Caradoc Jones (1875-1967) -1
Le pasteur Caradoc Jones est avec John Morris, le dernier des missionnaires protestants gallois à avoir oeuvré en Bretagne. Un ministère de 40 ans qui fonda la communauté baptiste et le temple de Paimpol1.
A la suite de La Grande Guerre (1914-1918), l’oeuvre naissante initiée par Charles Terrell était à l’abandon. En 1919, le petit groupe reçut la visite d’une délégation d’une société missionnaire baptiste indépendante appelé Pionner Mission, qui s’intéressa aux possibilités de développement de la station de Paimpol. Cette petite société indépendante britannique, proche du célèbre prédicateur Charles H. Spurgeon, se donnait pour but d’aider des communautés évangéliques émergentes et de soutenir celles qui se trouvaient en difficulté. Son comité avait déjà noué quelques contacts en France, essentiellement avec Ruben Saillens et sa famille. Ils attirèrent l’attention des Britanniques sur le champ d’action constitué par la côte nord de la Bretagne. Les Églises méthodistes y obtenaient quelques succès et l’on pouvait imaginer un fructueux essor de Paimpol. Mais assurer la succession de Charles Terrell supposait découvrir un nouveau missionnaire qui soit à la fois apte à prêcher en breton ainsi qu’à apprendre rapidement le français et à trouver sa place dans un groupe protestant organisé selon les principes quakers du fondateur. Une des caractéristiques de l’oeuvre de Paimpol était en effet la pleine reconnaissance de ministères féminins.
Un candidat répondant à un tel profil s’était fait connaître dès avant la guerre. Le révérend Caradoc Jones, pasteur de l’Église baptiste de Gabalfa, près de Cardiff, attendait depuis longtemps de partir pour la Bretagne.
Il était né en 1875 au sein d’une famille qui fréquentait les Églises baptistes écossaises, une petite dénomination qui s’était séparée du tronc baptiste commun un siècle auparavant. Caradoc Jones s’engagea très tôt dans la foi chrétienne et se fit remarquer par son zèle et ses aptitudes. Il travaillait comme commis dans une épicerie. On lui demanda de prêcher alors qu’il n’avait que 15 ou 16 ans. Il le fit avec tant de conviction et d’efficacité, aussi bien en anglais qu’en gallois, que les autres communautés évangéliques de la ville l’invitèrent à leur tour. Il était temps pour Caradoc Jones d’acquérir une formation théologique qui lui ouvrirait la porte du ministère pastoral.
Son choix se porta en 1903 sur une petite école biblique qui portait le nom de Spurgeon’s College, dirigée par un fils du célèbre pasteur londonien. Il étudiait là quand survint le fameux Réveil du Pays-de-Galles en 1905. Caradoc Jones vécut ses développements avec enthousiasme.
Fraîchement diplômé de Spurgeon College, Caradoc Jones devint pasteur assistant de Tredegarville Baptiste Church, une Église de Cardiff alors en pleine expansion qui développait un réseau d’annexes. On lui confia bientôt le site de Maindy dont l’assistance passa de 50 à 90 membres entre 1907 et 1909. L’expansion continuant, il fallait d’urgence trouver de nouveau locaux. Caradoc Jones convainquit le conseil de l’Église de se lancer dans une construction ambitieuse et coûteuse : une chapelle de 700 places, qui fut inaugurée en 1913 sous le nom de Gabalfa.
Caradoc Jones pouvait considérer qu’à 38 ans il avait déjà atteint l’objectif habituel de toute une carrière pastorale.
Un appel impérieux
Mais ce célibataire endurci portait en son coeur un rêve plus lointain : être missionnaire en Bretagne. Au printemps 1909, il en était à sa troisième demande auprès du comité des missions baptistes. Elle fut une nouvelle fois ajournée. La correspondance reçue par le pasteur Alfred Jenkins en fait état : « Le comité a refusé deux fois sa demande, en partie à cause de son rapport médical qui n’était pas parfait, en partie à cause de son âge, et en partie parce qu’il a subi des handicaps dans sa jeunesse et n’a pas suivi les études classiques que le comité avait fixées comme idéal pour un candidat en Bretagne2 ». On ne peut que rester songeur devant une telle erreur d’appréciation, qui prouve définitivement la faiblesse humaine d’un organisme ecclésial. Car tout était faux dans cet argumentaire ! La santé de Caradoc Jones, certes fragile, ne l’empêcha pas d’exercer son ministère pendant des décennies et de vivre jusqu’à 92 ans, après avoir subi pourtant plusieurs années d’internement dans des camps allemands au cours de la dernière guerre. Quant à son âge en 1909, il était de 34 ans, ce qui n’a vraiment rien d’excessif ! Reste le reproche du manque d’études classiques. C’était une opinion caractéristique des Old baptists du Pays-de-Galles, très attachés aux diplômes.
Malgré tout, le comité autorisa Caradoc Jones à accomplir un stage de quelques semaines à Morlaix. Le pasteur Alfred Jenkins en fit un rapport favorable mais sans enthousiasme, et le comité résolut d’ajourner le candidat.
On peut finalement émettre une autre hypothèse sur le refus continuel de la Baptist Missionary Society de recruter Caradoc Jones. Car notre Gallois, quoique très tôt ouvert à la diversité évangélique, était issu des Scottish Baptists. Le comité était majoritairement composé de délégués des Old Baptists, dont la théologie était quelque peu différente à propos de la doctrine de la grâce… Le vieux débat sur le prédestination aurait-il encore frappé ? Ce qui est sûr c’est que la mission de Morlaix fut privée d’un collaborateur de talent, une génération après la scission de Guillaume Le Coat…
Caradoc Jones n’abandonna pas son désir de servir en Bretagne, alors même qu’il allait de succès en succès à Cardiff. Il avait prévenu sa communauté de Gabalfa que si une opportunité se présentait, il répondrait à cet appel. .
En mai 1920, la « Pionner Mission » accepta de faire confiance à ce « célibataire maladif » de 46 ans, et bien lui en prit, car Caradoc Jones resta lié à Paimpol jusqu’en… 1967 ! Notre gallois devint alors le doyen nonagénaire des pasteurs bretons. Le seul domaine où il fit effectivement peu de progrès demeura celui de sa prononciation et sa pratique parfois approximative du français qui restèrent fameuses dans les souvenirs de ses paroissiens. Comme l’écrit son biographe (et hagiographe) W. Pearce, « une maturité d’âge d’homme, une expérience considérable dans l’art sacré de gagner les âmes, un amour de longue date pour le peuple de la Bretagne, et un désir ardent de lui présenter le sauveur, donnèrent à ce pays un serviteur du Christ singulièrement à la hauteur de sa tâche à tous points de vue, sauf pour la connaissance des langues française et bretonne« 3.
(à suivre)
1Noël Gibbard, Caradoc Jones, a forgotten missionary…, 2007.
2Fonds privé. Lettre du comité au pasteur Jenkins, 20 mai 1909, cité d’après Dewi Morris Jones.
3Winifred M. Pearce, Knight in Royal Service, a brief biography of the Rev. Caradoc Jones, Londres, 1962.