Un paysan pauvre mais lettré des Côtes-d’Armor devint protestant et traducteur de la Bible.
Guillaume Ricou a été en son temps une personnalité connue du milieu culturel bretonnant. Des auteurs aussi divers que Guillaume Lejean et Émile Souvestre lui ont consacré des notices élogieuses dans leurs ouvrages[1]. Du coup, grâce à son héritage littéraire, le souvenir de cet humble agriculteur de Trémel s’est maintenu jusqu’à aujourd’hui. Ce que l’on sait moins, c’est que Guillaume Ricou s’était converti au protestantisme à la fin de sa vie et qu’il a été le collaborateur du pasteur Jenkins dans sa traduction du Nouveau Testament en breton.
Il était né le 17 février 1778 à Trémel, qui n’était alors qu’une simple trève, une succursale de la paroisse de Plestin. Écoutons Émile Souvestre :
« Ricou est le Burns (célèbre poète écossais) de notre Basse- Bretagne, devenu poète sans études premières, et, ce qui est plus étonnant, poète moraliste !
Rien dans sa vie pourtant n’a aidé à cette vocation. Ses parents qui étaient de simples journaliers, lui mirent la pioche en main dès que ses bras purent la manier, et depuis il n’a point cessé de se livrer aux plus rudes travaux de la campagne. Pauvre, même pour un pays où les plus riches n’ont que le nécessaire, Ricou a élevé à grande sueur de son corps et aux grands tourments de son âme, une nombreuse famille qui commence à l’aider maintenant qu’il se fait vieux. C’est au milieu de toutes ces circonstances défavorables que son talent est né, s’est développé, s’est révélé. Il avait appris seul à lire et à écrire« .
Guillaume Lejean nous confirme qu’il s’était alphabétisé seul avec quelques almanachs à l’âge de 9 ans. Cet esprit précoce attira l’attention du recteur de Plestin puis de son collègue de Plufur qui lui donnèrent quelques rudiments de latin, sans doute pour le préparer au séminaire. Il entra en octobre 1806, non pas au séminaire de Saint-Brieuc, car il n’avait pas la vocation, mais au collège secondaire qui lui était annexé. Il n’y resta pas très longtemps car il épousa à Plufur le 12 janvier 1807 Marie-Jeanne Sallou. Le couple résida plusieurs années à Plufur avant de se fixer à Trémel, la commune voisine, où Guillaume Ricou cumulait les fonctions d’agriculteur et de petit débitant rural de boissons.
Continuons avec Émile Souvestre : « Un recueil de fables en prose lui tomba entre les mains ; il fut saisi à cette lecture. Il y avait dans cette forme à la fois philosophique et naïve, quelque chose qui convenait singulièrement à l’esprit perspicace de Ricou, à ses dispositions sourdement frondeuses, à son langage sentencieux. II songea aussitôt à faire des fables bretonnes. Mais, obligé de concentrer son temps au travail de la terre, il ne pouvait écrire que le soir. Quand l’inspiration venait le chercher jusqu’aux champs, il la renvoyait jusqu’à la maison, lui donnant rendez-vous après souper. C’est alors seulement, au bruit du rouet de sa femme qui lui filait ses chemises, du « ribot » de sa fille, qui pressurait le beurre du lendemain, parmi les chants et les ris de ses garçons, lutinant les jeunes voisines rassemblées autour du foyer pour la veillée, que Ricou, retiré à l’écart, composait ses fables. Ce furent d’abord d’informes récits, sans liaisons et sans suite, dans lesquels les vers tombaient lourdement l’un sur l’autre, dépourvus de mesure. Mais, avec la patience d’un prisonnier, Ricou revint sur ses ébauches grossières jusqu’à en user les aspérités. A la longue, chacune d’elles prit une forme mieux arrêtée : le vers, solidement enchâssé dans le récit, chatoya comme un diamant bien taillé ; tout s’anima, tout se teignit d’un coloris poétique. Dès lors, Ricou, devenu plus hardi, suivit de moins près son modèle. Il sentit que son esprit marchait seul et qu’il était temps de le laisser aller. Mais cette longue éducation de son intelligence, faite sans secours et par la seule puissance de sa volonté, avait duré 20 ans. Ricou était déjà vieux.
Ce fut en 1828 qu’un imprimeur de Morlaix , M. Guilmer, lui acheta son manuscrit, qu’il imprima sous le titre peu exact de « Fables d’Ésope, traduction en breton », par G. Ricou.
Les fables de Ricou ne sont pas plus traduites d’Ésope que celles de La Fontaine : c’est une imitation libre et fort éloignée de l’original. Les moralités sont d’ailleurs l’ouvrage de l’auteur breton, qui exprime ses propres opinions, sans s’inquiéter des affabulations de son modèle. Du reste, dans toutes ses imitations, Ricou a singulièrement ravivé la sécheresse du fabuliste grec ».
Émile Souvestre termine ainsi ses remarques, écrites vers 1840 :
« Disons enfin et pour achever que, malgré leur mérite, les Fables de Ricou ont eu peu de succès. Nos paysans qui seuls achètent les ouvrages bretons , devaient en effet peu goûter un livre philosophique dont la grâce spirituelle leur échappait…Notre Ésope breton se fait âgé. Tel qu’il est pourtant, c’est un homme capable de penser et de produire. Son visage ridé, mais mobile, a conservé son expression de finesse âpre et d’intelligence scrutatrice ; son œil éveillé a tout le feu de la jeunesse… »
Quand et comment le pasteur Jenkins rencontra-t-il le fabuliste ? J’émets l’hypothèse que le lien se fit par l’intermédiaire d’un colporteur, Jean-Marie Guillou, qui résidait non loin de là, au moulin de Kerprigent. Ce dernier resta toujours très proche des enfants Ricou, en particulier de sa fille Marie-Françoise, née le 12 avril 1809 et devenue l’épouse en janvier 1845 du sabotier Gilles Le Coat.
John Jenkins contacta donc Ricou. Les hommes sympathisèrent : le pasteur gallois sut transmettre sa foi au lettré vieillissant, d’esprit libéral, et qui était devenu quelque peu anticlérical. John Jenkins entama une collaboration fructueuse avec le fabuliste. Pour le pasteur, attelé à sa tâche de révision du Nouveau Testament de Le Gonidec, Guillaume Ricou était l’informateur idéal : ses talents de versificateur et de fin connaisseur du parler des campagnes trégorroises permettraient d’éditer une version compréhensible pour le peuple de Basse-Bretagne. Le Revérend Price, dans ses Literary Remains souligne que la Société Biblique avait « confié cette révision aux soins de M. Jenkins, de Morlaix, assisté d’un Breton compétent de la région, M. Ricou« [2]. La légende du portrait du fabuliste réalisé quelques années plus tard par le peintre Louis Caradec d’après un daguerréotype conservé dans les archives de la famille Jenkins rehausse même la contribution de Guillaume Ricou : « Il traduisit les Saintes Écritures de 1845 à 1847« .
Le fabuliste s’éteignit le 5 mars 1848 et « fut enseveli par son ami et coreligionnaire, le pasteur Jenkins de Morlaix« [3].
[1] Émile Souvestre, Les derniers Bretons, Paris, 1858, p. 226-232. Guillaume Lejean, article « Ricou » dans la Biographie Bretonne de Prosper Levot, 1857, t. II. Voir aussi Malo de Garaby (Abbé), « Ricou », dans l’Annuaire des Côtes-du-Nord, 1838, ainsi que le Bulletin Evangélique de Basse-Bretagne, 1854, p. 106-108. Plus récemment, d’Hippolyte Corbes, « Ricou », « Bulletin de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord« , t. XC, 1962, p. 108-120.
[2] Thomas Price, Literaty Remains, t. II, p. 372.
[3] Guillaume Lejean, op. cit.