Elie Berthe (1818-1889)

Heurts et malheurs d’un pasteur revivaliste

Élie Berthe, pasteur à Brest de 1878 à 1889, a été le troisième fondateur de la paroisse réformée de Brest, après Achille Le Fourdrey, le pionnier, et Théophile Chabal, l’édificateur du temple. Il été le premier à porter le titre d’aumônier de la Marine et a orienté l’action de la paroisse en direction des populations ouvrières.

Élie Joseph Berthe est né le 17 septembre 1818 à Fresnicourt-le-dolmen, dans le Pas-de-Calais, au sein d’une humble famille protestante. Une petite communauté réformée avait subsisté sur les collines de l’Artois autour de la pittoresque forteresse d’Olhain qui avait été au XVIe siècle un centre de diffusion du protestantisme. C’est justement au pied du château que le garçon avait vu le jour. Son père était le maréchal-ferrant du lieu. La famille se réunissait avec d’autres lors du prêche qui se tenait dans un hameau voisin, à Verdrel. Le jeune Élie est marqué par le ministère du pasteur qui vient d’être installé à Béthune et qui l’oriente vers la faculté de théologie de Strasbourg. Sa thèse, soutenue en 1846, a pour sujet la définition biblique de la sanctification.

Le jeune pasteur est d’abord nommé à Épinal, petite Église dont il est le premier ministre du culte. Sans doute s’y ennuie-t-il un peu, car il demande bientôt à être employé comme prédicateur itinérant dans le cadre de la Société Centrale Protestante d’Évangélisation, qui l’affecte en Normandie.

Le Réveil du Pays de Caux.

Élie Berthe parcourt donc les campagnes protestantes autour de Bolbec, de Luneray et de Rouen. Nous sommes dans les premières semaines de la IIe République, temps très troublés dans cette région. La conjonction de l’inquiétude des populations et des qualités spirituelles du jeune pasteur entraîne un mouvement spirituel assez rare dans notre pays. Le rapport d’Élie Berthe est bientôt publié par la Société centrale :

« Voila donc déjà trois mois d’excursions dans la Haute Normandie, et si vous me demandez ce que j’en pense, ce que j’en espère, je vous dirai que mon premier sentiment a été celui du découragement, et celui que j’éprouve aujourd’hui est un sentiment de confiance et de joie.

J’ai commencé mes tournées avec ces trois mots -. repentance, rémission des péchés, réveil. Ces trois points de la doctrine chrétienne parlés plutôt que prêchés, et pour l’application desquels la tradition normande me venait en aide (on se souvient encore des persécutions, et l’on indique les cavernes où l’on courait la nuit entendre l’Évangile), ont produit quelque bien. Ici, c’est une Église toute entière qui sent le besoin de revivre ; là, c’est un temple ordinairement vide qui se remplit ; ailleurs, un auditoire de quatre cents personnes, non content d’un service de deux heures et demie, demande encore une réunion le dimanche soir, et partout quelques personnes pieuses qui comprennent la doctrine de la croix.

Si je pouvais consacrer tout mon temps à la Consistoriale de Bolbec, je pourrais établir un nouveau lieu de culte dans une petite ville où un terrain est déjà donné pour l’érection d’un temple, et une somme de 4 à 5,000 francs déjà écrite ; mais il n’y a personne pour mettre la main à l’oeuvre.

Vous le voyez, il y a du travail dans cette contrée. Je prévois qu’il en sera de même dans la consistoriale de Rouen, où je vais me rendre. Il faudrait établir le culte à Elbeuf, à Louviers, etc. Mais les forces d’un seul homme sont insuffisantes pour entreprendre et mener de front l’évangélisation des deux consistoriales de Bolbec et de Rouen1… »

Enthousiasmé par ce qu’il vient de vivre en Haute-Normandie, le jeune évangéliste accepte avec joie la proposition qui lui est faite de devenir pasteur de la grande et prospère paroisse de Luneray, dans le pays de Caux. Il ne se doute pas qu’il tombe dans un piège.

Tout se présente fort bien au début. Élie Berthe fait même dès 1849 ce que l’on appelait à l’époque un mariage « avantageux », en s’unissant à Ernestine Poullard, issue d’une famille de meuniers enrichis par l’achat de biens nationaux pendant la Révolution et devenus de petits industriels. L’un d’entre eux est maire de la commune.

La paroisse de Luneray avait déjà connu des pasteurs revivalistes comme Laurent Cadoret, qui y avait établi la première école du dimanche de France en 1814. L’Église s’était, comme souvent, progressivement divisée entre Libéraux et Évangéliques. Cas unique, ces derniers avaient été très tôt majoritaires au point d’emporter le temple officiel. Les libéraux devaient se contenter d’une chapelle indépendante mais comptaient bien prendre leur revanche.

Soucis…

Élie Berthe se retrouve plongé au milieu d’une lutte fratricide et de plus en plus difficile. En outre, la santé de son épouse Ernestine se détériore. Le couple n’a pas d’enfants et le pasteur se retrouve veuf après quelques années de mariage. Élie Berthe s’était remarié le 29 juin 1857 à Brest avec une fille du consul du Royaume-Uni, Sir Antony Perrier. Rosamund Eliza avait alors 40 ans. Elle était bien connue dans les Églises bretonnes pour sa foi et son engagement spirituel. « Tante Rose» suivit son mari à Luneray et partagea ses soucis.

Le camp libéral, fort de l’appui d’André Sayous, responsable du culte protestant au ministère de la Justice, réussit finalement à évincer Élie Berthe. Les dissidents sont d’abord réintégrés dans l’Église officielle, et finalement, le pasteur évangélique est froidement révoqué « pour intransigeance » en 1862. L’historien André Encrevé, spécialiste de cette période, voit dans cette mesure une manœuvre clairement politique2.

J’ai retrouvé trace d’un passage d’Élie Berthe dans le Finistère en 1861 : il participe à l’assemblée générale de la Société Évangélique de Basse-Bretagne à Quimper le 25 août puis à l’inauguration du temple de Brest par le pasteur Chabal. Peut-être cherchait-il également à prendre contact avec les missions galloises en attendant une révocation qu’il sentait venir.

Le ministère des cultes n’osa pas complètement barrer l’avenir d’Élie Berthe. Il lui proposa un modeste poste pastoral à Troyes, dans l’Aube.

Son auditoire est celui d’une petite préfecture. Notre pasteur va y réaliser un coup d’éclat dont parlera bientôt la presse protestante.

(A suivre)

Jean-Yves Carluer

1Société Centrale Protestante d’Évangélisation, Rapport annuel, 1848, p. 35-36.

2André Encrevé, Protestants français au milieu du XIXe siècle, Labor et Fides, 1988, p. 652 : « Sayous tient une correspondance confidentielle avec le pasteur [libéral] Jean Réville (père), le conseille sur la marche à suivre pour obtenir la victoire des libéraux, etc ».