Jean Laporte, dit Louveau, premier pasteur réformé consacré en Bretagne

 

Prosper Levot (1801-1878) fut un des plus éminents érudits bretons du XIXe siècle. Conservateur des Archives de la Marine à Brest, fondateur de la Société académique de cette ville en 1858, on lui doit de nombreux ouvrages, en particulier une Biographie Bretonne, recueil des notices sur tous les bretons qui se sont fait un nom, éditée en deux tomes à Paris, en 1852 et 1857.

Nous extrayons de cet ouvrage la notice qu’il a consacré au plus éminent des pasteurs bretons de l’époque de la Réformation, Jean Laporte, dit Louveau. Ce dernier était ministre [du Saint Évangile], comme on disait à l’époque, à La Roche-Bernard, ville dont le seigneur était le protestant François d’Andelot, le frère de l’Amiral de Coligny. Le duc d’Étampes était gouverneur de Bretagne, et le prince de Condé, chef du parti huguenot.

     Louveau (Jean Laporte), ministre calviniste, né dans le XVIe siècle, à Beaugency ou à Orléans, mort en 1608, fut un des premiers apôtres de la religion réformée en Bretagne, et plus que tout autre, il y contribua à ses progrès. Envoyé dans cette province en 1559 par l’Église calviniste de cette ville, il ne commença pourtant son apostolat que deux ans après, à la suite d’un voyage qu’il fit en Allemagne avec Mallot, ministre comme lui, et attaché depuis, en cette qualité, à la personne de l’amiral de Coligny. Au retour de ce voyage, entrepris pour s’éclairer sur quelques points de doctrine qui divisaient les coreligionnaires, Louveau apprit que les calvinistes d’Orléans se réunissaient dans des prêches secrets. S’étant joint à eux, il fut nommé Ancien ; mais il n’en exerça pas long-temps les fonctions. Soupçonné d’avoir trempé dans la conjuration d’Amboise (mars 1560), il fut contraint de se réfugier à Lyon, puis à Valence, où la religion réformée était professée publiquement.

    Il ne tarda pourtant pas à revenir à Beaugency ; et, comme à son titre d’Ancien il joignait celui d’avocat, on jeta les yeux sur lui pour le charger de porter aux États Généraux de Melun le cahier des plaintes et remontrances que les protestants voulaient présenter à cette assemblée. Quelques personnes du clergé catholique, informées de sa mission, en donnèrent avis à la Cour qui dépêcha le prévôt de l’hôtel pour le saisir et le conduire à Orléans, où s’instruisait le procès du prince de Condé. Mais, prévenu à temps, il se sauva à Paris et accepta la charge d’Ancien qu’on lui proposa dans le consistoire de cette ville. Comme à cette époque on demandait de tous côtés des pasteurs pour les Églises naissantes, on le prépara au ministère : désigné d’abord pour l’Église de Ploërmel, il accepta, sur le refus d’un de ses confrères, la direction de celle de la Roche-Bernard , où il fut accueilli, à son arrivée, vers la fin du mois de juin 1561, par de grandes démonstrations de joie de la part de son troupeau. A quelques jours de là, il débuta par un acte qui témoigne de son caractère résolu , en prêchant publiquement dans la chapelle de Notre-Dame, où les calvinistes furent appelés à son de cloche. Fort de l’appui de d’Andelot, il se permit impunément cette hardiesse que n’avait encore eue aucun de ses collègues, réduits jusque-là à prêcher secrètement.

    D’un caractère ardent, il ne négligea aucune occasion de propager les nouvelles croyances, et exerça une grande influence sur les décisions qui furent prises, en septembre et décembre 1562 par les synodes de Çhâteaubriant et de Rennes.

L’église Notre-Dame de La Roche-Bernard, devenue temple réformé en 1561 jusque vers 1625. Le pasteur Louveau y fut installé en juillet 1561. Depuis 1984, la chapelle Notre-Dame, restaurée par l’association « Le Ruicart », est réaffectée de façon oecuménique aux deux cultes catholique et protestant.

Ne tenant aucun compte de l’édit du mois de janvier précédent, qui avait prescrit aux calvinistes de restituer les églises catholiques dont ils s’étaient emparés, Louveau, peu de jours après la réception de l’édit, célébra dans celle de Saint-Yves le mariage de deux de ses coreligionnaires. La curiosité y attira une si grande foule de catholiques et de protestants, qu’elle ne put bientôt plus les contenir, ce qui détermina Louveau à conduire les fiancés à l’église Notre-Dame, la plus grande de la ville. La foule l’y suivit. A la vue d’un si grand concours d’auditeurs, le fougueux prédicateur monta hardiment dans la chaire et y lit un long discours. Toutefois, pendant qu’il parlait, soit terreur panique, soit que tous les assistants ne goûtassent pas sa doctrine, plus de cinq cents personnes se levèrent précipitamment et voulurent sortir. Loin de se déconcerter, Louveau continua résolument son discours que le peuple, subjugué par sa fermeté, écouta jusqu’à la fin. Le clergé catholique, irrité de celte usurpation, fit abattre la chaire, pour cause de profanation. Les coreligionnaires de Louveau, animés par son exemple, s’enhardirent, et les localités voisines furent bientôt pourvues de pasteurs, presque tous institués par le ministre de la Roche-Bernard , qui désormais fut considéré comme le chef du mouvement religieux qui agitait alors la Bretagne.

    Peu de temps après, le duc d’Etampes qui avait reçu de la cour des ordres défendant aux protestants de se rassembler, écrivit aux ministres et aux principaux chefs, pour les exhorter à céder aux circonstances et à obéir. Les calvinistes, alarmés, tinrent plusieurs conseils et chargèrent Louveau de présenter des remontrances au duc d’Etampes. « La défense qu’on venait de faire », dit-il dans le mémoire qu’il composa à celte occasion , « était contraire à l’édit de janvier, qui permettait aux protestants de se réunir pour faire le prêche ; en empêchant les baptêmes et les mariages, elle portait un préjudice notable aux réformés, et ne pouvait manquer « d’attirer le courroux du ciel… ils ne pouvaient, en conscience, consentir ni approuver les cérémonies ajoutées et diminuées aux sacrements par l’Eglise romaine ».  Louveau suppliait ensuite le duc d’Etampes de permettre aux calvinistes de continuer leurs assemblées, et l’en conjurait au nom de d’Andelot qui, ajoutait-il, « les incitait journellement à continuer un si saint ministère ». Il ne fut répondu à ce mémoire que par des défenses encore plus rigoureuses que les précédentes, notamment par l’injonction aux ministres (14 août 1562) de sortir de Bretagne dans le délai de quinze jours, sous peine d’être pendus. Poursuivis, hors d’état d’être secourus par leurs coreligionnaires qui avaient été désarmés, ils se réfugièrent à Blain, ou le vicomte de Rohan leur offrit un asile. Ils y furent bientôt en assez grand nombre pour former, le mois suivant, un nouveau synode où il fut prescrit aux ministres de ne point abandonner leurs troupeaux et de résister, par tous les moyens possibles, à l’édit du 14 août. Louveau, que l’on savait homme d’action, fut chargé de conduire à Orléans les troupes que le vicomte de Rohan rassemblait pour envoyer au prince de Condé. La paix qui se fit au moment où il allait se mettre en marche, l’empêcha seule de se rendre à Orléans.

    Résolu à braver tous les dangers, il voulut aller à Nantes, ou aucun de ses collègues n’osait se présenter, tant était animée la persécution exercée … Il s’y rendait avec le ministre du Croisic, le seul qui eut consenti à l’accompagner, quand, passant à Pont-Château, où se trouvait l’évêque de Nantes, il fut reconnu et dénoncé à ce prélat qui mit aussitôt des cavaliers à sa poursuite, pour se saisir de sa personne et lui faire subir la rigueur du dernier édit. Bien qu’il fut parvenu à trouver un asile sûr chez d’Andelot, au château de la Bretesche, Louveau, n’écoulant que son zèle, quitta cette retraite et vint à la Roche-Bernard dans le but de prévenir les malheurs que lui faisaient craindre les opinions singulières de quelques-uns de ses coreligionnaires ; mais lui-même était débordé, et sa voix jusqu’alors si influente, fut méconnue. Sa vie courut même des dangers assez sérieux pour qu’il fut obligé de chercher un nouvel asile à la Bretesche, et de ne point paraître au synode qui se tint à la Roche-Bernard , le 23 février 1563. L’irritation soulevée contre lui provenait de son opposition à des doctrines nouvelles qu’il jugeait propres à amener ùn schisme parmi les protestants. Le synode se rangea de son parti et le maintint dans ses fonctions, d’où ses adversaires voulaient l’exclure. Il fut même député au synode national de Lyon (août 1563) ; mais le gouvernement de l’Église de la Roche-Bernard était convoité par beaucoup de ses collègues qui lui suscitèrent de nouvelles persécutions.

    En butte tout à la fois à l’animosité des catholiques et à celle des protestants, Louveau eût infailliblement succombé si d’Andelot, et après lui le vicomte de Rohan, ne l’eussent recueilli quand il lui fallut se soustraire au danger. Il était encore à la Roche-Bernard, quand y arriva la nouvelle de la Saint-Barthélemy. Sentant que les ministres étaient encore plus menacés que les simples protestants, il réunit toutes ses ressources et les consacra à l’achat d’un petit navire, sur lequel il s’embarqua, à la fin d’octobre 1572 , afin de passer en Angleterre avec sa femme et quinze de ses amis. Ballotté par une tempête qui l’empêcha, pendant dix jours, de doubler la pointe du Conquet, il fut enfin jeté dans un petit havre des environs, arrêté, ainsi que ses compagnons, par les gentilshommes et les paysans des environs, et conduit dans la prison de Saint-Renan. Une demoiselle calviniste favorisa leur évasion nocturne, et les fit conduire à Morlaix, d’où ils purent gagner l’Angleterre.

    Louveau en revint quatre ans plus tard, à la sollicitation de plusieurs seigneurs protestants, et, bien que les ministres de Normandie l’eussent fait prier, par le consistoire de Londres, de les aider à rétablir les Églises de leur province, il préféra retourner à La Roche-Bernard, où il arriva le jour de Pâques 1576. Deux mois après, un nouvel édit de pacification ayant autorisé le libre exercice de la religion réformée, Louveau qui n’en avait pas attendu la publication pour prêcher publiquement, donna carrière à son zèle trop longtemps contenu, et quand les dispositions manifestées au commencement de 1577 par les États de Blois, jetèrent l’alarme parmi les protestants, dont beaucoup prirent la fuite, il resta avec son troupeau, et eut même la hardiesse de continuer ses prédications. Toutefois, ses biens furent saisis, et lui-même allait être jeté en prison, si L’édit de Poitiers n’avait arrêté les poursuites dont il était l’objet.

    L’édit du mois de janvier 1585 ayant provoqué la guerre civile dans la Bretagne qui en avait été préservée jusque-là, il se réfugia à La Rochelle. Celle ville lui ayant accordé l’église Sainte-Marguerite pour y faire ses prédications, l’église bretonne, dont il devint ainsi le chef, prit une certaine consistance sous sa direction. Elle fut toujours distincte des autres Églises de la Rochelle, et son pasteur, élu par les Bretons pour assister au conseil de la ville, s’y fit entendre plusieurs fois. Louveau ne la gouverna pourtant pas longtemps, car, en 1587, il fut nommé pasteur de Fontenay, où il refit son Histoire du Protestantisme en Bretagne, histoire que les ligueurs avaient brûlée en même temps que sa bibliothèque, à la Roche-Bernard, et qu’il continua plus tard, jusqu’en 1608. Restée manuscrite, elle a servi de base principale à l’ouvrage composé par Philippe Le Noir, sieur de Crevain, et publiée sous ce titre : Histoire ecclésiastique de Bretagne, depuis la Réformation jusqu’à l’Édit de Nantes, par Philippe Le Noir, sieur de Crevain, pasteur de l’Église réformée de Blain (Loire-Inférieure); ouvrage publié pour la première fois d’après le manuscrit de la bibliothèque de Rennes ; avec une préface, une biographie et des notes, par M. B. Vaurigaud, président du consistoire et pasteur de l’Église réformée de Nantes. Nantes, L. et A. Guéraud , 1851, in-8e

    Louveau ne revint en Bretagne qu’après l’édit de Nantes. Depuis cette époque jusqu’à sa mort, qui dut avoir lieu en 1608, au plus tôt, puisqu’il travaillait alors à son histoire, il professa librement la religion réformée, qui dut à son zèle un grand nombre de prosélytes. C’était un homme laborieux, éclairé, d’un caractère ferme et entreprenant, que le péril stimulait au lieu d’abattre.

 Prosper Levot

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