1589-1603 : une Église éteinte en des temps agités ?
Le printemps de l’année 1589 est celui des retournements de situation pour les derniers huguenots de Rennes et des environs.
Combien de protestants étaient restés dans la ville ? Nous avons vu qu’ils étaient frappés par un arrêté d’expulsion. Les événements, néanmoins, évoluèrent progressivement en leur faveur. En ce début d’année 1589, tout va très vite. Rennes était tombé entre les mains du duc de Mercoeur. Ce gouverneur de Bretagne, beau-frère du roi Henri III, menait un double jeu : il avait pris la tête des ligueurs ultra-catholiques bretons et négociait avec le roi d’Espagne pour se tailler une principauté dans l’ouest. Sa capitale serait Nantes. Le Parlement de Rennes, comme on appelait cette haute cour de Justice, était assez partagé. Ces magistrats hésitaient à défier le roi légitime, Henri III. Cette hésitation les amenait d’ailleurs à une relative modération vis-à-vis des Calvinistes, puisque les parlementaires bretons hésitèrent à prononcer des condamnations à mort contre les protestants comme ce fut le cas en d’autres provinces. Ils préférèrent édicter des peines d’emprisonnement, d’expulsion ou de confiscation. Sans doute aussi les Rennais tenaient-ils à ménager les capitaines des troupes royales locales dont plusieurs étaient huguenots assumés ou sympathisants. Nous avons déjà cité René Marec’h de Montbarrot, théoriquement catholique, mais époux d’une protestante, Esther du Bouays. Il y avait aussi René de Montbourcher, le seigneur du Bordage, d’autant plus belliqueux que les troupes de Mercoeur pillaient et ruinaient alors son château et ses terres d’Ercé-près-Liffré. Citons également René de La Chapelle, seigneur de La Roche-Giffart ou Jean du Matz de Montmartin.
La forte proportion de chefs militaires réformés tenait d’abord à plusieurs causes : leurs terres ayant été saisies, ils n’avaient plus rien à perdre que la vie. Comme huguenots, ils échappaient à tout soupçon de double jeu et de traitrise, exercices alors très courus. Ils faisaient enfin le lien avec leurs amis ou cousins du parti favorable à une paix de compromis religieux garantie par le roi. Ce courant, décrit alors comme celui des « politiques » progressait rapidement dans un royaume de plus en plus las des guerres de religion.
Le retournement de situation a été très rapide à Rennes. Mercoeur avait organisé à la mi avril 1589 une émeute dans la ville et fait chasser le lieutenant général de la Hunaudaye et le gouverneur Monbarrot qui s’étaient un moment réfugiés dans les tours de la Porte mordelaise,. Henri III intervint alors, sommant le Parlement de choisir son camp et organisant la lutte contre Mercoeur. Le 5 avril, Monbarrot fit revenir Rennes sous l’autorité du roi. L’accord des deux rois de France et du Béarn le 30 avril 1589 facilitait la transition monarchique nécessaire après l’assassinat du premier le 2 août.
L’accession au pouvoir du roi Henri IV ne pouvait entraîner une liberté immédiate pour les huguenots rennais. Le pays restait en guerre civile, tout particulièrement en Bretagne. Le nouveau roi devait composer avec une opinion publique qui lui était hostile. Les prédicateurs de Mercoeur avaient soulevé les campagnes contre les Huguenots. Il faut bien reconnaître aussi que les multiples violences et exactions qui venaient d’être commises par les capitaines calvinistes dans le pays de Vitré avaient aggravé la situation.
Le nouveau roi se devait de multiplier les signes favorables aux catholiques pour conserver son pouvoir. Il n’était donc pas question de favoriser le culte d’une minorité comme celle des Calvinistes rennais.
Combien étaient-ils, disions-nous plus haut ? Émile Clouard estimait leur nombre à une centaine[1]. Le petit peuple semblait désormais absent. Les bourgeois avaient fui ou se cachaient derrière des abjurations factices. Restaient les habitants des manoirs des paroisses environnantes, dans la mesure où ils avaient pu garder leurs « huguenotières », comme celle du Mesneuf en Bourgbarré.
Les Huguenots rennais « s’agitent encore de temps en temps », selon Émile Clouard, qui citait le placardage sur certaines maisons, début juin 1590, d’un libelle protestant sorti des presses du libraire Bertrand Avenel. L’incident suffit à alarmer le Parlement qui fit emprisonner Avenel. Quelques jours après, le libraire était banni de la ville pour une durée de deux ans[2].
Il n’était pas question de rétablir le culte à Rennes. René de Montbourcher avait pu recouvrer son château d’Ercé-près-Liffré, mais il était ruiné. Il était d’autant moins question d’y rétablir le culte que le seigneur du Bordage était absorbé par ses ennuis domestiques.
Les seuls pasteurs restés en Bretagne s’étaient réfugiés derrière les hautes murailles de Vitré. C’est seulement là que pouvaient se célébrer les cérémonies protestantes : « On allait à Vitré pour les épousailles. Quant aux enfants, il fallait les porter au même lieu pour y recevoir le baptème ou les laisser croître sans baptême s’ils étaient trop loin de Vitré, en attendant que le ministère pût être rétabli dans les églises désolées…«
Pour les Rennais, l’attente dura plus de 10 ans, jusqu’en 1603.
[1] Emile Clouard, Le protestantisme en Bretagne, 1939, p. 180.
[2] Idem, p. 181.
Crevain, Histoire ecclésiastique de Bretagne, p. 309.