Jeanne de Maure (vers 1520-vers 1570)

Une huguenote oubliée réapparait sur un vitrail.

    Nous avions retrouvé le visage de son frère, le comte de Maure, représenté sur le maître vitrail de l’église de Montrelais. La verrière montrait également la figure de sa sœur, Jeanne. Voilà l’occasion de présenter une protestante bretonne qui eut un rôle important dans la province lors de la formation des Églises huguenotes.

Jeanne de maure

Jeanne de Maure (vers 1520-vers 1570)
Vitrail de Saint-Pierre de Montrelais

    Jeanne de Maure serait née dans les années 1520, fille de François de Maure et d’Hélène de Rohan-Guéméné. Elle épouse en 1538 Jean du Quélennec, vicomte du Faou et sire du Quélennec, dont les aïeux avaient eu la charge d’amiral de Bretagne. Il avait hérité de la baronnie du Pont (L’Abbé) et de Rostrenen à la mort d’Anne de Foix, sa mère.

    Le couple eut trois enfants survivants : Charles, seigneur de Carnoët, qui sera à son tour baron du Pont. Sous le nom de Soubise, il deviendra un capitaine protestant et sera le premier époux de Catherine de Parthenay. Les deux autres, Jeanne et Marie, ne semblent pas avoir persévéré dans le calvinisme.

    Nous ne savons rien de l’engagement religieux de Jeanne de Maure avant 1559. Sans doute devait-elle être tiraillée entre le choix de son frère, le comte Claude de Maure, dont on sait qu’il avait été pionnier de la Réforme en Bretagne, et la religion de son mari, dont rien n’indique qu’il ait abandonné le catholicisme.

    Devenue veuve en 1553, Jeanne de Maure réside désormais au manoir de la Clarté, dans la paroisse de Cornillé, non loin de Vitré. C’est une châtellenie d’ancienneté, siège d’une haute justice. Cela donne à la soeur du comte de Maure toute latitude pour afficher sa foi protestante.

    Nous disposons de quelques documents qui confirment l’enracinement de Jeanne de Maure dans la Réforme. Elle est présente le 10 mai 1559 au château de la Rigaudière, au Theil, lors du baptême d’un enfant de son frère par le pasteur Du Gravier. Jeanne est la marraine tandis que son fils aîné Charles, le futur capitaine Soubise, est le parrain[1].

    Un autre texte semble indiquer qu’elle montra beaucoup de détermination dans sa foi protestante. Paul Banéat, dans son ouvrage sur l’histoire et le patrimoine du département d’Ille‑et‑Vilaine, relate ainsi l’engagement huguenot de Jeanne de Maure, devenue veuve, à Cornillé : « Usant du droit que lui donnait la qualité de son fief de faire exercer son culte dans l’église de Cornillé, elle s’y rendait parfois en compagnie d’un ministre qui faisait le prêche dans la chaire ».[2] Paul Banéat, historien reconnu, ne cite malheureusement pas ses sources. On en est également réduit à conjecturer sur la date des faits, probablement vers 1559 ou 1560. Le pasteur concerné pourrait être Du Gravier, de Rennes. Remarquons que la décision de faire prêcher un ministre calviniste dans la chaire paroissiale locale pouvait, certes, s’appuyer sur une pratique féodale ancienne, mais était en contravention avec les édits nationaux. Il y eut plusieurs cas en Bretagne : c’étaient autant d’occasions pour les seigneurs huguenots de faire partager leur foi. On doit remarquer que les prédications devant des auditoires paysans furent en Bretagne des échecs. Ils cessèrent rapidement devant l’opposition conjointe du clergé catholique et des autorités.

    On ne sait où et quand mourut Jeanne de Maure-Du Quélennec. La seigneurie de la Clarté a été vendue en avril 1571, ce qui pourrait signifier que la châtelaine était décédé peu avant cette date. Elle n’eut pas de descendance protestante à long terme. Ses filles s’étaient unies avec des grands seigneurs catholiques, sans doute par la volonté de leur père, et le mariage du fils, Charles du Quélennec, se révéla désastreux, tragique et sans descendance. Ainsi disparut, lors de la Saint-Barthélemy, une lignée protestante qui aurait pu jouer un grand rôle dans l’histoire de la province.

 Jean-Yves Carluer

[1] Philippe Le Noir, sieur de Crevain, Histoire ecclésiastique…, p. 26.

[2] Paul Banéat, Le département d’Ille-et-Vilaine. Histoire, archéologie, monuments, Rennes, 1927, t. 1, p. 452.