Être juif à Morlaix en 1943…
Qui sont ces Levy qui résident dans le Nord-Finistère au cœur des persécutions nazies ?
La famille est originaire des Balkans. L’aïeul, Jacques, était né à Vratza, en Bulgarie en 1869, et son épouse à Istanbul, en Turquie, 5 ans plus tard. Ils se sont établis un temps dans la capitale de l’Empire ottoman comme commerçants en tissus, sous la sauvegarde relative du statut inférieur accordé aux Juifs[1].
C’est l’aîné de leurs enfants, Bohor (Robert), né en août 1893, qui décida de se réfugier en France. Il venait de se marier avec Prossiadi (Berthe) Decalo, originaire d’Andrinople et était devenu père d’une fille, Mazalto. Ce qui l’a fait fuir en 1925 était un malheureux conflit avec un de ses voisins. Faute de pouvoir se défendre, il a préféré l’exil, accompagné de son épouse, ses parents, ses frères et soeurs. Les Levy sont des juifs sépharades passés autrefois par l’Espagne qui parlent encore entre eux le ladino, mélange d’hébreu et surtout de vieux castillan qui s’écrit en caractères latin, ce qui facilite leur intégration en France.
Ils se sont d’abord installés à Paris dans le quartier du Sentier. Leur fils Jacques naît dans la capitale en 1928. Mais les années de crise économique poussent les Levy à s’établir plus loin encore. Ils sont peu pratiquants et ne se formalisent pas de s’éloigner des synagogues. Bohor, son épouse, ses enfants, deux de ses soeurs et un beau-frère, Avram Hatem, se rendent en Bretagne, à Morlaix. Ils sont marchands forains. Bohor vend des tissus, Avram de la lingerie. Ils ne tardent pas à se faire leur place sur les marchés locaux, de Lannion à Saint-Pol-de-Léon. Les Levy résident Grande Venelle, près du viaduc.
La persécution du gouvernement de Vichy se met progressivement en place, au rythme de la collaboration. Le 1er février 1941, Bohor et son beau-frère sont interdits de commerce et spoliés de leurs marchandises. Le 2 juin, ils doivent se faire recenser, et le 8, ils doivent porter l’étoile jaune. A la vindicte publique s’ajoute la misère, d’autant que Jacques, le grand-père, est paralysé depuis 1937.
Le 29 janvier 1943, la famille Levy échappe physiquement au terrible bombardement du viaduc de Morlaix mais perd son logement qui est détruit. Elle doit se déplacer au 95, rue Gambetta.
Le 11 octobre 1943, la police allemande se rend à Morlaix pour procéder à l’arrestation et à la déportation des familles Levy et Hatem. Les policiers se présentent d’abord au domicile des Hatem, Rampe Saint-Nicolas, mais ne trouvent personne. Appelé à partir deux mois plus tôt comme volontaire pour le service du travail en Allemagne (STO), Avram Hatem avait préféré devenir réfractaire et contacté la Résistance qui prit en charge les siens, cachés dans des fermes à Plonéour-Ménez puis à Saint-Sauveur.
La police nazie se rend alors rue Gambetta, au domicile des Levy. C’est un lundi matin. La famille est dispersée. Le jeune Jacques a été invité par un autre collégien à une partie de ping-pong. Bohor et son épouse sont allés chercher des provisions au marché. Restent donc à la maison le grand-père qui ne peut se déplacer, la grand-mère qui le veille, Esther, une jeune tante célibataire née en 1911 qui réside avec eux, et la sœur aînée de Jacques, Mazalto Levy. Avec beaucoup de présence d’esprit, cette dernière saute par la fenêtre sur un toit en contrebas puis remonte la rue Gambetta jusqu’à la gare. Elle réussit à prendre le train pour Paris où un oncle pourra la cacher. Les policiers allemands se désintéressent des grands-parents, considérés comme intransportables, mais arrêtent Esther Levy. Elle sera internée à Drancy puis partira pour Auschwitz par le convoi N° 66 et gazée dès son arrivée[2].
A l’étage de la maison, une voisine âgée, Mlle Cueff, a compris tout ce qui se passait. Elle réussit à sortir et à prévenir le jeune Jacques Levy. Le garçon intercepte à son tour ses parents qui revenaient vers leur domicile, les bras chargés de provisions. Jacques Levy témoigne : « J’ai retrouvé mes parents quelques minutes avant qu’ils ne rentrent à la maison du marché. Mon père voulait aller s’expliquer avec la Gestapo, leur dire qu’on n’avait rien fait de mal, mais je l’ai convaincu de fuir plutôt que de retourner chez nous. Nous avons laissé les sacs de courses chez un commerçant[3]… »
Ils sont saufs. Mais où aller ?
(A suivre)
[1] Marie-Noëlle Postic, Des Juifs du Finistère sous l’Occupation…, Spézet, Coop Breizh, 2013, p. 54-56.
[2] Marthe Le Clech, De l’hôtel des Oriot à l’hôtel et au restaurant de l’Europe, Plourin-les-Morlaix, éd. Bretagne d’Hier, 2009, p. 172. Les photos d’identité, propriété de la famille Levy, sont extraites de l’ouvrage qui comprend plusieurs autres illustrations.
[3] Dossier pour le Mémorial de la Shoah, témoignage de Jacques Levy (25 mars 2015).