Destins croisés…
Charles Hawker et sa sœur aînée Anne Catherine, quoique très proches et également fervents chrétiens méthodistes, prirent des chemins très différents. Ils avaient de fortes attaches avec le Bocage normand. Charles était né en 1814 à Condé-sur-Noireau, petit cité à la fois rurale et textile qui avait conservé la mémoire et même la pratique du protestantisme. La ville formait avec les campagnes environnantes une sorte d’enclave réformée et disposait d’un temple et d’un pasteur, sans compter le passage des premiers missionnaires wesleyens en France1. L’évangéliste William Mahy, originaire de Guernesey, y avait prêché très tôt le Réveil.
Commençons nos histoires croisées par celle de l’aînée, Anne Catherine, devenue l’épouse de John Alexander Wilson en 1828. Leur premier enfant, John Alexander junior, était né à Condé-sur-Noireau le 21 avril 1829. Après une carrière militaire bien remplie, ce zélé méthodiste avait été agréé comme missionnaire par la Société des Missions de Londres qui l’avait affecté à un poste situé aux antipodes, dans cette mystérieuse et dangereuse Nouvelle Zélande, découverte une génération auparavant par l’explorateur James Cook. La famille Wilson embarqua à Londres le 21 septembre 1832 pour un voyage de 6 mois à bord d’un navire qui convoyait des déportés vers Sydney, le Camden. Arrivés à bon port en Australie, les 4 voyageurs (le couple et leur deux premiers enfants) montèrent sur le Byron pour rejoindre Plenty Bay, sur la côte de l’Île du Nord de la Nouvelle Zélande. C’est là que se situait la mission de Te Puna2. La côte de la grande Île du Nord est magnifique et vallonnée, marquée par le volcanisme. Le climat est tempéré, avec des étés chauds et des hivers doux, le tout, il est vrai, assez pluvieux. C’est le domaine des vergers de kiwis qui s’étendent aujourd’hui à perte de vue sur les coteaux. Les populations locales, les Maoris, ont été progressivement conquis au christianisme, à l’image d’autres peuples du Pacifique, comme les Tahitiens. Mais les Maoris ont eu du mal à abandonner des usages séculaires, dont les plus contestables étaient alors la violence guerrière et l’anthropophagie. En outre, ce premier XIXe siècle est marqué par des conflits récurrents, dès que les Maoris constatent que les Européens débarquent des plus en plus nombreux et prennent leurs terres.
Les guerres néo-zélandaises, de 1836 à 1872, sont particulièrement violentes, d’autant que les Maoris adoptent très vite des méthodes militaires modernes avec usage des armes à feu et des fortifications. Leur force et leur détermination ont fait, depuis, la réputation des équipes de rugby locales.
Les missions britanniques vivent alors des moments fort difficiles et les époux Wilson doivent périodiquement se réfugier à bord de navires ancrés sur la côte.
Anne Catherine vécut entre-temps la vie d’une femme missionnaire, enseignant les jeunes filles maoris, veillant aux approvisionnements et assurant la continuité de la mission pendant les fréquentes absences des maris.
Mais la jeune femme se trouva frappée d’un cancer dès 1837. Elle décéda à Tauranga, où se situait alors la mission, le 23 novembre 1838, à l’âge de 33 ans. Elle laissait quatre enfants, dont l’aîné avait tout juste 6 ans. C’est une des premières femmes européennes inhumées en Nouvelle -Zélande.
Le missionnaire John Alexander Wilson ne pouvait pas laisser longtemps ses enfants à la charge de ses collègues de la mission de Tauranga. Il les confia ensuite à son beau-frère, Charles Hawker, qui avait acquis, entre-temps, un beau manoir le long de l’Odet, à Lanhuron en Gouesnach. Nous en reparlerons.
John Alexander Wilson retourne en Europe seulement en 1862. Il épousa l’année suivante en deuxièmes noces une nièce de sa femme, Charlotte Jane Emma Dent. C’était une pratique courante à cette époque, en particulier dans les familles à forte endogamie. Sans doute le pasteur voulait-il renouer avec le souvenir de celle qui avait été la trop courte joie de sa vie. Le couple vécut à Pau puis à Jersey où John Alexander Wilson mourut en juin 1887. Les aînés d’Anne Catherine retournèrent s’établir en Nouvelle Zélande. L’épopée néo-zélandaise de cette branche de la famille Wilson-Hawker n’était pas terminée.
1Jacky Delafontenelle, Les protestants du Bocage normand, Condé-sur-Noireau, Éd. Du Petit Chemin, 2007.
2Angela Middleton, Te Puna. A New Zealand Mission Station : Historical Archaeology in New Zealand, Ed. Spinger, 2008.