Le synode de La Roche-Bernard (2)

ou les difficultés de la confessionnalisation[1] calviniste en Bretagne

     Nous poursuivons ici la publication des actes du synode de La Roche-Bernard (1564), les plus anciens qui nous soient parvenus. Après avoir présenté sur ce site le préambule, à savoir la liste des différentes Églises, nous poursuivons par les travaux du premier jour, le 23 février 1564. Le texte est en français de l’époque. Le lecteur pourra passer directement au commentaire qui suit.

     « Au dernier sinode tenu a Ploermer, le vingt deuxiesme octobre dernier fut donné charge au consistoire de Rennes avecq le ministre de Syon d’assiner un troupeau au frère Monsieur de la Favède, ministre de la parolle de Dieu, ce qui auroit esté faict le vingt neuviesme décembre ensuivant, à quoy voullant obéir ledict de la Favède, s’i opposèrent quelques uns tant de la Roche Bernard que des environs appelans de ce que avoit esté arresté touchant ledit de la Favède par le consistoire de Rennes et ministre de Sion dellègués par le susdit Sinode de Ploermel, laquelle opposition veue au présent Sinode et les raisons des opposants ouyes, iceux s’estant premièrement submis à l’advis dudict Sinode, a esté avisé par la parolle de Dieu que ledict de la Favède demeurera absollument en l’église de Pontivy de quoy lesdits opposants ont appellé au concille général de ce royaume, et quant au frère Monsieur Louveau, d’aultant qu’il s’est toujours bien et fidellement porté en sa charge à laquelle il a esté légitimement appelle et receu de son église, laquelle le désire, a esté ainsy pour la gloire de Dieu […] qu’il ne l’abbandonneroit, et pour le regard de Monsieur Pasquier a esté résolu qu’il exerceroit le ministère en l’église de Vitré attendant que Monseigneur Dandelot lequel en a respetté le respette, si bon luy semble, suivant la réservation qu’il en a faicte pour l’employer ou il voira estre bon ».

      On le voit clairement, le synode provincial est appelé à trancher un conflit interne aux Réformés de la région de la Basse Vilaine. Nous disposons, pour le comprendre, de l’avis du pasteur Lenoir, sieur de Crevain, qui avait été pasteur dans la région plusieurs décennies après les faits, et qui disposait des écrits de l’un des protagonistes, le pasteur Louveau.

 L’apparence du conflit

      Que se passait-il ?

Maisons anciennes à La Roche-Bernard

Maisons anciennes à La Roche-Bernard

     L’apparence du problème, c’est une solide opposition entre deux pasteurs. Le premier s’appelle La Favède. Il était peu de temps auparavant un simple ancien (un ministère laïc) à La Roche-Bernard où il exerçait la profession de médecin. Devenu depuis peu pasteur, il est demandé par une fraction importante de ses anciens compatriotes, et lui-même souhaiterait exercer sa charge pastorale dans une cité où réside sans doute encore sa famille et où il a, peut-être, une maison. Tout cela peut aisément se comprendre.

     Le deuxième pasteur s’appelle Jean Laporte, dit Louveau. Nous présentons sa biographie ailleurs sur ce site. Il est originaire d’Orléans et a dû fuir les persécutions locales. Contrairement à La Favède, son parcours l’a amené à côtoyer longuement nombre de ses collègues en France et en Allemagne. Il est représentatif d’un calvinisme beaucoup plus abouti et austère que son collègue. Surtout, il a l’appui de François d’Andelot, le « haut et puissant seigneur » de La Roche Bernard, suzerain de la ville et protecteur de la communauté réformée.

     Le synode (l’assemblée des délégués des Églises), organe souverain chez les Réformés, qui s’est tenu à Ploërmel en 1563, a nommé Louveau à la Roche-Bernard, au grand dam des partisans de La Favède, qui s’est vu affecté à Pontivy, fief des Rohans, à  l’autre bout de la province. Le synode de février 1564 a été convoqué justement à La Roche-Bernard, nous dit Crevain, pour examiner sur place l’appel formulé par La Favède et ses partisans.

 Une césure profonde

      Si ce synode confirme finalement Louveau (avec juste une concession temporaire le temps d’une absence), c’est que l’enjeu est plus profond. En fait, la communauté protestante de La Roche-Bernard est profondément divisée. Une partie non négligeable de l’Église refuse d’adopter le mode de vie austère que Calvin a établi dans ses Ordonnances ecclésiastiques et imposé en France par la Confession de foi de La Rochelle.  Cela ne concerne pas que l’interdiction des danses, sauf aux mariages. Ces instructions visent à couper toute compromission avec les « superstitions » catholiques. Les inhumations doivent se faire, par exemple, sans pasteur et dans la plus stricte intimité, et jamais dans un temple. Disons immédiatement que cette rigueur ne pourra jamais être complètement  appliquée en Bretagne. Au moment même où se réunit le synode, François d’Andelot, frère de Coligny et seigneur de La Roche-Bernard, fait exécuter dans le nouveau temple de la ville, un magnifique tombeau « à l’italienne » pour sa défunte épouse, Claude de Rieux…  Il ne sera pas le seul à transgresser ainsi le bon usage calviniste. Privilèges de puissants, Duplessis-Mornay aura son tombeau sous le temple de Saumur, et Henri II de Rohan à Saint-Pierre de Genève !

     Mais d’autres refusent à tout moment, ostensiblement et violemment, la « discipline » de Calvin. L’historien Crevain raconte que le pasteur Louveau, rentrant du château de La Bretesche, croisa un groupe de ses paroissiens qui revenaient d’un baptême… catholique. Ce n’était pas complètement interdit, mais fait plus grave, ils étaient complètement ivres ! Après tout, c’était une solide tradition bretonne les soirs de fête… Louveau eut sans doute le tort de leur faire une remarque. Bientôt le pasteur se vit caillasser par les fêtards et n’échappa à la lapidation qu’en s’enfonçant dans la forêt !

     Cette fracture interne au protestantisme est caractéristique du début de la Réformation et des années 1560. Une partie du troupeau refuse la confessionnalisation en cours qui demande une rupture totale avec le catholicisme et certains usages traditionnels. Cette fraction, qui rentre régulièrement en conflit avec les pasteurs, ne tarde pas à se détacher de la Réforme et fera progressivement retour à Rome. Pour revenir au synode de La Roche-Bernard, on comprend qu’il ait estimé que la pasteur La Favède aurait eu moins d’autorité pour résister à ses anciens voisins que « l’étranger » Jean Louveau.

 Jean-Yves Carluer

[1] Nous utilisons ici un concept contemporain forgé par des historiens allemands comme Wolfgang Reinhard et Heinz Schilling, décrivant l’autonomisation de confessions chrétiennes rivales à la suite de la réforme luthérienne au XVIe siècle. L’accent est mis sur la mobilisation d’appareils ecclésiastiques nouveaux, qui furent étroitement associés aux pouvoirs civils pour faire émerger, selon des modalités similaires du côté catholique ou protestant, des types inédits de contrôle social (confessions de foi, disciplines ecclésiastiques, consistoires). Ce processus a rencontré des résistances. C’est le cas notamment en Bretagne, comme le montrent les actes du synode protestant de La Roche-Bernard

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