La renaissance inattendue (1800-2000…)

Le second protestantisme en Bretagne

1) De la tolérance à la reconquête (1787-1870)

 L’Édit de 1787 fut assez mal accueilli par le clergé provincial et le Parlement de Bretagne manifesta à ce sujet une de ses dernières frondes en ces temps pré-révolutionnaires. Ce n’est guère qu’à Nantes et à Lorient que se firent connaître des Religionnaires désireux de régulariser leur Etat civil. En effet, à l’exception de quelques centaines de Suisses ou d’Allemands, disséminés dans toute la province, de petites colonies protestantes n’avaient pu se reconstituer que dans ces deux grands ports. A vrai dire, Lorient méritait plus le terme de comptoir, car les quelques dizaines de calvinistes ou de luthériens qui fréquentaient l’embouchure du Blavet ne se fixaient pas durablement dans le port de la Compagnie des Indes. A Nantes, par contre, où la présence réformée n’avait jamais disparu, des familles s’étaient de nouveau établies dès les années 1750. Le premier port de France attirait les négociants et les fabricants venus de l’Europe du Nord ou du centre, tout particulièrement les indienneurs suisses, dont l’activité, nécessaire au commerce de la traite, animait les îles de la basse-Loire. L’administration royale, consciente des impératifs commerciaux, leur avait accordé un registre d’inhumation dés 1739. En 1770, l’ouverture d’un registre de baptême officialisait déjà la présence d’un pasteur à Nantes. Sans doute faut-il estimer vers 1789 la population protestante à une millier d’individus, dont 6 à 700 nantais, pour la plupart étrangers ou naturalisés de fraîche date. Lors de la tourmente révolutionnaire, ces minoritaires connaissent de sérieuses difficultés. D’abord enthousiasmés pour les idées nouvelles et sincèrement gagnés par le patriotisme révolutionnaire, ils sont vite pris à contre-pied par l’évolution des événements. Après le déclenchement de la guerre, cette bourgeoisie d’origines aussi diverses est en effet taxée de fédéraliste ou d’internationaliste. Les difficultés commerciales de l’Empire achèvent enfin de disperser une partie des négociants.

Pourtant, lors de la réorganisation officielle du culte réformé par Bonaparte, Nantes est désignée en 1804 comme chef-lieu d’une Eglise consistoriale, alors qu’il fallait un minimum théorique de 6 000 âmes, chiffre qui ne pouvait être atteint. C’est que les notables protestants nantais, les Dobrée, les Pelloutier et autres Favre ou Bourcard, avaient la confiance du régime impérial. Le pouvoir subordonna donc les vieilles Eglises réformées de Vendée comme Pouzauges ou Mouchamps à un consistoire de négociants. Dans la ville même de Nantes, la communauté protestante se développa progressivement, atteignant le millier d’âmes après 1850 et requérant alors deux pasteurs, dont l’un suivait plus particulièrement les disséminés de Saint-Nazaire ou de Basse-Indre.

 Un protestantisme bas-breton !

 C’est dans l’ouest de la Bretagne, pourtant, et de façon assez inattendue, que le protestantisme connaît son plus grand essor. Les quatre départements les plus septentrionaux étaient pourtant restés à l’écart de la Réforme depuis la Révocation (1685) et jusqu’à la chute de l’Empire napoléonien (1815). L’impulsion vint des îles britanniques, quand, après 1815 et avec le retour de la paix, des milliers d’Anglais décident de s’établir sur les côtes bretonnes, tout particulièrement autour de Saint-Malo et de Dinan, mais aussi à Lannion ou à Brest. Au même moment rentrent en France des émigrés ou des prisonniers de guerre qui s’étaient convertis au protestantisme au contact du « Réveil » méthodiste outre Manche. Sur les cinq jeunes français qui embrassent alors la Réforme au point de devenir pasteurs wesleyens, trois sont bretons : Armand de Kerpezdron, Pierre de Pontavice, Laurent Cadoret. Ils sont logiquement assez mal reçus dans leur province natale et exercent leur ministère en Normandie ou dans le Nord.

 Le séjour forcé outre-Manche des émigrés ou des officiers bretons s’est accompagné aussi de mariages : Les prisonniers sur parole sont catholiques, mais les épouses britanniques restent le plus souvent fidèles au protestantisme. Si l’on ajoute quelques centaines d’immigrants suisses originaires des Grisons venus s’établir dans les villes bretonnes comme cabaretiers ou confiseurs, il y a désormais assez de protestants pour former des embryons de communautés dans quelques villes où ils peuvent se reconnaître et se réunir. C’est particulièrement le cas à Brest, où le consul de Grande-Bretagne, Sir Anthony Perrier, homme du « Réveil », rassemble une petite congrégation dès les années 1820.

 Cette réalité est alors prise en compte par des sociétés religieuses protestantes nouvellement créées qui s’étaient donné pour but d’étendre le maillage réformé à l’ensemble du pays, au-delà même des bassins traditionnels huguenots. La Société Evangélique de France donne mission au pasteur Achille Le Fourdrey, qui s’était converti à Cherbourg au contact du méthodiste Amice Ollivier, de s’installer à Brest. Ce prédicateur s’établit à Brest au printemps 1832. Il n’a aucun statut officiel, mais la municipalité anticléricale de la ville lui accorde son appui total, politique et financier. Le dynamisme du pasteur fait le reste, et, dès 1833, les protestants de Brest sont officiellement rattachés au consistoire de Nantes. L’année suivante, Achille Le Fourdrey est reconnu par l’Etat comme pasteur officiel. Comme la communauté grandissait régulièrement, il a la joie, peu de temps avant sa mort, de voir Brest placé à la tête d’un nouveau consistoire détaché de Nantes et qui avait juridiction sur les quatre départements du nord-ouest (novembre 1852).

 En effet, le nombre d’Eglises protestantes s’est alors considérablement accru dans la province : des évangélistes de la Société Evangélique de France viennent s’établir à Rennes et à Lorient à partir de 1834, la colonie écossaise qui encadre l’usine linière de Landerneau a son chapelain particulier, des révérends anglicans exercent leur ministère à Lannion, Dinan, Saint-Servan, Dinard… Mais la grande nouveauté est l’arrivée de missionnaires gallois qui débarquent en Breiz-Izel avec la ferme intention de gagner la province à la Réforme.

Le protestantisme en Bretagne en 1848

Solidarité culturelle, compétition spirituelle…

 Dès les premières années de la paix retrouvée, en effet, les Eglises évangéliques du Pays de Galles avaient commencé à concrétiser un projet qui leur tenait à cœur: faire partager leur foi à ces cousins de Bretagne que le mouvement celtique venait de faire redécouvrir. En 1818, le journal des Méthodistes gallois, le Goleuad Cymru, publiait un communiqué qui présentait brièvement les 900 000 Français qui parlaient le  » cymrique  » ou  » bas-breton  » et évoquait la tristesse de voir tous ces gens sous le  » joug de fer du papisme « . En avril 1819, le pasteur et linguiste Thomas Price attira l’attention du comité de la British and Foreign Bible Society sur le fait que les Bretons ne possédaient pas de traduction complète des Saintes Ecritures. A partir de ce moment, le révérend gallois eut comme mission de trouver un érudit breton capable d’entreprendre ce travail. Et l’année suivante, lors de la création de la Société Missionnaire Galloise Baptiste, son premier but est de  » faire un effort pour amener l’Evangile jusqu’en Bretagne « .

 Le pasteur David Jones, collaborateur de Thomas Price, vint alors rencontrer Jean-François Le Gonidec, qui avait été un des premiers animateurs de l’Académie Celtique de Paris et avait fait paraître un dictionnaire et une grammaire celto-bretons qui faisaient autorité. Le Gonidec achève la traduction de la Bible en 1835, mais seul le Nouveau-Testament est édité aux frais de la Société Biblique britannique. Il ne reçoit pas un accueil encourageant en Bretagne : le clergé n’en veut pas. De plus, la traduction, très littéraire, est pratiquement inaccessible aux non-spécialistes.Les Eglises évangéliques galloises en concluent que seuls des missionnaires pourraient vraiment faire partager leur foi aux Bretons. En 1835, le révérend John Jenkins s’installe à Morlaix, aux frais de la société missionnaire baptiste et sur le conseil du pasteur de Brest, A. Le Fourdrey. Sept ans plus tard, James Williams, un méthodiste cette fois, vient dans le Sud-Finistère et prend en charge les protestants de Quimper et de Lorient. C’est seulement grâce au soutien déterminé de l’Eglise réformée de Brest (officielle) dont ils avaient délégation pastorale, que les missionnaires gallois peuvent passer outre à l’opposition catholique locale et bâtir des temples. Mais leur oeuvre première est linguistique. En bons protestants, ils appuient leur foi sur la Parole écrite, et sans relâche, ils révisent la traduction Le Gonidec ou rédigent de multiples opuscules en breton. Ce n’est que très progressivement qu’ils peuvent toucher les populations rurales, essentiellement par le moyen des colporteurs qui les secondaient. Lors de la période réactionnaire de la Seconde République (1849-1851), puis sous la phase autoritaire de Napoléon III (1852-1865), le clergé catholique s’essaya à faire interdire pratiquement tout prosélytisme. James Williams réussit néanmoins à établir une communauté à Lorient, où il installa le pasteur Planta, tandis que son collègue John Jenkins ouvrait des salles de culte à Guingamp et Saint-Brieuc avec l’aide du pasteur Victor Bouhon et rencontrait un timide succès dans un village des Côtes-du-Nord, Trémel. Quelques jeunes s’y convertirent, en particulier Guillaume Le Coat, petit-fils du fabuliste bretonnant Guillaume Ricou qui avait aidé John Jenkins à traduire la Bible. Guillaume Le Coat, d’abord instituteur-évangéliste, prit de plus en plus d’indépendance et devint pasteur sur place d’une congrégation baptiste puis directeur d’une importante œuvre missionnaire financée par un comité anglais.

En 1870, le protestantisme breton, fort peut-être de 4 à 5 000 âmes, était encore essentiellement représenté par les communautés réformées, en particulier celle de Nantes-Saint-Nazaire, dont l’importance nécessitait la présence de deux pasteurs, et par les Eglises anglicanes côtières qui connaissaient alors leur plus grande extension.

 2) De 1870 à 1940: un fort prosélytisme protestant

 Comme l’espéraient les évangélistes, l’avènement de la troisième République ouvrit une nouvelle page de la progression protestante en Bretagne. La liberté religieuse, le soutien des pouvoirs publics, l’appui de sociétés religieuses britanniques ou françaises favorisaient sans nul doute l’entreprise, et le demi-siècle qui court de 1875 à 1925 marque l’apogée d’une certaine forme d’évangélisation protestante. Les missions protestantes bretonnantes connaissent un net développement. L’œuvre méthodiste de Quimper, reprise par le pasteur William-Jenkyn Jones, aidé par son frère Evan et par l’évangéliste Le Groignec, crée des communautés durables à Douarnenez et dans les ports du pays bigouden, à Pont-L’Abbé, Lesconil, Léchiagat, Penmarch. L’impact sur les populations de pêcheurs est considérable. La mission baptiste de Morlaix, outre l’évangélisation ouvrière parmi les employés de la manufacture des tabacs, multiplie les annexes sur la côte nord, à Plougasnou ou à Roscoff et pénètre l’Argoat intérieur : une école est construite au Guilly en Poullaouën, ainsi que des chapelles à Lannéanou, à Kerelcun en La Feuillée et au Huelgoat. C’est le successeur et fils de John Jenkins, Alfred-Llewelyn, qui développe ce travail, avec les évangélistes Collobert et David. La mission baptiste de Trémel devient une oeuvre indépendante très originale qui devait tout à la puissante personnalité du pasteur G. Le Coat, aidé par son neveu Georges Somerville. Très marqué par sa culture familiale républicaine et bretonnante, il s’attacha à insérer étroitement la prédication protestante dans la sensibilité « bleue », anticléricale et régionaliste, largement partagée par les paysans des campagnes du Trégor et du Poher. La mission de Trémel connaît son apogée vers 1900 : son rayonnement dépassait les annexes locales de Pont-Menou, Carhaix, Callac et touchait en fait toute la Bretagne par le biais d’une abondante littérature. G. Le Coat fonda même des églises bretonnantes à Brest, Jersey et au Havre, où son beau-frère, François-Marie Le Quéré regroupa des marins convertis avant de se retirer à Plougrescant où un temple fut construit en 1904.

 Sur cette côte nord de la Bretagne, une deuxième vague d’évangélisation protestante multiplie les lieux de culte. Le Quaker Charles Terrell fonde en 1906 l’Eglise de Paimpol qui est reprise après la première guerre mondiale par le révérend baptiste gallois Caradoc Jones. Dès les années 1880, un cercle wesleyen avait regroupé les protestants francophones de la région de Saint-Malo et des dissidents de la communauté anglicane dans le cadre de la mission du Révérend Gibson puis dans celle de la conférence méthodiste française. En 1905, en accord avec l’Eglise réformée de Rennes, les protestants de Saint-Brieuc ont un pasteur méthodiste, Jean Scarabin, qui engage une importante action d’évangélisation dans les Côtes-du-Nord et particulièrement sur le littoral briochin : Cesson, Le Légué, Saint-Laurent… Surtout, J. Scarabin reprend avec succès des réunions commencées par la mission de Trémel dans la région de Perros-Guirrec. Dans les années 20, la mission méthodiste des côtes de l’Armor emploie trois pasteurs et évangélistes, particulièrement écoutés dans les petits ports entre Locquémeau et Saint–Quai-Perros. Des temples sont inaugurés à Lannion et Perros-Guirrec.

 Les Eglises réformées (calvinistes), qui traditionnellement n’étaient pas portées au prosélytisme, ont alors en Bretagne une attitude volontiers conquérante. Il est vrai que leur net engagement dans le camp « orthodoxe » ou « évangélique » les opposait dans ce domaine aux communautés des bassins traditionnels huguenots, tels le Poitou ou les Cévennes. A l’image du pasteur Benjamin Vaurigaud, de Nantes, qui anima la polémique locale contre le catholicisme et renouvela l’approche historique réformée bretonne, les responsables calvinistes bretons n’hésitent pas à mener un prosélytisme très actif. Ils reçoivent l’appui de La Mission Populaire, dite « Mission Mac-All », de Paris, qui finance la location de salles d’évangélisation dans les quartiers ouvriers de Rennes, Brest et Lorient. Dans cette dernière ville, où le noyau réformé d’origine était faible, le pasteur Kissel rassemble au temple un vaste auditoire qui avait été gagné au protestantisme près du port ou dans les locaux de conférences de Kerentrech, Hennebont ou Quimperlé. A Saint-Nazaire, les efforts des pasteurs de Nantes sont beaucoup moins couronnés de succès, jusqu’à ce que la Mission Populaire y place un évangéliste. En Loire-Atlantique, le poste essentiel de la Mission Mac-All est celui de Nantes où un agent est appointé dès 1885 pour répandre sa foi dans les quartiers populaires. Mais l’évangélisation ouvrière resta peu efficace jusqu’à l’arrivée du pasteur Chastand en 1907. Ce pionnier du protestantisme social crée alors une « Fraternité » qui dépassait largement la structure ecclésiale habituelle. La prédication y était associée à l’action médicale, éducative, sportive, culturelle et même syndicale et socialiste. Les vastes locaux de la rue de l’Amiral Duchaffault que fréquentaient des centaines de prosélytes furent en grande partie financés par Hippolyte Durand-Gasselin, directeur des usines Kulhman et président du conseil presbytéral réformé de Nantes.

 Une stratégie offensive mais difficile …

 On le voit, l’action protestante bretonne au XIXe siècle, tout comme celle qui l’avait précédée au XVIe, est marquée par la problématique de la conversion. Dans un premier temps (jusque vers 1830), la priorité avait été la conquête du droit à l’existence ; de 1830 à 1870 la difficulté du prosélytisme résida dans les limitations de la liberté d’expression. Sous la troisième République, les protestants de la province purent engager l’essentiel de leurs forces dans un affrontement direct avec le catholicisme.

 Les stratégies évangéliques furent assez constantes quelles que soient les sensibilités ecclésiales et les périodes. La première fut certainement de faire confiance à la page imprimée comme support primordial de l’évangélisation. Cette position s’accordait parfaitement avec la théologie protestante centrée sur la puissance propre à la Révélation écrite. En Bretagne, la traduction Le Gonidec précéda les missionnaires gallois. Ces derniers cependant se rendirent compte très rapidement que la lecture (rare) des exemplaires des Evangiles en breton ne saurait entraîner un mouvement de passage au protestantisme. Il fallait donc, estimèrent-ils l’accompagner de tout un environnement culturel et spirituel : l’alphabétisation, la lutte contre l’alcoolisme, l’apprentissage des libertés. Le premier livre écrit par John Jenkins en breton est donc tout simplement un abécédaire, l’A.B.K… Au cours du XIXe siècle, le progrès général de la scolarisation sert de toile de fond à l’énorme production protestante en langue bretonne : De 1830 à 1930, plusieurs millions de tracts, de Gwerziou (chansons populaires) ou d’Evangiles, plus de 100.000 Nouveaux Testaments, autant d’almanachs, 20.000 Bibles et de nombreux ouvrages de controverse sortent des presses. Le centre le plus fécond sur le plan littéraire est incontestablement Trémel, car le pasteur Le Coat sut admirablement exprimer la prédication protestante dans son trégorois natal et l’adapter à la sensibilité rurale bretonne. On ne trouve rien d’équivalent en Haute-Bretagne où les évangélistes se contentèrent de la production existante en langue française. Mais partout dans la province, les colporteurs furent à la pointe du prosélytisme protestant. Dès le milieu du xixe siècle, ils furent plus d’une dizaine en permanence à parcourir les campagnes bretonnes et aller de marché en marché, vendant leurs écrits mais aussi chantant les gwerzîou évangéliques, improvisant parfois des réunions spontanées, prenant les contacts qui préparaient les visites des pasteurs.

 La deuxième caractéristique de l’action protestante en Bretagne aux XIXe et premier XXe siècle est son association constante avec les milieux anti-cléricaux, républicains, voire francs-maçons ou socialistes. Sous le Second Empire, tout particulièrement, les protestants nouèrent une alliance sincère et durable avec les « Bleus » qui souffraient également du poids du cléricalisme dans l’ouest. Si cette alliance se révéla globalement bénéfique aux protestants, elle apporta également quelques désillusions. En 1849, les évangélistes firent l’objet d’une véritable persécution administrative lorsque la Réaction l’emporta ; après 1877 et la victoire de la République, les pasteurs qui avaient espéré un basculement de l’opinion en leur faveur, constatèrent au contraire que le clergé catholique réussissait le plus souvent à mobiliser les paroisses rurales face aux « doctrines étrangères ». Dans la première moitié du XXe siècle, enfin, les progrès du socialisme éloignèrent du protestantisme nombre de ses sympathisants.

 Dans ces conditions, les évangélistes étaient pris en tenaille entre la déchristianisation qui progressait dans les banlieues ouvrières et la puissance du clergé rural. Le poids de la tradition et des solidarités familiales était tel qu’il était impossible d’obtenir des conversions là où les prêtres étaient influents. Les pasteurs portèrent l’essentiel de leurs efforts sur les régions les plus détachées du catholicisme. Il est remarquable de constater que la quasi-totalité des implantations rurales et côtières protestantes en basse Bretagne se fit dans la « diagonale contestataire » qui allait du Trégor au Pays bigouden en passant par le Poher. Faute d’obtenir le basculement de communes entières (espérance toujours caressée mais jamais concrétisée), les pasteurs ont obtenus leurs principaux succès dans des villages écartés des églises paroissiales : collectivités rurales de lisière forestière au Guilly ou de défrichement des landes à Kerelcun, agglomérations récentes de marins-pêcheurs à Léchiagat, au Guilvinec, au Diben en Plougasnou… La solidarité de ces communautés plus isolées pouvait alors servir de contrepoids à la menace du recteur. Il en allait de même chez les déracinés. Les plus belles communautés bretonnantes se développèrent au Havre, à Paris, et dans les quartiers populaires de Brest ou de Lorient.

 3) 1930-2010 : un protestantisme renouvelé

 Le protestantisme breton a dû faire face pendant le dernier demi-siècle à une mutation d’autant plus profonde que ses bases démographiques, financières (large dépendance de donateurs extérieurs), culturelles (base linguistique bretonnante et implantation rurale à l’ouest) étaient fragiles. Les guerres mondiales et le mouvement migratoire creusèrent des vides que la poursuite de l’évangélisation ne suffisait pas à combler. L’évolution de la société, la sécularisation croissante, de nouveaux défis comme le dialogue oecuménique étaient d’autant plus difficiles à aborder que les protestants étaient à la fois très minoritaires et de sensibilités extraordinairement variées. Pourtant, dès le début des années 50, les confessions issues de la Réforme ont non seulement fait face mais ont continué à se développer d’une façon qui était difficile à imaginer. L’Eglise Réformée, renforcée par l’apport de protestants d’autres provinces et par le rattachement des communautés méthodistes, créa de nouvelles implantations, comme le temple de Vannes ou la Fraternité de Saint-Nazaire. Les assemblées pentecôtistes, qui nouèrent en Bretagne des relations plus étroites qu’ailleurs avec les autres protestants, y ont développé un réseau serré d’Eglises, souvent importantes. La plus originale est probablement la création à Rennes en 1952 de la Mission Evangélique Tzigane par le pasteur Clément Le Cossec. Cette mission regroupe à la fin du siècle plus d’un demi-million de fidèles dans le monde et représente la troisième composante en nombre de la Fédération protestante de France. Les Eglises de tendance évangélique « classique » enfin, à l’exemple des communautés baptistes, ont vu doubler le nombre de leurs pasteurs depuis les années 1960.Citons aussi de multiples actions sociales : les orphelinats, présents jusque dans les années 1970, ont disparu, mais le relais de l’action sociale a été saisi par les centres antialcooliques de Lorient et Guidel. La maison de retraite protestante de Nantes se modernise tandis que se crée le Home évangélique de Brest-Loperhet.

 Sans doute est-il délicat de mettre en évidence des caractères spécifiques à la Réforme bretonne depuis 1558 jusqu’à aujourd’hui. Les huguenots, comme leurs successeurs ont pourtant partagé au cours des siècles la persévérance (voire l’audace) dans le difficile statut de minoritaire. Bornons-nous à constater que les protestants ont été un ferment et que leur influence s’est manifestée dans tous les domaines, à commencer par le champ culturel. La Réforme a su s’acculturer profondément en Bretagne et cette dimension régionale est une des richesses du protestantisme français d’aujourd’hui.

Jean-Yves Carluer

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