Les carnets de colportage d’Adrien Condamin.
Nous avons présenté sur ce site le pasteur Adrien Condamin qui assura l’intérim de la paroisse réformée de Lorient en 1925. Il recevait un soutien financier de la Société Biblique d’Écosse mais devait, en échange, consacrer une partie de sa semaine au colportage de Nouveaux Testaments. Comme tout colporteur salarié, il devait noter scrupuleusement le bilan de ses tournées. Cette lecture nous permet de mieux saisir le contexte religieux de l’époque : maintien des traditions dans les régions rurales, forte sécularisation des ouvriers autour de la ville de Lorient. Le contraste est également sensible avec les tournées de colportage du siècle précédent : l’affrontement religieux avec le catholicisme est devenu moins marqué. Mais le colportage biblique reste une tâche difficile et souvent ingrate.
Laissons la parole au pasteur-colporteur :
« Je fit une tournée de colportage dans Josselin [… ] Je rentre dans une pauvre maison où une personne d’un certain âge me demande le but de ma visite. Simplement, je lui parle de l’Évangile. Cette femme, bonne catholique au sens chrétien, m’interrompt en me disant qu’elle avait eu bien des épreuves dans la vie, mais qu’elle les avait surmontées, grâce à sa confiance en Dieu. Elle m’acheta un Nouveau Testament, version Sacy, en me déclarant que c’était là un bon livre, qui malheureusement faisait défaut dans bien des familles.
– Autre rencontre. Dans un milieu très pauvre, une vieille femme me reçut d’abord avec méfiance, et quand je lui eus exposé la raison de ma présence chez elle, elle me fit remarquer qu’elle n’avait jamais vu de marchand comme moi; elle se déclara une bonne chrétienne, connaissant l’Evangile par cœur, disant régulièrement ses prières tous les jours. Je lui fis remarquer que c’était bien de connaître l’Évangile, nais ce qui importait davantage c’était de s’efforcer de prendre pour ligne de conduite l’enseignement évangélique, et de reconnaître Jésus, le Christ vivant, pour Sauveur. Cette paysanne me regarda longuement en silence puis me dit brusquement : « Oui, Monsieur, ce que vous dites est vrai, veuillez me vendre un de vos livres. »
– Chez un gendarme en congé, je rentre. Ce dernier lisait un livre quelconque, je lui présente un Nouveau Testament. Tout d’abord il regarda ce livre avec dédain, puis, sur ma recommandation de l’examiner, il le prit me disant : « C’est un livre de messe ». Je l’en dissuade, lui déclarant que c’était l’histoire de la vie de notre Sauveur à tous, tant catholiques que protestants, juifs, etc. Un entretien intéressant s’engage alors, au cours duquel je lui fis remarquer que si notre pauvre société était soumise au mal, c’était dû, pour une bonne part, à son ignorance du message évangélique que Jésus apporte à la terre. Ce gendarme me prit un Nouveau Testament en m’assurant qu’il en ferait la lecture.
– Dure journée, mais j’ai été heureux d’avoir répandu dans cette localité, malgré bien des rebuffades, quelques exemplaires des Saintes Écritures.
– Rendant visite à une famille de l’Église, habitant les environs de Lorient, j’ai profité pour faire du colportage dans un hameau voisin comprenant une population travaillant à la culture ou aux chantiers du port. Tristes et pauvres habitations, où l’alcool règne en maître dans certains foyers. Rencontres assez intéressantes malgré le milieu indifférent [à la foi chrétienne]. Entre autre, je rentre dans une habitation composée d’une seule pièce dont le carrelage fait défaut, sol battu. Pour tout mobilier, dans un coin, table avec coffre breton, servant de banc, dans un autre coin, un lit surmonté d’un baldaquin, un bûcher, je distingue même un clapier renfermant quelques lapins. Au fond, une vieille bretonne fumant la pipe, assise sur la pierre de l’âtre. En raison de l’obscurité de la pièce, tout d’abord je ne vis personne, je demandai s’il y avait quelqu’un. La paysanne me répondit et me pria d’entrer. Je lui présente un Nouveau Testament, lui disant que c’était le Livre par excellence qui fait vivre courageusement malgré les épreuves de la vie. Elle parut d’abord étonnée quand je lui parlai de Jésus, non pas du Jésus matérialisé dans les chapelles et les calvaires de la campagne, mais du Christ sauveur des âmes. Elle m’écouta, surprise, et malgré sa mentalité encore fruste, elle me comprit et me demanda un Évangile qu’elle déclara devoir faire lire par son petit-fils, pour elle, qui ne sait pas lire.
– Plus loin, je rentre dans une maison où deux hommes d’un certain âge sont en train de converser. Je m’adresse au plus âgé qui cassait du bois, je lui présente l’Évangile en lui recommandant d’être attentif au message que je lui apporte. En riant, il me dit qu’il n’avait pas encore vu de marchand comme moi, et voyant le sérieux avec lequel je lui parlai de la Bonne Nouvelle, il devint attentif. Comme la chaleur de la journée était étouffante, il m’offrit aimablement un verre de cidre, je le remerciai de son amabilité en lui déclarant que j’étais un buveur d’eau. Grande fut la stupéfaction de ces deux hommes lorsque je leur dis ces paroles. Je leur expliquai les méfaits et les crimes de l’alcoolisme dans la société, et principalement dans les foyers ouvriers, et notre devoir à tous de le combattre. Mais pour avoir de l’influence sur les tristes victimes de la boisson, il fallait prêcher d’exemple, exemple qui ne trouve sa force que dans la confiance en Dieu. Avant de les quitter, un de ces hommes me demanda un Nouveau Testament et quelques brochures.
– Bonne journée, malgré l’indifférence constatée dans bien des cœurs. A Dieu de faire luire dans ces âmes l’amour et la beauté de l’idéal chrétien […]
– Je visite un faubourg. Là comme ailleurs, hostilité sourde, indifférence pour tout ce qui est évangélique. Visité bon nombre de taudis où grouillent beaucoup d’enfants, sales, misérables. Je pénètre dans une cour centrale, sorte de cour de miracles, avec des portes donnant sur des logements à escaliers branlants. En arrivant dans cette cour, j’entends des éclats de voix, deux femmes se disputent violemment. Je rentre dans un logement où je vois une jeune mère nettoyant son enfant. Je lui parle du Salut que notre Sauveur est venu nous apporter sur la terre, je lui dis également que pour le suivre il faut le désirer, et connaître sa vie, son enseignement. Elle me déclara qu’elle avait de la religion, mais qu’elle n’avait pas le temps d’aller à la messe. Sur ce, je lui fis remarquer que la religion n’est pas une chose dont on se revêt comme d’un vêtement, qu’elle est autre chose que ce que beaucoup de personnes pensent. Pour s’approcher de Dieu, de Jésus, il ne suffit pas d’aller plus ou moins régulièrement aux offices religieux, machinalement, parce que c’est l’habitude, mais reconnaître son état de misère, et accepter Jésus-Christ comme Sauveur. Cette jeune maman parut surprise de mon langage, puis me dit : « Monsieur, je vais vous prendre un livre, je ne vous connais pas, mais d’après ce que vous m’avez dit, vos livres ne doivent pas être mauvais ».
– En sortant de cette habitation où une âme encore plongée dans l’erreur s’était intéressée à l’annonce du message évangélique, je passai aux logements voisins. Toutes les portes s’étaient fermées à mon approche, je frappai plusieurs, mais sans résultat, et pourtant j’entendais des voix à l’intérieur. Je descendis ; en partant, je remarquais que ces personnes qui n’avaient pas voulu me recevoir, me regardaient ironiquement. Pauvres créatures qui ignorent la beauté de l’Évangile, et qui bien souvent lui sont hostiles parce que l’Évangile leur fut présenté, faussé.
– Un autre jour, je rentre dans la cour d’une très grande ferme, le fermier était sur le seuil de sa porte. Je lui présentai un Nouveau Testament. Il me regarda sans rien dire ; devant mon insistance, il consentit à examiner le livre présenté. L’ayant feuilleté, brusquement il me dit : — Vous êtes protestant, c’est un livre protestant que vous m’avez présenté.
— Oui, Monsieur, je suis protestant, et c’est un chrétien qui vous parle, quant au Nouveau Testament, il n’est pas protestant, il est pour tout le monde, il s’adresse à tous, quelle que soit sa confession.
— Là-dessus, mon interlocuteur me fit remarquer : « Oui, je vois, mais vos livres ne font pas allusion à la Sainte Vierge ». Je lui répondis, que les évangélistes parlaient de la mère du Sauveur, en lui lisant quelques passages, mais que nous, chrétiens protestants, nous ne lui rendions pas de culte. Jésus seul est venu sauver le monde, lui seul par sa mort rédemptrice nous a délivrés du péché. Que tout en respectant la mère de Jésus, nous ne lui donnions pas un rôle divin ; pour nous, Jésus-Christ tient la place centrale pour le Salut du monde. Visiblement intéressé, le fermier se tint moins sur la réserve, et fut plus sympathique. Il feuilleta de nouveau le Nouveau Testament, et me dit : « Oui, Monsieur, vous comprenez l’Évangile autrement que nous, catholiques, je reconnais que vous faites du bon travail, mais vous ne devez pas toujours être compris, je désire posséder un Nouveau Testament que je lirai, d’ailleurs j’en ai eu un semblable pendant la guerre ». En le quittant, il me souhaita bon courage, et me donna une cordiale poignée de main.
– Bonnes rencontres et occasions de faire connaître la Parole de Dieu aux cœurs qui sont hélas bien nombreux dans l’ignorance.
– Hélas ! il y a aussi beaucoup d’indifférents ou de personnes hostiles ».
Adrien CONDAMIN. Tournées d’octobre 1925. (L’action Missionnaire, 1925, p. 546 et ss)