Les Bretons et la Saint-Barthélemy -5

Automne 1572 : une éradication momentanée ?

    Si nos huguenots bretons parviennent à traverser, non sans mal, les temps de massacres qui suivent la Saint-Barthélemy, la conjoncture se révèle catastrophique pour les protestants.

    La peur détruisit les Églises bretonnes presque autant que l’aurait fait une sanglante persécution. Il est vrai que la guerre avait recommencé presque immédiatement à la suite du soulèvement des protestants du midi et que les opérations militaires se rapprochaient de La Rochelle. D’autre part, une législation extrêmement rigoureuse obligeait les communautés huguenotes à la dispersion ou à la clandestinité. Les nouveaux édits royaux contraignaient les Réformés à l’abjuration, sous la menace d’emprisonnement et de confiscation de leurs biens[1].

    Beaucoup trouvèrent le salut dans la fuite, même chez les plus grands seigneurs. Guillaume Le Maistre de La Garelaye prit le chemin de Genève, accompagné de plus humbles compagnons[2]. Le baron de Tournemine se réfugia à Jersey  avec sa famille. Ils y retrouvèrent le fameux chef normand Gabriel de Montgommery. Deux enfants leur naquirent dans cette retraite, en 1573 et 1574. Dans les îles s’était établi aussi pour un temps Guy d’Avaugour[3]. Devant l’âpreté de la lutte qui se préparait, Blain, dépourvu cette fois de sauvegarde royale, n’était plus aussi sûr. A Vitré, où la majorité de la population était catholique, le gouverneur avait imposé une garnison royale. Les seuls refuges à peu près assurés pour les huguenots du nord de la province étaient les îles de la Manche. Et, au-delà de la mer, l’Angleterre était inexpugnable mais difficile à atteindre.

Centre Vitré

Une rue dans le vieux centre de Vitré. Cliché all-free-photos.com

    Quant aux ministres« , expliquait Crevain, « ce furent ceux qui furent le plus en péril et c’est eux que ce tourbillon furieux emporta le plus loin : car, dit M. Louveau, après les belles noces de Paris, nous fûmes épars…« . Nous évoquons ailleurs sur ce site la fuite maritime mouvementée du pasteur de La Roche-Bernard, de son naufrage, de son évasion et enfin de son arrivée en Angleterre, sain et sauf mais ruiné. Après avoir subsisté avec peine pendant un an à Hampton avec une famille de cinq personnes, il prit le risque de revenir vendre quelques biens qui lui restaient et visiter son troupeau. Il retourna peu après dans les îles britanniques, rejoignant dans l’exil Perruquet, pasteur de Piriac, du Gravier, ministre de Rennes, de Gric, de Morlaix, Charretier, de Pont-l’Abbé et bien d’autres… Même à Vitré, pourtant la plus forte place du protestantisme breton, aucun baptême ni mariage n’est signalé avant 1576, date à laquelle les huguenots purent revenir officiellement en ville.

    Les huguenots du sud de la province, ceux de Nantes ou de Vieillevigne, pouvaient atteindre la cité de La Rochelle, forte et rebelle, qui tenait bon et pouvait les accueillir. Nos Bretons s’y réfugièrent en masse. Crevain, qui avait sous les yeux en 1682 les archives protestantes de Nantes écrivait : « Il est à croire qu’il restait à Nantes peu de fidèles…et la même chose peut se dire de Vieillevigne« . Les réfugiés formèrent à La Rochelle une Église distincte, avec leurs propres pasteurs.

Le retour à la clandestinité

    Ceux qui étaient contraints ou avaient choisi de rester essayèrent de rester inaperçus pour éviter l’abjuration forcée. Peu y échappèrent. « Bien des gens, dit Crevain, se tirèrent d’affaire en changeant de religion, se proposant de nous revenir quand la paix aurait été rappelée« .

    Les seigneurs pouvaient difficilement passer entre les mailles du filet. Prenons l’exemple du seigneur de La Roche-Giffart, à Sion-les-Mines. René de La Chapelle, habituellement assez violent, accepta quelque composition[4].  A Blain, l’évêque de Nantes Philippe du Bec vint présider en 1574 une cérémonie solennelle de reconsécration de la chapelle du château. Henri de Rohan et son épouse acceptèrent de faire acte de catholicisme, mais tellement du bout des lèvres que leur présence à la messe est controversée : « Toutefois par la grâce de Dieu n’y ont assisté« , est-il écrit dans le Dial de Saffré.

    Le protestantisme breton apparaît donc durablement affaibli dans les années qui suivent la Saint-Barthélemy. Il s’est ensuite progressivement relevé, mais non sans pertes. Quelques Églises disparurent définitivement : sans pasteur et surtout sans protecteur noble, plusieurs communautés se dispersèrent ou devinrent de simples annexes de leurs voisines. Crevain, qui tenait minutieusement le compte des communautés protestantes, enregistra la disparition définitive de celle de Pont-l’Abbé qui ne survécut pas longtemps à Charles du Quélennec, ainsi que de plusieurs autres : Morlaix, Hennebont, Vannes, Guérande…  Si, ailleurs, les familles nobles courbaient l’échine en préparant leur retour à la Réforme, les communautés urbaines avaient subi une telle hémorragie que leur relèvement ne pourrait venir que de l’apport d’autres provinces.

Jean-Yves Carluer

[1] Il semble bien, d’après une lettre de Bouillé, qu’une telle mesure était en cours en Bretagne : « Car à cette heure que l’on veut saisir les biens de ceux de la religion, il y a danger qu’ils se remuent… » (Dom Morice, Preuves…, III, 1403).

[2]          Les 18 et 20 septembre 1572 Guillaume Lemaistre, de Derval, Gilles Goret, de Blain, Jacques Duchesne, « escolier » de Nantes, furent reçus à Genève (Le Livre des Habitants de Genève, 2e volume, p. 403-411).

[3]     Registre des B.M.S. de la ville de Jersey : Guy d’Avaugour était parrain en 1572 d’Olympe Etur (Société Guernesiaise, Report and Transactions, 1941, p. 331).

[4] D’après Vaurigaud et Haag (T. III, p. 172), le duc de Bourbon-Montpensier aurait fait remplir son château de garnisaires, mais ni René de La Chapelle, ni son épouse Renée Thierry, n’auraient faibli. Cette version des choses nous semble fausse, tout porte à croire plutôt que les châtelains finirent par céder.