguliers, l’avenir de l’œuvre était ailleurs, en direction de l’océan.

1888- 1894 : « Face au couchant »

     Pour comprendre les raisons de la rapide expansion de la mission parmi les marins du Sud Finistère, il faut la replacer dans un contexte plus large. Le tournant du XXe siècle est une période favorable à l’évangélisation côtière protestante dans notre pays, que ce soit sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique (Le Havre, Honfleur, Trouville, Saint-Malo, Perros-Guirec, Plougasnou, Morlaix, Roscoff, Lorient, Saint-Nazaire, Nantes…) et même de la Méditerranée (Collioure, Marseille…). Le phénomène touche des grands ports mais également des petites communautés de marins-pêcheurs. Le développement des conserveries a attiré dans quelques havres bien placés des populations fuyant la surpopulation des campagnes. En Bretagne, cette nouvelle implantation avait brisé dans une large part le réseau des paroisses : les recteurs (curés) et églises étaient restés dans les bourgs ruraux de l’intérieur (Plobannalec pour Le Guilvinec, Treffiagat pour Léchiagat, etc…) et les nouveaux arrivés vivaient près des grèves.
Les collectivités humaines littorales étaient donc en partie détachées de l’encadrement religieux traditionnel, tandis que se développait une sociabilité largement centrée sur les débits de boisson qui s’étaient multipliés. Les problèmes de société étaient considérables dans ces nouveaux villages surpeuplés et sans hygiène : épidémies (le choléra fit de nombreuses victimes à Léchiagat), chômage saisonnier, décès en mer, crises économiques fréquentes et d’autant plus graves que les résultats de la pêche étaient aléatoires. Pour le chanoine Le Floch, ancien archiviste diocésain de Quimper, le succès relatif protestant dans les ports bigoudens aurait été dû essentiellement « à la volonté délibérée des marins de rompre avec avec le milieu paysan dont ils étaient souvent récemment issus ». Les convertis se seraient recrutés essentiellement parmi les « déclassés sociaux en rupture de ban avec leur milieu d’origine ». L’historien Maurice Lucas note pour sa part la coïncidence « entre une attitude politique orientée à gauche et la contestation à l’égard de l’Église catholique« . Et cet auteur de faire remarquer, à la suite de Siegfried, qu’en Pays bigouden, si les hommes éaient volontiers anticléricaux, ils n’étaient pas irréligieux. De là, toujours selon Maurice Lucas, «  la pauvreté des temples, la simplicité de la liturgie, le mode de vie aligné sur le commun des mortels, tranchaient avec le comportement des prêtres attachés aux prérogatives d’un autre âge« . Face à ces attentes, la prédication protestante méthodiste sut faire porter l’accent à la fois sur une foi réelle et sur la globalité de ses conséquences humaine et spirituelle : d’un côté le message évangélique répondait à l’inquiétude religieuse d’une population qui se savait menacée chaque jour par la mort, de l’autre, elle intervenait dans un environnement social ravagé par des problèmes moraux, dont l’alcoolisme n’était pas le moindre.

L’abstinence de tout alcool n’était pas une option !

     Il faut en effet comprendre l’insistance des prédicateurs gallois contre la boisson comme une forme de christianisme social. L’abstinence faisait partie intégrante du parcours de conversion. Lorsque Jean-Marie Guégaden se convertit à Pont-L’abbé le 3 janvier 1891, il s’engagea immédiatement à ne plus boire d’alcool et une société locale d’abstinence fut créée le soir même ! Chacun connaissait ce grand buveur. Il était devenu boiteux après une grave chute à bord de son bateau. Sa vie changea désormais, même s’il garda son infirmité. Chrétien enthousiaste, devenu colporteur biblique, il parcourut désormais les villages bigoudens, dénoncé par le clergé sous le sobriquet de ar diaoul cam, le diable boiteux.
A l’époque déjà, plusieurs ont pensé que les missionnaires gallois se fourvoyaient en associant l’acceptation du message de l’Évangile à un engagement de totale sobriété : c’était ajouter un obstacle considérable à des conversions, déjà trop rares. Mais il n’en allait pas de même dans la réalité. Beaucoup d’hommes étaient conscients que leur dépendance était devenue un l’esclavage. Les épouses, surtout, devenaient les meilleurs alliées des prédicateurs. Dans nombre de cas, ce sont elles qui ont traîné leurs époux aux réunions, espérant le miracle qui allait transformer leur vie de famille.

Les premières phases de l’œuvre maritime

     Les bons résultats des croisières côtières des bateaux d’évangélisation de la Mission des Marins qui faisaient escale à cette époque dans les ports de la Manche avaient attiré l’attention du pasteur Jenkyn Jones. Le bateau-missionnaire The Mystery avait relâché à Douarnenez, Quimper et Audierne, et de nombreux marins avaient suivi les conférences à bord.
Dès 1889, la mission organisait sept réunions par semaine à Pont-l’Abbé, dont trois conférences publiques et trois rencontres pour les enfants. Les Gallois y obtinrent des conversions plus rapidement qu’à l’ordinaire : 5 engagements entre 1886 et 1890, 4 pour la seule année 1891, 6 autres en 1892, et plus de 30 signatures à la société d’abstinence. 60 personnes suivaient les services. Une nouvelle salle fut utilisée en 1889 à Lambourg, à peu de distance du centre-ville. A la fin de l’année 1891, l’Église de Pont-l’Abbé était constituée, avec culte et services de communion. Ce bel élan s’épuisa bientôt et l’assistance décrut sensiblement au début du XXe siècle. Le Réveil se déplaçait ailleurs.
Mathurin Le Groignec ouvrit également des salles annexes autour de Douarnenez, en particulier à Tréboul, où se développait une société d’abstinence. Il y eut des conversions et onze personnes prirent part à la communion lors du premier culte, le jour de Noël 1889. L’assistance approcha parfois les 100 personnes, mais la croissance restait lente.

1898-1914 : Le « Réveil bigouden »

     Le fleuron de l’action méthodiste dans le Finistère a été l’évangélisation des ports de pêche bigoudens. Partie de rien en 1885, la communauté méthodiste dépassait en 1913 les cent personnes à Lesconil et approchait la cinquantaine au Guilvinec. Avec les sympathisants, plus de 200 personnes faisaient plus ou moins profession de protestantisme sur la côte. En ajoutant les auditeurs réguliers, ce total pouvait doubler ou même tripler ! Ces chiffres sont sans commune mesure avec les autres champs d’action des Églises méthodistes en France. La rapidité de l’expansion était remarquable, car ce n’est qu’en 1894 que le pasteur Jones ouvrit des salles de conférences à Lesconil et à Léchiagat, et trois ans plus tard au Guilvinec et à Saint-Guénolé.
En 1900, il y avait déjà 14 prosélytes sérieux et une trentaine de sympathisants à Lesconil. En 1903, 35 Bretons s’étaient convertis, des jeunes ménages essentiellement, car les enfants étaient au nombre de 50. En 1907, les 42 prosélytes et leurs 64 enfants étaient déjà trop nombreux pour les salles de conférence, car il fallait ajouter à ce nombre autant d’auditeurs réguliers. En 1910, 54 convertis formaient l’ossature d’une assemblée de 140 personnes. W.J. Jones n’eut guère de peine à trouver au Pays-de-Galles le financement d’un temple neuf que l’on appela Béthel, appellation commune à tous les oratoires des marins protestants sur les différentes côtes du monde.
Les progrès de l’évangélisation furent plus lents mais plus réguliers dans l’ensemble portuaire Le Guilvinec-Léchiagat. 40 personnes fréquentaient les offices en 1903, et 7 s’étaient converties. La mission aménagea en temple une ancienne école, non loin du nouveau phare de Léchiagat, où se rassemblait en 1914 une congrégation de 25 convertis rejoints lors du culte par une cinquantaine de sympathisants.
Bien entendu, les missionnaires gallois essayèrent d’étendre leur prédication aux autres villages de la côte bigoudène. Ils échouèrent complètement à Loctudy, qui était une paroisse catholique ancienne. Mais, à l’ouest, leurs efforts commençaient à connaître le succès à Kerity-Penmarch et à Saint-Guénolé.

(A suivre)

méthodisme Lesconil

Sortie de culte à l’église méthodiste de Lesconil vers 1913.