Été 1879 : un évangéliste international rassemble 1800 personnes à Rennes

     La mission bretonne d’Alexander Somerville en 1879 marque une réelle accélération de l’essor des paroisses protestantes de Saint-Malo et de Rennes. On peut parler, dans le premier cas, d’une véritable naissance[1], et dans le deuxième d’une forte croissance numérique.

Alexander Somerville

Alexander Somerville

    Le Rév. Alexander Neil Somerville (Edimbourg 1813- Glasgow 1889) est relativement inconnu en France aujourd’hui. Ce pasteur presbytérien écossais, docteur en théologie, était pourtant célèbre en son temps pour ses remarquables qualités d’orateur. Issu des Églises presbytériennes (réformées) d’Écosse, il s’en était détaché en 1842 pour fonder les Églises libres de son pays (Free Churches of Scotland). A la fin de sa vie, le Dr Somerville entreprit des tournées internationales d’évangélisation qui le menèrent en Inde (1874), en Australie (1877), en France (1879), en Italie (1880), en Allemagne (1881), en Afrique du Sud (1882), et en Grèce (1885). « Personne en son temps », s’il faut croire George Smith, son biographe,  » n’a amené autant de conversions en autant de pays[2]« . Cela le mettrait au niveau d’un Moody ou d’un Spurgeon. C’est un des premiers grands évangélistes internationaux de l’époque contemporaine.

     C’est à l’appel de la Mission Populaire Évangélique, dite Mission Mac-All, qu’Alexander Somerville entreprend une tournée qui le mène essentiellement dans l’ouest de la France, en collaboration avec la Société Centrale Protestante d’Évangélisation. L’oeuvre du pasteur Mac-All emploie plusieurs collaborateurs écossais issus des Églises libres, et c’est probablement l’un d’entre eux qui a contacté notre évangéliste. Ce dernier se rend, au cours de l’été 1879, à Saint-Malo et Rennes, accompagné de son fils, le Rév. James Ewing Somerville (1843-1923). Les pasteurs Charlier puis Chevalier le traduisent.

     De 1872 à 1897 le pasteur Vincent Moïse Arnoux conduit l’Église réformée de Rennes[3]. Bien qu’il ne soit plus très jeune (il clôt son ministère rennais à l’âge de 75 ans), il est l’homme des impulsions décisives pour la paroisse protestante : reconnaissance officielle par l’État en 1873, construction du temple de l’avenue Janvier en 1882, salles de Mission Populaire rue de Saint-Malo et pont de Châtillon. La brève tournée d’Alexander Somerville contribue à l’essor numérique de la congrégation qui passe de 180 âmes en 1863 à plus de 400 20 ans plus tard.

     Le document que nous transcrivons ici est extrait du rapport de la Société Centrale Protestante d’Évangélisation de 1880[4].

      « II y a quelques années, nous le rappelions dans l’un de nos rapports, vous n’auriez pas  trouvé une seule communauté protestante entre Versailles et Brest. Successivement, la Société centrale a pris possession de Chartres, du Mans et de Rennes, jalonnant ainsi cet espace de 150 lieues, de points lumineux qui sont comme des phares brillants le long du vaste océan.

     Cette lumière rayonne au loin. Les trois postes, très modestes au début, ont grandi ; ils ont, tous les trois, été reconnus par l’État; mais la Société continue de s’y intéresser, elle aide de sa sympathie et de son concours matériel les pasteurs dans leur œuvre parmi les disséminés.

     Vous pouvez concevoir notre joie en recevant, l’hiver dernier, de M. le pasteur Arnoux, notre ancien agent, et aujourd’hui pasteur officiel à Rennes, la communication suivante :

     « Nous avons eu la joie de posséder M. de Somerville pendant une semaine. On avait loué, pour les conférences, le Skating-Rink[5], mais je n’étais pas sans appréhensions sur le succès de l’entreprise, tout ayant été improvisé. Je fus agréablement surpris le premier jour de voir arriver 250 personnes qui furent aussi attentives qu’auraient pu l’être de vieux huguenots. La seconde conférence se fit au milieu d’un auditoire moitié plus nombreux. A la troisième, nous étions entourés d’un millier de personnes ; à la quatrième, il y en avait de 1.400 à 1.500, et à la dernière 1.800″.

     M. de Somerville a donné des conférences avec le même succès dans plusieurs villes du littoral. Conclusion : « envoyez-nous de nouveaux conférenciers, donnez-nous un colporteur. Quelques temps après, le rédacteur du Signal[6] recevait d’un groupe d’ouvriers de Rennes, récemment sortis du catholicisme, la lettre suivante :

«… Nous vous adressons cette lettre, nous disent les signataires, pour témoigner que l’influence de l’Évangile se fait sentir jusque dans notre Bretagne. Nous attendons avec impatience la visite d’un de vos conférenciers, certains que sa parole sera bien accueillie par la partie sérieuse de notre population, et pour nous, nous lui promettons d’avance le concours de tous nos efforts ; nous espérons que son séjour sera bien utile à la foi évangélique ; il est temps que nos frères connaissent le véritable Évangile de Jésus-Christ qui nous apporte le salut par la foi et l’union fraternelle entre tous les hommes. Voulant vivre désormais dans la religion protestante et y faire élever nos enfants, nous suivrons l’exemple que nous ont donné déjà tant d’hommes dévoués ; nous nous efforcerons, sous la direction de notre digne pasteur, de suivre le mouvement qui est commencé et dont votre estimable journal se fait l’écho, et nous emploierons tout ce que Dieu nous donnera de forces pour répandre autour de nous la connaissance de la vérité évangélique; car elle seule peut opposer une digue à toutes ces théories antisociales qui menacent d’envahir notre chère patrie et de la démoraliser. Le jour où la France se réveillera protestante, la puissance de Rome sera vaincue et la France sera vraiment libre.

« Recevez, Monsieur le Rédacteur, l’assurance du respect et du dévouement des ouvriers protestants de Rennes et agréez leurs salutations fraternelles en Christ ».

– Suivent les signatures ».

      Le succès de la mission Somerville de 1879 en Bretagne est étonnant, dans une province habituellement assez hermétique à la prédication protestante. Il s’explique incontestablement par le charisme du pasteur écossais. Sans doute faut-il y ajouter d’autres facteurs, comme le dynamisme des relais protestants locaux ou l’effet de modernité de ces grandes réunions publiques. On peut également relier ce nouvel intérêt pour le protestantisme au contexte national français. Ce début de la Troisième République marque l’apogée de l’influence politique et économique des réformés français, majoritaires au sein du gouvernement Waddington en 1879. Dans des milieux urbains assez bien informés, cela à pu contribuer à desserrer quelque peu le poids de l’encadrement catholique traditionnel.

 Jean-Yves Carluer



[1] La mission du Dr Somerville à Saint-Servan-Saint-Malo est largement évoquée dans l’ouvrage du pasteur Raspail, que nous avons transcrit sur ce site.

[2] George Smith , A Modern Apostle, J. Murray ed, 1891, 399 p.

[3] Vincent Moïse Arnoux, né en 1822 à Montmeyran, dans la Drôme, était pasteur de la paroisse de Charmes, en Ardèche, quand il répondit à l’appel de la Société Centrale pour occuper le poste de Rennes.

[4] Rapport SCE, 1880, p. 36-37.

[5] Skating-rink : patinoire

[6] Le Signal, journal protestant fondé par le sénateur Eugène Réveillaud (1851-1935), qui collabore avec la Mission Mac-All.

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