Méthodistes, Calvinistes et parlant breton -4

Un siècle de mission presbytérienne galloise sur le littoral de la Basse Bretagne.

Les mutations du dernier siècle (1914-2014)

W.J. Jones

Le pasteur William Jenkyn Jones et son épouse

     En 1914, W.J. Jones restait toujours fidèle au poste. En dehors du pasteur, le personnel de la mission avait été quasi complètement renouvelé. Le Groignec, devenu septuagénaire, avait demandé à prendre sa retraite en 1908 et s’était établi à Quimperlé où il aidait le pasteur de Lorient. Il fut remplacé à Douarnenez par l’évangéliste Le Dilasser, converti par le méthodiste Scarabin, de Saint-Brieuc. Son collègue Jean Droniou, fruit de la Mission aux Bretons du Havre, lui succéda quelques années plus tard, suivi du missionnaire Rees Williams.

     Evan Jones, le frère du directeur de la mission, qui avait toujours eu une santé fragile, disparut en 1910. Le comité avait décidé l’année précédente de le remplacer à Pont-l’Abbé par un autre Gallois, le Révérend John Gerlan Williams (1870-1952), qui avait été déjà douze ans missionnaire en Inde. Le renouvellement du personnel de la mission toucha aussi les colporteurs. La nouvelle génération de ces agents obscurs mais indispensables effectua un travail remarquable. C’étaient souvent des enfants du pays qui s’étaient convertis au sein même de l’oeuvre méthodiste, comme J. M. Guegaden, Le Dréau et J. Sampoil.

     Avec un directeur qui conservait tout son enthousiasme et des convertis déjà nombreux, la mission méthodiste du Sud-Finistère apparaissait prospère à la veille de la première guerre mondiale. Le total des lieux de culte, au nombre de 10, n’avait pas augmenté depuis 1904, mais les auditoires étaient de plus en plus fournis. De 300 assistants réguliers en 1894, on était passé à 700 en 1903 et à près d’un millier en 1913.

     La Première guerre mondiale interrompit, comme souvent, le travail d’évangélisation. Les hommes étaient mobilisés, certaines salles affectées aux hôpitaux et aux clubs militaires. Les rapports restaient cependant optimistes pendant le conflit.

Des Méthodistes dans un bastion communiste.

Le Guilvinec marins

Évangélisation en plein air sur les quais du port du Guilvinec vers 1920

     Pourtant les conséquences négatives de la guerre frappèrent durablement la mission méthodiste au cours des années 20. Ce sont surtout les mutations de la société qui posent problème aux Gallois. Sur la côte bigoudène, où les hommes avaient été le plus souvent mobilisés dans la Marine, les pertes, quoique douloureuses, avaient été deux fois moindres que dans les campagnes. La vie économique avait repris et la pêche était en pleine activité. Le sud du Finistère est alors une des régions de France où l’impact du communisme est le plus fort. Grèves, manifestations, et campagnes électorales ont un retentissement national. Le phénomène est très net aussi à Douarnenez. La ville est la deuxième de France à élire un maire communiste, Sébastien Velly, en 1921. Une des raisons du succès de la Deuxième Internationale dans le Sud-Finistère est l’impact des mutineries des marins de la Flotte de la Mer Noire. Charles Tillon séjourne, par exemple, à Douarnenez en 1925.

     L’insertion de la mission galloise sur une terre passée clairement à l’extrême gauche reste bonne. Les relations sont très courtoises avec les municipalités, et, à la différence des catholiques, les protestants n’ont pas à supporter de mesures anticléricales. Pourtant, la dynamique évangélique est cassée. Les auditoires qui avaient été sensibles à une forme de christianisme social se sont tournés vers une sorte de communisme chrétien annonciateur de l’évolution de nombre de communautés rattachées aux postes de banlieue de la Mission Populaire. Le pasteur John Gerlan Williams, qui a succédé en 1925 à William Jenkyn Jones, essaie de s’adapter. Mais la pratique religieuse des protestants méthodistes devient de plus en plus distante.

     Sans doute aussi le cadre culturel de la mission galloise a-t-il vieilli. On y chante et prêche en langue bretonne, alors que la population, scolarisée depuis 1882, connaît le français. Un événement vient bientôt démontrer le décalage. Deux jeunes prédicateurs pentecôtistes de 20 ans, André Nicolle et André Maret, appelés par Mme Jenkyn Jones en 1932, attirent des centaines d’auditeurs à Léchiagat le temps d’une courte mission, suivis de dizaines de conversions. Si cet apport renouvelle l’église méthodiste locale, ce n’est que pour un temps. Deux ans plus tard, les tensions théologiques et culturelles se concrétisent par une scission et la création d’une assemblée pentecôtiste locale. Parmi ses premiers baptisés en 1934 se trouve Clément Le Cossec, futur fondateur de l’œuvre protestante tzigane.

Un protestantisme diversifié

     La mission méthodiste galloise poursuit sa route et se rattache logiquement à l’Église réformée de France lors de sa création en 1938. Mais les cadres vieillissent et le personnel britannique est interné lors de la Seconde Guerre Mondiale. L’œuvre du Sud-Finistère retrouve du dynamisme dans les années 1950 avec l’arrivée du pasteur réformé Paul Rainaud. Ce dernier est de plus en plus lié avec le Réveil tzigane qui bouleverse alors le protestantisme breton. Paul Rainaud, engagé dans le mouvement charismatique, entre alors en conflit avec son conseil presbytéral. Il se sépare et fonde la Mission Évangélique de Bretagne, à Douarnenez, qui crée une annexe à Penmarc’h. Les pentecôtistes essaiment de leur côté à Pont-L’Abbé puis à Quimper. La paroisse réformée s’est centralisée sur le site de Quimper tout en assurant la desserte des ports bigoudens qui est représentée en ce début du XXIe siècle par le culte d’été à Léchiagat en Plobannalec. Ce n’est que récemment que la mission galloise, propriétaire des lieux de culte, en ont transféré la propriété à l’Église réformée, rattachée aujourd’hui de l’ÉPUDF.

     De façon assez classique pour une œuvre d’évangélisation du XIXe siècle, la recomposition et le renouvellement du protestantisme sud-finistérien se sont caractérisés par une atomisation en diverses communautés, en majorité évangéliques. Anciennes et récentes sont aujourd’hui plus d’une dizaine entre Concarneau et Douarnenez, et leur auditoire cumulé retrouve les effectifs de la mission galloise au temps de sa grandeur passée. Leur variété illustre la complexité de la continuation du travail de James Williams et William Jenkyn-Jones. Certaines œuvres se caractérisent par leur attachement à l’héritage calviniste, d’autres à l’esprit revivaliste ou à l’engagement missionnaire, certaines enfin à l’identité celtique puisque l’on trouve dans la région un des derniers pasteurs capables de prêcher en langue bretonne. C’est dire la richesse de l’héritage de la Welsh Calvinistic Methodist Mission de ce côté-ci de la Manche.

 Jean-Yves Carluer