Les ombres de l’Édit de Nantes
Un Édit de tolérance peut-il être vraiment satisfaisant pour la partie qui se trouve être simplement « tolérée » ? C’est la grave faiblesse du texte signé à Nantes par le roi Henri IV.
On a beaucoup dit sur les prétendues modernité et exemplarité de l’Édit de 1598. Texte de circonstances, apparemment revêtu des meilleurs sentiments, il ne se cachait pas de favoriser la seule Église catholique, apostolique et romaine. Les cultes protestants, restaient, selon la logique des édits antérieurs, des formes d’une « religion prétendue réformée ».
C’est bien par lassitude que les catholiques ont déposé les armes, tout comme les huguenots se sont placés sous la seule sauvegarde d’un roi qui avait été des leurs, mais qui avait bel et bien abjuré. Les contemporains ne s’y sont pas trompés.
L’Édit de Nantes était une trêve bienvenue dans une Europe où les guerres de religion continuaient à faire rage, avec leurs cortèges d’injustices et de massacres. Songeons à la Guerre de Trente ans en Allemagne, à ses calamités et à ses horreurs comme le sac de Magdebourg en mai 1631, digne de la Saint-Barthélemy. Certes, à côté, nos huguenots pouvaient désormais s’estimer favorisés.
Cependant, leur disparition progressive et l’extinction de leur foi étaient sous-entendus dans le texte nantais. Alors que les procédures de conciliation et de respects réciproques étaient minutieusement exposés dans les différents articles, il existait toutes sortes de pressions et de mécanismes de cliquet qui faisaient de l’ édit de tolérance un mécanisme d’étranglement progressif. C’était particulièrement vrai dans les provinces où les Réformés se trouvaient dans une situation de minoritaires, c’est-à-dire, grosso modo, le nord-ouest du royaume.
Je donnerai deux exemples de ces phénomènes de cliquet. L’Édit ignorait à peu près les cas de conversions venues du catholicisme. Elles seront bientôt interdites et sanctionnées. Tout prosélytisme réformé était rendu impossible. A l’inverse, les conversions de protestants étaient encouragées…
Des congrégations nouvelles s’y employèrent avec un zèle inlassable. La réforme religieuse catholique qu’il est légitime d’appeler contre-Réforme multiplia ses établissements dans les villes du Royaume : Jésuites et autres Oratoriens bâtirent leurs couvents dans des cités jusqu’alors marquées par le protestantisme, comme Rennes et Vitré, essayant d’attirer les cadets des familles nobles à défaut de leurs aînés. La politique royale favorisant ces « nouveaux convertis », ce pouvait être une façon pour des cadets ambitieux d’envisager des carrières lucratives…
Beaucoup plus grave était le sort des enfants arrachés à leur famille, « pour le bien de leur âme », avec la complicité des autorités. Plusieurs dizaines de cas sont attestés en Bretagne, sensiblement moins qu’en Normandie, alors que les huguenots étaient pourtant plus dispersés et vulnérables dans notre province. S’il fallait avancer une explication, sans doute faudrait-il évoquer le poids des seigneurs bretons, assez prêts à en découdre pour protéger leurs communautés.
Les affrontements sont restés assez fréquents dans la province. Les aristocrates huguenots se sont partagés entre les loyalistes, prêts à faire confiance au roi en toutes circonstances, et les contestataires. C’est, bien entendu, du côté des Rohan que se situèrent la contestation et les révoltes. Le titre de duc accordé à Henri II n’a pas suffi à l’amadouer. Mais les Rohan sont désormais plus poitevins que bretons. Ils sont éventuellement suivis dans la voie contestataire lors des troubles par quelques autres grandes familles locales comme les La Muce et les La Chapelle. Les autres maisons sont soumises au roi en toutes circonstances, comme les La Trémoille qui ont hérité de Vitré, ou les La Moussaye. Notons que quelques gentilshommes ont opéré un choix qui a favorisé leur ascension sociale tout en restant fidèles à leurs principes. C’est le cas des Amproux qui se sont mis pour un temps au service de princes protestants alliés de la France comme le roi de Suède. Revenus sur leur terre avec des pensions d’officiers supérieurs, ils ont réussi à bénéficier des faveurs de la Cour de France tout en jouissant d’une certaine liberté.
Les grands seigneurs huguenots bretons ont pu assez souvent résister aux sirènes royales, ce qui est remarquable car ils se privaient ainsi de pensions lucratives. Il faut reconnaître qu’en général, ils se sont montrés fermes dans leur foi, surtout les femmes, beaucoup plus, en proportion que leurs coreligionnaires du Midi. Sans doute étaient-ils assurés de revenus plus solides que leurs frères méridionaux.