Adrien Condamin 1

Etre pasteur-colporteur à Lorient en 1925.

    La communauté réformée de Lorient avait près d’un siècle d’existence en 1925. Elle formait une sorte d’isolat protestant au sein d’un Morbihan traditionnellement catholique et d’une ville ouvrière de plus en plus athée. Après avoir été fondée par la Société Évangélique de France, puis desservie par la Mission presbytérienne galloise, l’Église réformée de Lorient avait été prise en charge par la Société Centrale. Le nombre limité de paroissiens ne permettait pas l’autonomie financière.

    En cette année 1925, Gédéon Niel (1865-1926), quoique pasteur en titre depuis 1916, ne pouvait plus assurer son ministère. Il était durement atteint par la maladie qui allait l’emporter. La Société Centrale Évangélique (SCE), qui soutenait l’œuvre de Lorient, prit les mesures d’urgence qui étaient nécessaires. Il n’y avait, dans cette époque d’après-guerre, ni les jeunes pasteurs ni le financement nécessaires pour relayer immédiatement Gédéon Niel. Mais la Société Centrale, aidée par « un généreux concours financier de la Société Biblique Nationale d’Ecosse« , put placer à Lorient, à titre provisoire, un colporteur évangéliste disposant d’une délégation pastorale.

    Adrien Condamin, né en 1897, accepta cet intérim d’un an. Il se destinait à une carrière pastorale au sein de l’Église réformée de France, qu’il exerça effectivement de 1927 à 1952[1].

    La condition du soutien de la Société Biblique d’Écosse, partenaire habituel de la Société Centrale, était que le jeune homme « amorce une œuvre d’évangélisation dans le département du Morbihan ».

    On lui demandait donc d’être à la fois pasteur, évangéliste et colporteur biblique, les donateurs écossais étant très attachés à la diffusion des Évangiles. A tout cela s’ajoutait une responsabilité d’aumônier militaire bénévole dans le cadre de la base navale de Lorient.

Le temple de Lorient vers 1920 ? Ce cliché, issu de la collection de l'Office protestant des projections lumineuses, est étiqueté "temple de Lorient". Je n'en suis certain, une erreur est possible. Un lecteur qui aurait des informations sur le temple avant sa destruction lors de la dernière guerre pourrait-il le confirmer ou l'infirmer ?

Le temple de Lorient vers 1920 ? Ce cliché, issu de la collection de l’Office protestant des projections lumineuses, est étiqueté « temple de Lorient ». Je n’en suis pas certain, une erreur est possible. Un lecteur qui aurait des informations sur le temple avant sa destruction lors de la dernière guerre pourrait-il le confirmer ou l’infirmer ?

    La tâche était lourde. Pour l’historien d’aujourd’hui, cette situation présente néanmoins un avantage considérable : Adrien Condamin se devait de fournir des rapports détaillés aux organismes qui l’employaient. Comme les archives de la paroisse réformée ont été détruites lors du bombardement du temple de Lorient pendant la dernière guerre, ce sont les seules traces de la vie quotidienne d’un pasteur de cette ville à cette période. Circonstance favorable, l’essentiel de ces rapports a été imprimé par la Société Centrale dans le journal mensuel protestant L’action missionnaire[2]. Nous en publions ici des extraits, que nous éditons en deux parties. L’article qui suit présente ses activités pastorales. Nous relaterons une autre fois ses très intéressantes tournées de colportage.

     » Depuis mon arrivée dans l’Église de Lorient, qui est en quelque sorte un poste d’avant-garde isolé dans la grande masse catholique du Morbihan, je me suis efforcé de faire aussi régulièrement que possible des visites aux familles de notre petite communauté évangélique.

    « J’ai remarqué que ces familles étaient heureuses d’avoir la visite d’un pasteur ou d’un colporteur. Ici comme ailleurs, les familles aiment à être visitées, elles ont [donc] l’impression de n’être pas oubliées, et bon nombre de personnes me l’ont rappelé. En revanche, je rappelle aux familles oublieuses du chemin du temple leur devoir, Les visites ont ceci de particulier, c’est qu’elles sont souvent l’occasion d’un entretien au cours duquel le visiteur s’efforce de faire de la cure d’âme, de faire comprendre aux cœurs envahis par une brume pénétrante qu’ils ont besoin d’un chaud rayon du ciel. Je m’attache, malgré mes lacunes, à donner au petit troupeau de Lorient le plus de cohésion possible en lui présentant l’idéal chrétien et en poussant chacun à considérer son Église comme sa famille ; c’est là un idéal difficile à pleinement réaliser sans le secours de Dieu.

    « Les présences au culte du dimanche varient de 30 à 50 personnes. Depuis 15 jours nous avons un renfort appréciable de militaires de la métropole et de Malgaches qui sont pour l’Église un grand encouragement[3].

    « Beaucoup de nos familles ont à apprendre de nos frères de Madagascar. Jeudi dernier, en compagnie de M. Subilia, j’ai assisté au temple à une réunion malgache qui fut présidée par l’un d’eux. Il y avait vingt-cinq [militaires] présents qui nous ont beaucoup édifiés, M. Subilia et moi, par l’entrain de leur chant et la puissance de l’allocution, que malheureusement nous ne comprenions pas. Une collecte a été faite parmi eux pour notre Église.

    « J’ai déjà présidé onze services, deux convois funèbres, un baptême et deux mariages.

    « Pour les deux convois funèbres il y avait au premier 80 et au deuxième 200 personnes. J’ai été très frappé de la religieuse attention avec laquelle ces auditoires entièrement catholiques ont écouté au temple et au cimetière les affirmations de notre foi évangélique. Il y eut un petit incident significatif au cours du second enterrement. Le convoi fut rencontré dans la ville par un prêtre qui ne daigna pas se découvrir au passage du corps. Des murmures de désapprobation s’élevèrent du cortège et un ouvrier se détacha de la foule pour exprimer vertement au prêtre son mécontentement […]

    « Autre visite chez une famille dont les soucis de la vie ont fait oublier depuis de longues années le chemin du temple, et qui va dans une profonde indifférence. Je reçois néanmoins un accueil poli. La maman m’offre un siège. Après m’être informé de la santé de tous, j’abordai ce qui importe surtout, et ce que beaucoup négligent, la question des besoins religieux, chose essentielle pour la vie spirituelle de chacun de nous. Je leur parlai de l’amour de Dieu, de Jésus, notre Sauveur, et je les engageai à être en règle avec Dieu, à ne pas vivre en quelque sorte en marge de la vie religieuse basée sur l’Évangile. Après un long entretien recommandant par la prière à Dieu ces âmes, cette famille me promit d’être désormais plus fidèle. Que Celui qui enregistre nos décisions, veuille leur donner sa force et la confiance qu’il est toujours auprès de ceux qui le cherchent.

(à suivre)

Jean-Yves Carluer

[1] Archives nationales, dossiers des pasteurs, AS 27.

[2] L’Action Missionnaire, 1925, p. 541 à 546.

[3] Le 11e régiment d’artillerie coloniale mixte malgache avait été créé en 1919. Il devint en 1924 le Groupe autonome d’artillerie coloniale du Levant, transformé bientôt en Régiment d’artillerie coloniale du Levant (RACL). Stationné à Lorient, ses cadres étaient issus de différentes unités des colonies et ses hommes de troupes étaient des bigors (artilleurs de Marine) malgaches dont la moitié environ étaient protestants. Il s’honora bientôt en participant en juin 1940 au « combat des cinq chemins » face à l’avancée allemande sur Lorient. L’unité a été recréée après la guerre pour devenir le 11e régiment d’artillerie de Marine, basé à Saint-Aubin-du-Cormier près de Rennes.