Christ Church

Une église témoin d’un siècle de présence britannique à Dinan

La nouvelle a été reprise par la presse nationale et régionale. La mairie de Dinan, propriétaire des lieux, à mis en vente l’important édifice de l’église anglicane de cette ville. Il était désaffecté depuis bien des années. Les Britanniques disposent en effet d’un autre lieu de culte relativement proche, celui de Saint-Bartholomew à Dinard. Il est vrai, également, que le nombre de résidents britanniques permanents avait fortement baissé dans cette sous-préfecture des Côtes-d’Armor, et cela depuis… 1914 !

Les Anglais de Dinan formaient une collectivité beaucoup plus attirée par l’attrait d’un long séjour en France que par le tourisme ou les affaires, comme c’était le cas sur la côte. Si la communauté anglicane continua à grandir jusque dans les années 1880, c’est parce qu’elle était favorisée par l’existence d’un fort noyau initial et par une politique volontariste des autorités locales. Le principal du collège (français !) de Dinan, Joubin, fit imprimer vers 1845 à ses frais des prospectus en anglais vantant les paysages, les logements, et bien sûr les établissements scolaires de la région1. Le 23 juillet 1870, le maire de Dinan, Henri Pierre Flaud, estimait à 1.500.000 francs les dépenses des Britanniques sur place. Les étrangers procuraient à eux seuls un cinquième du produit de l’octroi. Le premier magistrat estimait en conséquence que « ce serait un placement avantageux que [de construire, extra muros, des habitations analogues aux squares de… Londres et de Jersey ] »2. On comprend, dans ces conditions, que les Britanniques se soient sentis chez eux à Dinan, d’autant plus qu’ils disposaient sur place de la totalité du « British way of life ». Cela ne voulait pas dire qu’ils vivaient en ghetto, bien au contraire. Ils tissaient de fréquents contacts avec la bourgeoisie locale, et les vétérans anglais pouvaient partager avec leurs homologues de la garnison française des souvenirs de Sébastopol et de Balaklava. « Les habitants les accueillent avec plaisir« , estimait le sous-préfet en 1857, « soit qu’ils leur louent leurs propriétés, soit qu’ils achètent leurs produits, soit qu’ils entrent dans leur cercle de société3.

La notoriété des Britanniques établis dans la sous-préfecture ne fit que renforcer le prestige de la ville de Dinan outre-Manche. Lord Kitchener vint souvent résider au manoir de la Grand Cour, en Taden, qui appartenait à ses parents.

L’église anglicane de Dinan

Le 1er janvier 1860 paraissait le premier exemplaire du journal « The Dinan magazine« . En 1857, le lieu de culte, pourtant fraîchement rénové, ne suffisait bientôt plus, et en 1866 la communauté anglicane demandait l’autorisation d’ériger une église de style plus monumental, qui vient d’être mise en vente4. Le projet de construction, appuyé par le maire, le sous-préfet et l’ambassadeur d’Angleterre, fut autorisé par l’État le 23 avril 1867, mais le gouvernement impérial refusa toute subvention. En 1870, les 502 Britanniques officiellement recensés à Dinan inaugurèrent leur temple, construit à leurs frais, grâce aux ressources d’usage en ces circonstances : collectes, bazar, etc. C’était le plus bel édifice anglican de Bretagne.

A partir de 1880, les effectifs recensés à la sous-préfecture commencèrent à se stabiliser. La colonie de Dinan devenait de plus en plus une résidence de vacances, ce qui ne l’empêchait pas à la fin du siècle de posséder outre son église et son journal, une librairie, des terrains de golf, cricket et tennis, une loge maçonnique et bien entendu un club-pub, « The Victoria Club« . Au plus fort de la présence anglaise, vers 1880-1890, la communauté anglicane, qui dépendait de l’évêché de Londres, eut deux pasteurs, un « chaplain » et un « assistant chaplain5. Le déclin se révéla pourtant très rapide dès le début du XXe, et en 1915, qui, il est vrai était une année de guerre, le pasteur Dutton Thompson ne rassemblait qu’un auditoire de 31 personnes6.

En guise de bilan…

Sur le plan spirituel, il est d’autant plus difficile d’apprécier la vie intérieure des Eglises anglicanes que nous n’avons pas pu consulter leurs archives. Quelques certitudes apparaissent clairement. Les responsables spirituels ont souvent été des hommes de grande valeur, comme l’épiscopalien William Wilberforce Newton (1846-1914), auteur de plusieurs volumes de sermons destinés aux jeunes et aux enfants, chapelain de Dinan de 1905 à 1906. Cela n’empêcha pas les communautés anglaises d’être occasionnellement déchirées par des conflits internes, que les autorités françaises et les Réformés se sont contentés de signaler sans pouvoir ni vouloir intervenir. Sans doute y eut-il, comme souvent dans ces cas-là, mélange de problèmes personnels locaux et retentissement des grands débats qui secouaient l’Église d’Angleterre.

A l’évidence aussi, les anglicans et les presbytériens ne se sont pas préoccupés de faire du prosélytisme en France. « L’exercice de cette religion… au milieu d’une population catholique ne suscite point de conflits. Un sage esprit de tolérance règne chez les fidèles des deux religions« , notait en 1857 le sous-préfet de Dinan. Cette attitude se poursuivit tant qu’un flux de résidence anglaise de longue durée se maintint en Bretagne et explique que les autorités locales aient généralement été très favorables aux colonies britanniques. Il en aurait été autrement si les anglicans avaient entrepris une action religieuse auprès des populations bretonnes.

Le clergé catholique se félicitait généralement de la réserve des Anglicans, mais certains prêtres n’hésitèrent pas à intervenir sur le plan religieux auprès des britanniques en résidence en Bretagne. H. Corbes signale 22 actes d’abjuration enregistrés dans l’évêché de Saint-Brieuc de 1826 à 1855. C’est un chiffre considérable, qui concerne essentiellement des Anglais isolés, comme ces deux protestantes de Lannion converties par l’abbé Kermoalkin. Ce mouvement régulier de conversions au profit du catholicisme était connu des évangélistes gallois travaillant en Bretagne, qui ne manquèrent pas de faire remarquer aux autorités que les changements de religion se faisaient dans les deux sens… Les Anglicans étaient conscients des pressions catholiques, et pour éviter toute influence « romaine », un certain nombre de résidents anglais mettaient leurs grands enfants en pension au lycée de Rennes où l’aumônerie protestante était confiée au pasteur réformé. D’autres s’accommodaient des établissements catholiques, et c’est ainsi que Thomas Edouard Lawrence, universellement connu sous le nom de Lawrence d’Arabie, fut l’élève des Frères de l’Instruction Chrétienne à Dinard7.

Jean-Yves Carluer

1 Hippolyte Corbes, « Le protestantisme dans la région malouine et dinanaise, du XVIIIe à 1914 », Annales de la Société d’Histoire et d’Archéologie de l’Arrondissement de Saint-Malo, 1982, p. 258.

2 Idem, p. 265.

3 Archives départementales d’ Ille-et-Vilaine, 3 V 4, rapport du 11 avril 1857.

4 A.D. d’Ille-et-Vilaine, 3 V 4, lettre du sous-préfet du 26 décembre 1866.

5 Hippolyte Corbes, « Les protestants dans les Côtes-du-Nord », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1961, p. 103.

6 Archives de la Société pour la Propagation de l’Évangile, P.V. du Continental Chaplain Commitee, citées par Dewi Morris Jones.

7 Hippolyte Corbes, « Quelques figures d’Anglo-américains dans la région malouine et dinannaise de 1815 à 1914 », Annales de la Société d’Histoire et d’Archéologie de l’Arrondissement de Saint-Malo, 1970, p. 46.