François Marie Le Quéré (1842-1923),
un évangéliste entre Bretagne et Normandie…
Notre colporteur est né le 26 janvier 1842, dans un tout petit village des Côtes-du-Nord, à Trémel. Il partage la vie des garçons de son âge, entre travaux des champs, école et catéchisme catholique en langue bretonne. Un de ses camarades s’appelle Guillaume Le Coat, jeune homme brillant, petit-fils d’un lettré breton, nommé Guillaume Ricou, Ce dernier avait accepté, peu de temps avant sa mort, d’aider le missionnaire baptiste gallois, John Jenkins, à traduire le Nouveau Testament. A la fin des années 1850, à la suite du passage du colporteur Jean-Marie Guillou, un Réveil éclate à Trémel. La fille et le petit-fils de Ricou se convertissent, et le mouvement s’étend aux amis du jeune homme comme François le Quéré ou Yves Le Pape… Nous sommes chez des pauvres, sabotiers ou menuisiers, mais relativement indépendants des propriétaires catholiques, puisqu’ils ne sont pas agriculteurs.
Le missionnaire John Jenkins comprend toute l’importance de ces jeunes gens remplis de zèle. Guillaume Le Coat, échappé de peu au séminaire, part pour l’école normale protestante de Courbevoie. Il reviendra instituteur. François Le Quéré, qui maîtrise moins bien le français, est formé sur place, à Morlaix, comme colporteur et même comme prédicateur. Il est inscrit au collège de la ville et acquiert, auprès des pasteurs gallois, pendant un trimestre de 1869 « quelques connaissances linguistiques, scripturales et théologiques« . Il revient à Trémel, où John Jenkins a construit un temple, qu’il n’a d’ailleurs pas encore eu l’autorisation d’inaugurer, avec un statut ambigu, à la fois colporteur et prédicateur, mais d’abord menuisier, puisqu’il faut bien vivre.
Dans l’immédiat, car on est au temps de la « République des Ducs », hostile à l’évangélisation protestante, tout colportage évangélique est encore interdit. François Le Quéré part pour la région brestoise où il y a du travail.
François Le Quéré envisage de reprendre la sacoche de colporteur dès que ce sera possible. Il demande une patente en 1872, document qui est conservé dans les archives départementales, mais ne peut guère exercer encore.
Les années passant, la condition de Guillaume Le Coat et François Le Quéré s’affermit progressivement. Les deux amis ont épousé deux jeunes sœurs anglo-irlandaises dont le père s’était établi dans la région, respectivement Gertrude et Morvine Augustine Arthur1. Ils sont désormais beaux-frères, avec une petite dot et une double culture franco-britannique, qui permet de découvrir les protestants anglais, futurs donateurs éventuels. C’est Guillaume Le Coat qui en tire le plus de profit. D’abord évangéliste-instituteur, puis pasteur, il prend son autonomie et développe à Trémel une des œuvres les plus originales de l’histoire baptiste française: une demi-douzaine de colporteurs, plusieurs évangélistes et instituteurs, une traduction de la Bible, un almanach et plus d’un million d’imprimés en breton, sans compter une école, un orphelinat, un hospice, une ferme, une usine à lin…
A Brest, François le Quéré était l’hôte du peintre baptiste Louis Caradec, qui déclarera en mairie la naissance du premier fils du couple, Guillaume, le futur « Tonton Tom » qui a reçu bien plus tard, en juillet 2017 et à titre posthume, le titre de « juste parmi les Nations ». François Le Quéré peut finalement reprendre à Trémel sa sacoche de colporteur.
Bon bretonnant, compositeur très estimé de Gwerziou (chansons sur feuilles volantes) et de vers bretons, il reste quelques années cantonné dans son statut de distributeur itinérant. Il est en charge d’une famille. En décembre 1882, il a trois enfants, de 9, 8 et 4 ans et est employé par son beau-frère qui fait financer son salaire par diverses sociétés évangéliques, en particulier celle de Genève et l’Agence française de la Société biblique britannique. Entre 1881 et 1883, cette dernière lui verse 125 Francs par mois, salaire équivalent à celui d’un jeune instituteur. Le premier ministère de François Le Quéré est parfaitement adapté aux réalités de l’évangélisation en Basse Bretagne. Il va de marché en marché, avec éventuellement l’appui d’une « voiture biblique » à cheval. On s’installe. Monté sur un marchepied ou une borne, le colporteur entonne d’une forte voix une Gwerz évangélique. La plus célèbre, celle qui relate la mort d’une jeune catholique qui s’était convertie à Trémel, comporte 69 couplets, et sera imprimée à 100.000 exemplaires en 9 éditions2. Un cercle se forme. A la fin, on annonce en quelques mots le message de l’Évangile et on passe dans les rangs. Selon l’habitude de la Mission de Trémel, on vend pour quelques sous la chanson, et on donne en plus un Évangile ou un Nouveau Testament. Le soir, le colporteur se fait prédicateur, dans quelque maison accueillante ou dans une annexe de la mission.
(A suivre)
1Arthur est le patronyme de leur mère, consigné par l’État-civil, mais la mémoire familiale a conservé le nom de leur père, Shaw, qui avait décidé de quitter sa femme et de franchir la Manche pour refaire sa vie en France.
2Eur Catolikez Yaouank -Taolet kuit euz an ilis Romen an 10 a vis ebrel diveza, gant -Marvet ar 25 a viz gweren an ti eur Protestant (moulet evit an eizvet gwech),