Vieillevigne : La plus méridionale des Églises de Bretagne.
Vieillevigne est un cas à part dans l’ensemble des communautés huguenotes de la province. Et cela pour plusieurs raisons.
La géographie la situe incontestablement en Bretagne, sur les limites mêmes de la province, dans une région alors administrativement complexe, faite de multiples imbrications, que l’on appelait les marches avantagères. En fait, le terroir de la paroisse de Vieillevigne était pratiquement enclavé, dans trois directions sur quatre, au sein du bas-Poitou.
Sur le plan géographique, la communauté de Vieillevigne peut apparaître comme le maillon le plus septentrional de la chaîne des Églises calvinistes du Sud-Ouest. Elle prolonge les Églises voisines du Bocage vendéen : Pouzauges, La Chastaigneraie, Mouchamps, « dressées » sous la protection des puissants seigneurs de la famille des Parthenay‑Larchevêque…
Au niveau de la composition sociale, l’Église réformée de Vieillevigne est également proche du modèle poitevin. La communauté protestante locale frappait d’abord par son importance numérique, atteignait peut-être le millier d’âmes. Cela justifia parfois le ministère de deux pasteurs, d’autant qu’ils prenaient en charge également les huguenots des petites paroisses réformées qui avaient tenté de se constituer non loin de là, à Clisson et à Aigrefeuille. Une telle affluence était inédite en Bretagne. La congrégation était largement composée de paysans et de tisserands, à l’image des Églises du Poitou et à l’inverse du reste de la Bretagne huguenote.
Nous savons peu de choses sur la pénétration de la foi réformée dans le pays de Vieillevigne. Il y eut certainement influence des voisins poitevins. A deux lieues du village, la cité de Montaigu était une solide place calviniste qui pouvait servir de refuge. Il faut aussi noter que la région était une zone de passage, aussi bien des hommes que des idées. Les archives départementales du Morbihan en gardent la trace : deux Vannetais, dont un libraire, avaient été arrêtés dès 1547 à Bressuire alors qu’ils transportaient vers la Bretagne, cachés dans des ballots de linge, des « livres d’hérésie »[1].
Mais, comme partout en zone rurale, le facteur décisif de la création d’une communauté huguenote à Vieillevigne a été l’appui des seigneurs du pays. L’Église nouvelle pouvait compter sur le soutien de deux grandes familles nobles « de la religion » : les premiers étaient les Lalande de Machecoul, gentilshommes hauts justiciers, très puissants localement, qui tenaient en fief une dizaine de paroisses s’étendant en direction de Nantes en passant par le lac de Grand-Lieu. Ils résidaient à Vieillevigne dans une forteresse aujourd’hui disparue, le château de La Berlaire. Jean II de Lalande semble le premier à avoir accueilli la Réforme. L’autre famille, les Goulaine, résidait au manoir de Laudonnière. Jean VI de Goulaine était le beau-frère de Jean de Lalande. Outre ces deux familles, de nombreux « escuyers » nobles calvinistes formaient un maillage dans la campagne : Les Chasteigner de La Grollière, les Chitton de La Davière, les Bessay de Coutancière, les La Lande‑Buor, les Perrin de la Courbejollière. Le réseau féodal local penchait donc vers la Réforme
On comprend que le développement de la Réforme se fit sans grandes difficultés. L’opposition du clergé catholique se montra même d’autant plus modérée que les protestants eurent la sagesse de lui laisser l’usage de l’église paroissiale, se contentant d’une chapelle seigneuriale désaffectée. Crevain écrivait : « On s’empara de ce lieu désolé par l’autorité du seigneur de Vieillevigne, qui était de la religion, et par le consentement tacite du clergé et des habitants qui ne firent jamais aucune opposition ; ils concédèrent aussi la jouissance du cimetière déclos et de nul usage entourant la chapelle, et dont ceux de la religion se servirent pour les enterrements jusqu’à l’Édit de Nantes« . Philippe de Saint‑Hilaire fut nommé officiellement en 1565 premier pasteur de l’Église de Vieillevigne, où déjà, sans doute, il exerçait son ministère depuis plusieurs années « par prêt, comme à une annexe de Nantes« . Par la suite, les Réformés de la région furent moins inquiétés que d’autres : poids du nombre, proximité d’un puissant château de refuge, situation excentrée aux confins de deux provinces, coexistence entre catholiques et protestants… L’Église put ainsi se maintenir, contre vents et marées, jusqu’à la Révocation.
[1] De la Martinière J., « Un certificat de catholicité (octobre 1547), épisode de l’histoire du protestantisme », Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1912, pp. 9-19.