Un siècle de mission presbytérienne galloise sur le littoral de la Basse Bretagne (1842-1938)
Questions d’identité
L’œuvre protestante galloise du Sud-Finistère et du Morbihan est très originale à plusieurs degrés. Elle l’est d’abord par la langue celtique, qui a servi de pont entre le Pays-de-Galles et la Basse Bretagne avant de constituer le cadre religieux de la prédication, des cantiques et des divers écrits. On peut considérer que le passage du breton au français, réalisé dès le XIXe siècle dans la branche de Lorient et dans les années 1930-1950 dans la branche du pays bigouden, a clos l’épopée méthodiste galloise en relâchant la dimension identitaire. La suite logique était le ralliement à l’Église Réformée de France.
C’est d’ailleurs ce qui constitue la deuxième originalité de la mission galloise. Elle a été l’œuvre d’une Église méthodiste sensiblement différente sur le plan théologique de ses sœurs anglaises et françaises. Sans entrer dans les détails, les méthodistes gallois n’avaient pas la même conception de la théologie de la Grâce que leurs frères wesleyens. Les premiers étaient strictement calviniens, tandis que les derniers se rattachaient au courant arminien, faisant plus appel au libre arbitre de l’homme[1]. La convergence entre l’influence méthodiste apportée par George Whitefield, que l’on pourrait traduire par le terme de « Réveil » et l’influence calvinienne était inscrite dans l’intitulé même de l’Église mère galloise qui associait les deux termes : Welsh Calvinistic Methodist Church. L’érosion progressive de la dynamique de Réveil a favorisé progressivement l’héritage calviniste, au point que cette même Église s’appelle aujourd’hui Église Presbytérienne du Pays-de-Galles. La mission bretonne avait une théologie qui serait très proche aujourd’hui de celle des Églises réformées évangéliques françaises.
Ce positionnement a entraîné deux grandes conséquences pratiques en Bretagne :
– Les missionnaires gallois ont pu prendre en charge dans les villes de Quimper et Lorient des paroissiens réformés français, écossais ou suisses, sans que ces derniers ne se sentent dépaysés dès lors que leurs prédicateurs réussissaient à s’exprimer en français. Et lorsqu’il fallut passer le relais à des pasteurs réformés hexagonaux une première fois en 1879 et une deuxième fois dans les années 1950, cela se fit sans difficultés.
– La deuxième conséquence était de l’ordre de la stratégie d’évangélisation des méthodistes-calvinistes. Elle apparaît sensiblement différente de celle de leurs frères et amis gallois de la mission baptiste de Morlaix. Ces derniers ont toujours mis en priorité l’évangélisation rurale : ils bénéficiaient d’une expertise linguistique plus précoce, et ce sont eux qui ont traduit la Bible en breton populaire. Ils ont constitué peu à peu des noyaux de convertis dans les campagnes, dont le plus célèbre a été Trémel. Par contre, ils étaient plus mal à l’aise pour prendre en charge les quelques protestants réformés de la ville, car cela ne correspondait pas à leur conception d’Église de professants. Ils ont accepté néanmoins une sorte de compromis en devenant open baptists, c’est-à-dire admettant comme paroissiens actifs des réformés non baptisés par immersion à l’âge adulte. Les missionnaires méthodistes de Quimper-Lorient, quant à eux, ont d’abord consolidé leur action dans les villes. A la suite de plusieurs échecs en zone rurale, ils se sont portés assez vite vers les populations côtières, aboutissant finalement à un « Réveil bigouden » qui servit à son tour de modèle à tous les protestants oeuvrant dans la province.
En 1938, l’ensemble des communautés méthodistes bretonnes a rallié l’union qui se formait pour constituer l’Église Réformée de France. Les baptistes sont restés à l’écart. L’Église Protestante Unie d’aujourd’hui s’est donc nourrie des réformés urbains et des méthodistes côtiers. De l’autre côté, la composante évangélique s’est vite reconstituée et développée à partir des baptistes qui en constituaient le noyau historique, rejoints ensuite par les pentecôtistes, les Églises de Frères et diverses communautés contemporaines.
[1] Pour Calvin, la détermination de la destinée de l’homme par Dieu est absolue : C’est lui, qui, de toute éternité, a choisi ceux qui seront prédestinés à être élus ou non. Le croyant n’a qu’à bénéficier de cette élection.
Jacobus Arminius s’est élevé à la fin du XVIe siècle contre cette position qui semblait à certains trop absolue. L’arminianisme soutient que 1) Le salut n’est accessible que par la grâce seule 2) Mais Dieu n’accorde son salut qu’à ceux qui acceptent de croire au sacrifice expiatoire de Jésus-Christ 3) Le Christ, en effet, est mort pour tous les hommes, mais le salut n’est accordé qu’à ceux qui l’acceptent. Cette acceptation est libre, ce qui fait que le salut individuel dépend d’un choix de la volonté humaine, et non uniquement du choix souverain de Dieu. Historiquement, la plupart des Églises évangéliques, dans le sillage de John Wesley, ont adopté une vue arminienne de la Grâce, ce qui fait ressortir l’originalité des méthodistes (et baptistes) gallois.