Le domaine de Beaufort domine le grand étang du même nom, qui alimente en eau l’agglomération de Saint-Malo. Il est situé à Plerguer (Ille-et-Vilaine) dans un joli site de bois et de vallons.
Le lieu est aujourd’hui connu pour la communauté de moniales domicaines qui y réside et les rassemblements qui s’y déroulent. Ce que l’on sait beaucoup moins, c’est que le manoir de Beaufort a tenu un rôle essentiel au sein du protestantisme autrefois.
Un petit rappel pour commencer : Il y avait là une modeste place forte à la fin du Moyen Age, sous la forme d’un grand donjon rectangulaire qui commandait la route menant à Saint-Malo en longeant la Rance. Il faisait pendant à la forteresse de Châteauneuf, également à l’ouest, et à celle du Plessis-Bertrand, à l’est, en direction de Cancale et Pontorson. Très naturellement, ces seigneuries aboutirent à la fin du Moyen Âge entre les mains d’une même famille, les Chateaubriand, lointains aïeux du célèbre vicomte. Conformément aux usages bretons, l’aîné, Christophe, résidait au Plessis-Bertrand, en Saint-Coulomb, tandis que son cadet, Briand, disposait de l’usufruit de la seigneurie de Beaufort.
A l’époque de la Réformation, le message de Calvin atteignit les deux frères. Christophe s’engagea résolument dans le camp protestant, épousa en deuxième noces une des filles du célèbre Montgomery, et « dressa » l’Église réformée de la région de Saint-Malo. Nous savons peu de choses de son cadet Briand, sieur de Beaufort, mais plusieurs indices laissent à penser qu’il chemina quelque temps du côté protestant avant de se faire persécuteur après la mort de son aîné à la bataille de Jarnac (1569). Il est donc possible qu’il ait accueilli quelque temps un pasteur à Beaufort, du temps où il fréquentait la dame de la Corbonnais, chez qui se tenait un prêche.
Au XVIIe siècle, la seigneurie de Beaufort passa à une branche cadette des barons de La Moussaye. Un manoir neuf succéda au donjon démoli.
Claude II Gouyon de Touraude, acheta Beaufort en 1675. Il avait épousé 15 ans plus tôt Anne de l’Espinay, fille d’Isaac, seigneur de l’Espinay, du Chaffault, de Monceaux-Malarit, etc, et d’Anne de la Vazoulière, née vers 1645. Lors du mariage, en 1661, Anne de l’Espinay était considérée comme «huguenotte et très jeune dans sa religion», selon Colbert. La famille était de petite noblesse, mais enrichie par les affaires, et une des plus anciennes à avoir fréquenté les temples dans le comté de Nantes.
Le seigneur de Touraude ne put jouir longtemps de son domaine de Beaufort, car il décéda en mars 1676.
Sa jeune veuve, Anne de l’Espinay, eut un rôle déterminant en ces dernières années de l’Édit de Nantes, où Louis XIV resserrait la nasse autour des Réformés du royaume. Le domaine de Beaufort disposant d’une haute justice, la châtelaine peut organiser légalement un prêche et salarier un pasteur. Elle fit appel à Louis Barateau, originaire de Loudun. Son établissement était d’autant plus le bienvenu que le temple de Plouër avait été démoli et le culte interdit depuis que la branche aînée protestante des Gouyon de La Moussaye s’était établie à Quintin-L’hermitage et y avait transféré le droit d’exercice.
En ces dernières années qui précèdent la Révocation le mouvement d’émigration des protestants de l’ouest vers le Refuge avait déjà commencé. La route naturelle des Réformés bretons et Poitevins vers les Îles de la Manche, Jersey et Guernesey, passait non loin de Beaufort. Le domaine devint leur dernière étape avant un embarquement à Saint-Malo. Nous développerons plus tard leur équipée qui fut parfois tragique. Car, avant même la signature de la Révocation, le roi leur avait interdit toute sortie du Royaume par une Déclaration du 14 juillet 1682
L’aide apportée aux fugitifs par Anne de L’Espinay finit par attirer l’attention du pouvoir. Une rafle opérée à Saint-Malo par les autorités en 1685 la fit mettre en cause : « Je ne vois pas, après toutes ces preuves, comment vous pourriez vous dispenser de faire arrêter Mme de Touraude » écrivit Phélipeaux de Pontchartrain aux magistrats du Parlement qui s’étaient déplacés à Saint-Malo 1. Conduite en prison, Anne de l’Espinay, dut se résigner à abjurer du bout des lèvres. C’en était fini de l’étape de Beaufort. Les fugitifs ultérieurs cherchèrent désormais un abri dans la forêt du Mesnil, non loin de là.
1Yolaine Forget, « Un dossier Daniel de Francheville, Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, 1987, p.608.