La Ravardière -1

Comment un Poitevin devint Breton d’adoption…

     Autant l’avouer tout de suite. J’étais complètement passé à côté de Daniel de La Touche lors de la rédaction de ma thèse sur les protestants bretons.

Buste idéalisé de Daniel de La Touche de La Ravardière, devant le Palais du gouverneur de Sao-Luis (Brésil)

Buste idéalisé de Daniel de La Touche de La Ravardière, devant le Palais du gouverneur de Sao-Luis (Brésil) Cliché Wiki Commons.

     La Ravardière n’était pourtant pas un personnage de second plan : beau-frère de Gabriel II de Montgommery, amiral, « Lieutenant général es contrées de l’Amérique », ancien de l’Église réformée de Plouër, découvreur de Cayenne et fondateur de Sao-Luis de Maranhão, cité qui regroupe aujourd’hui plus d’un million d’habitants et capitale d’un des 26 États fédérés formant le Brésil !

     Mon jury de thèse ne s’en était apparemment pas aperçu non plus ! Il est vrai que l’on parlait fort peu alors de La Ravardière. La monumentale France protestante des frères Haag ne le mentionne qu’en passant et jamais comme breton !

     L’engouement pour l’audacieux capitaine parti de Cancale n’a surgi que récemment, notamment à partir d’initiatives brésiliennes, fières de se découvrir des racines françaises et pas seulement portugaises. Les bustes en bronze de notre huguenot se font face aujourd’hui sur les deux rives de l’Atlantique, à Sao-Luis et à Cancale.

     Je vais donc essayer ici de reconstituer le parcours de ce gentilhomme, en insistant sur la dimension protestante de ses engagements. Pour le détail de l’épopée de la « France équinoxiale », comme on l’appelait à l’époque, on se référera à d’excellentes études faites à ce sujet1.

     Nous essaierons ici de répondre à une première question : comment un gentilhomme poitevin de peu de fortune est-il devenu un grand marin protestant et breton ?

     On ne connaît pas la date de naissance de Daniel de La Touche. On sait seulement qu’il est né sans doute un peu avant 1560 à Berthegon, entre Poitou et Touraine, non loin de la cité huguenote de Loudun. La famille appartient à une noblesse assez obscure, dont le principal titre de gloire est d’avoir fourni autrefois un gouverneur au château de Loches. Les parents sont probablement déjà calvinistes, si l’on se refère à son prénom, Daniel. Le jeune homme s’engage très tôt sur le plan militaire pour « la Cause ». Ce choix correspond sans doute à ses convictions religieuses profondes, mais il est assez logique pour un gentilhomme audacieux et de petite fortune. La guerre ressemble en ce temps là une longue partie de poker avec pour partenaires la fortune et la mort. A ce jeu-là, Daniel de La Touche se montre habile, et, surtout, il tire souvent de bonnes cartes qui l’amènent à une ascension sociale indiscutable.

     Le sire de La Ravardière semble avoir rencontré les fils de Gabriel 1er de Montgommery au sein des armées protestantes qui combattent en Poitou au tournant des années 1580. Le comte de Montgommery avait été l’adversaire malencontreux du roi Henri II lors du fameux tournoi qui lui ôta la vie. Gabriel 1er s’était mis ensuite à la tête des Huguenots du Cotentin et de Basse Normandie. C’est lui qui avait conduit, avec le financement de l’Angleterre d’Élisabeth, l’expédition maritime de 1573. Faute de pouvoir ravitailler La Rochelle assiégée, l’escadre s’était contentée d’occuper temporairement Belle-Île-en-mer. Montgommery incarnait donc l’opposition militaire la plus déterminée à Catherine de Médicis jusqu’à ce qu’il soit vaincu à Domfront en 1574 et exécuté peu après. Ses biens furent confisqués et sa nombreuse famille privée de l’essentiel de ses ressources. Les huit enfants de Gabriel et Isabeau de La Touche, quatre garçons et quatre filles, se donnèrent désormais pour but de reconstituer le domaine familial. Il leur fallait, pour cela, nouer des alliances efficaces.

     C’est là que la chance sourit au seigneur de la Ravardière. Charlotte, une de ses filles, avait été unie à un baron protestant breton, Christophe de Chateaubriand, seigneur du Plessis-Bertrand, qui l’avait laissée presque aussitôt veuve et sans enfants après la bataille de Jarnac, fin mars 1569. Ce n’avait pas été, semble-t-il, un mariage d’inclination. Il y avait une très forte différence d’âge entre la jeune Charlotte et Christophe de Chateubriand, dont c’était d’ailleurs une deuxième union. Nous avons raconté sur ce site comment la veuve, probablement encore adolescente, avait été immédiatement expulsée de son domaine par un beau-frère rapace et de fort mauvaise réputation. Heureusement, les nobles du voisinage prirent sa défense et Charlotte de Montgommery recouvrit peu à peu sa fortune. Elle se retrouva même dans une situation enviable, confirmée comme unique propriétaire en 1586 de la châtellenie du Plessis-Bertrand et de ses terres entre Saint-Coulomb et Cancale.

     Charlotte de Montgommery était maîtresse de son destin, ce qui survenait occasionnellement à cette époque2. Elle n’avait même pas à obéir aux décisions d’un conseil de famille pour se remarier puisqu’elle disposait déjà de sa propre dot. Inutile de dire qu’elle fut sans doute assez courtisée. Son choix se porta sur le jeune et brillant gentilhomme poitevin qui lui fut sans doute présenté par ses frères. Ce n’était pas seulement un choix d’inclination. L’intérêt familial était d’ajouter une bonne épée au clan des Montgommery.

     On ne sait où et quand le mariage eut lieu. Le couple eut au moins une fille, Anne, qui se maria en 1615 avec un baron huguenot, Alexandre de Galard de Béarn, d’où postérité. Est-ce en l’honneur de son épouse que Samuel de La Touche de La Ravardière nomma « La Charlotte » le navire amiral de l’escadre qui partit de Cancale en 1612 fonder la ville de Sao-Luis ? C’est probable et ce ne serait que justice…

(à suivre…)

Jean-Yves Carluer

1Philippe Jarnoux : « Les dernières velléités de colonisation française au Brésil (1612-1615), Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1991, p. 273-296. Gilles Martinière : « Daniel de la Touche, sieur de la Ravardière, et la France équinoxiale du Maranhao », in Augeron M., Poton D., Van Ruymbeke B, (dir), Les Huguenots et l’Atlantique…, Paris, 2009.

2Ce fut le cas également à cette époque de Catherine de Parthenay, veuve du baron de Pont-L’Abbé, et d’Anne Alègre, veuve de Paul de Coligny-Laval

3Mémoires de la Société académique du Cotentin, 1892.