Les Justes de Trémel -1

    Il y a quelques semaines de cela, le dossier de Guillaume Louis Le Quéré, dit « Tonton Tom », a été déclaré recevable par les services du Mémorial de la Shoah pour l’obtention du titre de « Juste parmi les Nations ». Le comité doit se prononcer officiellement dans les temps à venir.

    Guillaume Le Quéré, ses sœurs et ses enfants, et plus globalement la Mission protestante baptiste de Trémel permirent en effet à plusieurs juifs d’échapper à la mort en 1943-1944.

    Ces faits étaient déjà connus de quelques historiens. Mais c’est la redécouverte d’un document écrit qui a rendu possible la finalisation du dossier.

Trémel Livre des visiteurs

Le Livre des visiteurs de la Mission de Trémel

   Il y a quelques mois maintenant, madame Charlot-Le Quéré put consulter en Angleterre un registre issu des archives aujourd’hui éparses de la Mission Évangélique de Trémel. Il s’agit du deuxième Livre des visiteurs (29 août 1897-11 septembre 1956). Ce registre, que j’ai eu la possibilité de numériser, prenait en effet la suite d’un autre, commencé en 1881 mais détruit accidentellement en 1897[1]. Il contient nombre d’annotations très intéressantes émanant de centaines de visiteurs, en majorité britanniques mais aussi français ou suisses.

    A la date du 10 octobre 1944, un assez long texte manuscrit attire l’attention. C’est le témoignage de remerciement de la famille Levy, cachée et hébergée pendant un an dans des locaux de la Mission de Trémel.

    « Notre profonde reconnaissance à la direction de la noble mission évangélique où nous avons passé une année pendant l’occupation et la barbarie allemande. Nous serions tous morts sans leur hospitalité aux risques et périls de leur vie. Nous remercions de tout notre coeur Tante Lili[2] et Tante Anna[3] qui ont été pour nous, non pas des tantes mais de vraies mamans. Elles nous ont hébergés avec tous les soins comme ses vrais enfants. Que Dieu les bénisse et que nous les revoyons en bonne santé et longue vie.

Trémel registre 1944

Registre des visiteurs de Trémel, 1944

    Nous n’oublierons pas Monsieur et Madame Le Quéré[4], lesquels sont devenus pour nous les plus grands amis de notre existence. Par leurs douces paroles encourageantes nous avons pu tenir toute une année. Ils nous ont monté le moral et ils nous ont aidés dans toutes les circonstances. Nous les remercions du fond du cœur, et que Dieu leur accorde santé et longue vie.

    Je me rappelle quand Monsieur Le Quéré, un jour au matin, venant nous dire bonjour, il nous voyait tristes et ils nous demandait: « Qu’avez-vous pour être ainsi ? » Nous lui avons répondu : « Il y a eu une rafle à Trémel cette nuit et nous avons peur ». Il nous répond avec son sourire habituel : « Soyez sans crainte, vous êtes parmi nous. Notre seigneur Jésus-Christ nous protège. Vous verrez, ne perdez pas espoir. C’est lui qui va vous sauver ».

   En effet, c’est Lui tout puissant qui nous a sauvés.

   A ce moment où nous vous quittons, nous adressons toute notre reconnaissance au Seigneur et puis à tous les braves gens qui nous ont entourés, du plus petit au plus grand. Nous nous séparons avec regret, mais avec la joie de vous revoir en bonne santé. Nous vous remercions encore en gardant le meilleur souvenir et la plus grande affection. Nous pouvons dire en ce moment :

   Gloire à Dieu[5] !

   Monsieur et Madame Robert Levy et leurs enfants ».

    Ce texte n’est pas anodin, ne serait-ce que par le vocabulaire employé qui témoigne, au-delà d’une sincère reconnaissance, d’une influence spirituelle incontestable, et cela même si la famille Lévy a conservé jusqu’à aujourd’hui sa foi juive originelle.

    Nous aborderons bientôt plus en détail les circonstances de la fuite et de l’hébergement de Bohor (Robert) Levy et des siens.

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Le registre, non numéroté, est titré en français « Livre des visiteurs à partir du 29 août 1897 » et porte sur la page de garde l’inscription en anglais : « This book was purchased to replace a book that Monsieur LeCoat has had in use since 1881. The book contained many valuable testimonials, but infortunatly was destroyed by one of the breton children ; the pieces were collected and much of it put together, and Monsieur keeps it in his bureau.« 

[2] Emilie Gertrude Le Quéré (1874-1946), nièce du pasteur Guillaume Le Coat, directrice de l’école protestante de Trémel puis de l’orphélinat.

[3] Anna Le Quéré (1878-1960), nièce du pasteur Guillaume Le Coat, gestionnaire et cuisinière de l’orphelinat de la mission de Trémel.

[4] Guillaume Louis Le Quéré (1873-1963), dit « Tonton Tom », neveu du pasteur Guillaume Le Coat, évangéliste, et son épouse Marie Yvonne Droniou.

[5] Termes soulignés dans le document original.